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Afrique du Sud

Thabo Mbeki à Paris

Ce 17 novembre, la France accueille Thabo Mbeki pour une visite d’Etat de trois jours au cours de laquelle le président sud-africain espère voir se matérialiser en projets économiques concrets les convergences d’intérêts qu’il relève entre Paris et Pretoria. Thabo Mbeki est accompagné par ses ministre des Affaires étrangères, du Commerce et de l’Industrie, des Entreprises publiques et du développement social. Avec lui aussi : des dirigeants de grandes entreprises publiques sud-africaines comme le fabricant d’armes Denel, la société d’électricité Eskom ou la compagnie de transport Transnet. Des projets de privatisation viennent d’être lancés en Afrique du Sud où le régime Mbeki s’efforce de promouvoir l’ investissement étranger, mais aussi les entreprises et l’emploi dans la communauté noire. Puissance régionale aux plans économique, militaire et diplomatique, Pretoria estime que ses ambitions continentales passent par Paris qui «a un intérêt direct en Afrique».
Premier producteur mondial d’or, de platine, de chrome ou de vanadium, au cinquième rang pour les diamants ou le charbon et très bien placée pour de nombreux autres minerais, l’Afrique du Sud manque seulement de pétrole. Mais elle est a déjà la stature d'une puissance régionale semi-industrialisée (industrialisée au regard du reste du continent), capable de valoriser son potentiel minier mais aussi agricole. Papier, machines outils, composants automobiles, l’Afrique du Sud produit des armes et, dans ce domaine comme en d’autres, une part des transferts de technologies provenaient déjà de France, sous l’apartheid. Dans la foulée libérale de Nelson Mandela, le régime Mbeki se déclare résolument partisan de «la libre entreprise, de l’économie de marché et de l’action sociale». Tout récemment, il a décidé de conjuguer une politique de «grands travaux» pour relancer l’emploi en chute libre dans la communauté noire où le taux de chomage vient de grimper de 20 à 30%, avec un exode rural grandissant. Un semestre avant les élections générales de 2004, Thabo Mbeki serait reconnaissant aux investisseurs français de faire un geste.

Depuis des décennies, l’Afrique australe consomme quantité de poulets ou de jus de fruits sud-africains, sans parler des fruits et légumes, mais surtout des vins d’inspiration française exportés au quatre coins du monde. Autant de sujets de friction en Europe et à l’OMC où Pretoria fait bande à part, au sein du groupe récalcitrant de Cairns. A la différence de la plupart des économies africaines, la Sud-Africaine repose sur des exportations diversifiées. La société nationale Eskom, par exemple, répond à plus de la moitié des besoins en électricité de l’Afrique sub-saharienne. Son réseau court sur 220 000 kilomètres. Banques, chemins de fer, l’Afrique du Sud compte six ports et huit aéroports internationaux. Des compagnies comme le fabricant d’armes Denel ou la Banque de développement en Afrique australe ont déjà des partenaires français. Ils comptent bien étoffer leurs relations en France. Selon le président de Transnet, «cette visite promet de gigantesques occasions pour établir des joint-ventures et des partenariat dans les secteurs du transport et de la logistique». D’autant, explique-t-il, que «Transnet est un énorme gisement de compétences en matière de technologies de la télécommunication».

Pour le moment, c’est la France qui tire son épingle du jeu commercial bilatéral, avec un déficit de plus de quatre cents millions de dollars en sa faveur. Les hausses du cours du rand n’arrangent pas les exportations sud-africaines. Cela pourrait représenter une perte de plus de deux milliards de dollars en 2003, pour les seuls minerais. En 2002, la France s’est placée au neuvième rang des importateurs d’Afrique du Sud et à la septième place parmi ses fournisseurs. La même année, une filiale de Transnet, la South african airways, s’est mise sur les rangs pour l’achat de 41 Airbus : un contrat de trois milliards et demi de dollars.

Discrimination positive

Au cours de ses entretiens parisiens, Thabo Mbeki fera sans doute une disgression sur la coupe du monde de football que l’Afrique du Sud aurait été honorée d’accueillir en 2010. Ce sera seulement pour la forme car il sait que Paris soutient le Maroc en la matière. Il ne cherchera pas à forcer la main du président Chirac, explique son ministre à la présidence, Essop Pahad, «le président Mbeki ne se prend pas pour un marchand», dit-il. On sait Pretoria sourcilleuse de sa souveraine dignité, mais à Paris, Thabo Mbeki est bien le porte-parole d’une puissance régionale aux ambitions continentales, sinon son attaché commercial. Les multinationales sud-africaines, Anglo american et autres De Beers, occupent déjà ce terrain-là. Les 1 600 casques blancs «made in south africa» font valoir au Burundi les prétentions sud-africaines à gendarmer mais aussi à remettre sur les rails économiques de turbulents voisins comme le Congo-Kinshasa. Dans ce dernier pays justement, la médiation politique de l'Afrique du Sud n’a d’égale, en détermination, que ses ambitions économiques. Le fils de Govan Mbeki Le Rouge (chef de file communiste de la lutte anti apartheid) porte pour sa part la casquette libérale du Nouveau partenariat du développement en Afrique (Nepad). Thabo Mbeki a aussi étudié en URSS. Mais ses diplômes d’économie sont britanniques.

Pretoria entend développer l’accumulation du capital dans la communauté noire, pour damer le pion aux Blancs sud-africains qui tiennent toujours le haut du pavé économique. Le secteur public entend notamment céder 30% de la société d’électricité Eskom. 10 % sont réservés à des entrepreneurs noirs et 20% à tout investisseur privé intéressé. Dans le secteur minier, l'objectif est de voir les intérêts noirs représenter d’ici cinq ans 15% des capitaux et 26% dans dix ans. Mais à Paris Thabo Mbeki évoquera tout ce qui intéresse l’Afrique - car il estime que cela intéresse aussi la France -, des conflits en cours jusqu’au Nepad, en passant par ce qu’il considère comme «l’injustice du commerce mondial». Il dénonce en particulier les subventions aux agricultures des pays riches.

Pôle économique, militaire et diplomatique sur son continent, Pretoria aspire à jouer dans la cour des Grands, ou, du moins a être reconnue comme un partenaire incontournable en Afrique. Fort de la convergence franco-sud-africaine au sujet de la guerre en Irak, Pretoria se verrait bien par exemple à New-York, au Conseil de sécurité. La diplomatie sud-africaine déplore que lorsque «la France parle de réforme au Conseil de sécurité, c’est pour admettre l’Allemagne ou le Japon comme membres permanents». Alors Pretoria remet la question sur la table en ajoutant : «nous continuerons de lui dire qu’on ne peut élargir le Conseil avec seulement deux membres de plus. Il faut inclure des membres permanents d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine».



par Monique  Mas

Article publié le 17/11/2003