Afrique du Sud
Un réseau d’extrême-droite en procès
Vingt-deux hommes comparaissent devant la justice, pour avoir fait exploser des bombes à travers le pays, mais aussi pour avoir comploté en vue d’assassiner Nelson Mandela. Tous Afrikaners, ces membres d’un réseau d’extrême-droite, le Boeremag, sont accusés de haute trahison. Ils axent leur défense sur «l’illégalité» du régime actuel.
De notre correspondante à Johannesburg
Frederik de Klerk sera appelé à la barre. Le témoignage du dernier président du régime de l’apartheid sera sollicité par l’avocat de 13 des 22 inculpés du Boeremag. Ces hommes sont accusés d’avoir tenté d’assassiner Nelson Mandela, en posant une bombe sur un parcours qu’il devait effectuer en voiture, en octobre dernier, dans la province du Limpopo – et qu’il a finalement choisi de faire en hélicoptère.
L’attaque paraît être la meilleure stratégie de défense pour Paul Kruger, un avocat afrikaner, qui entend démontrer rien moins que l’incompétence de la Haute cour de justice de Pretoria et l’illégalité de la démocratie sud-africaine. Ses arguments : l’adoption irrégulière, en 1995, un an après les premières élections multiraciales, présentées elles aussi comme frauduleuses, d’une Constitution qui n’a jamais reçu l’aval du peuple. L’avocat s’appuie d’autre part sur une règle tacite du droit britannique, en vigueur en Afrique du Sud, selon laquelle toute forme «d’auto-gouvernement», une fois accordée, ne peut plus être retirée. Paul Kruger estime que ses clients, avant 1994, pouvaient exercer une influence sur le pouvoir. Depuis 1994, leur vote n’est plus que «d’importance académique», dit-il. Conclusion : la justice, depuis 1994, ne peut valoir que pour les Noirs –et les Blancs qui ont accepté ce changement–, mais pas pour les autres…
D’ores et déjà, le procureur de la République, Paul Fick, rejeté ces arguments comme «insensés» et «absurdes». «Cela signifie-t-il que le pays se trouve sans gouvernement ? » a-t-il demandé. «Ou que l’ancien Parlement est ressuscité ? Ou que tous les verdicts rendus par la justice sont invalides ?» Paul Fick a par ailleurs affirmé que les deux dernières élections générales, en 1994 et 1999, remportées avec plus de 60 % des voix par l’ANC, ont «de fait» ratifié la nouvelle constitution. Avant 1994, il affirme que les autorités sud-africaines avaient bien mandat pour négocier une nouvelle loi fondamentale – en raison du oui massif en faveur de la fin de l’apartheid, obtenu lors du referendum de 1992.
Le procès s’annonce long et tortueux
Le procès du Boeremag, commencé le 19 mai dernier, s’annonce long et tortueux. Il a encore été suspendu mardi, jusqu’au 4 août, pour permettre à la défense et au procureur de la République de préparer leurs dossiers. Avant l’explosion de neufs bombes à Soweto, dans la nuit du 30 octobre 2002, le Boeremag («force fermière», en Afrikaans) était une organisation inconnue. L’un de ses membres éminents, le médecin généraliste Lets Pretorius, a été arrêté début 2002 dans le cadre d’une affaire de vol de matériel militaire à l’armée. Ses trois fils, eux aussi inculpés, étaient basés dans la province du Limpopo, qui forme avec l’actuel Mpumalanga l’ancienne région ultra-conservatrice du Transvaal.
Les bombes de Soweto ont détruit une mosquée et tué une personne, en faisant tomber un rail dans un bidonville. D’autres explosions, toutes artisanales, ont suivi en novembre à travers le pays – l’une dans un aéroport privé de Midrand, l’autre sous un pont du Kwazulu Natal, la troisième contre un temple bouddhiste de Pretoria… En décembre, la police avait procédé à 18 arrestations et achevé le démantèlement de ce réseau. Un vaste coup de filet, opéré dans les fermes du pays, avait permis de trouver 880 kilogrammes d’explosifs, d’armes et d’équipements militaires.
La taille du réseau découvert paraît sans doute disproportionnée, par rapport à ses objectifs de coup d’État. Des doutes subsistent, chez les analystes politiques, sur la menace réelle que peut représenter l’extrême-droite aujourd’hui. Forte avant les élections de 1994, cette tendance a été neutralisée depuis. Le Front pour la liberté (FF) du général Constand Viljoen a accepté les règles du jeu démocratiques, et est représenté au Parlement. Quant à Eugène Terreblanche, le leader du Mouvement de la résistance afrikaner (AWB), il purge depuis 1997 une peine de 6 ans de prison pour avoir battu deux hommes noirs. L’archevêque Desmond Tutu, ancien président de la Commission vérité et réconciliation (TRC), n’est pas le seul à trouver «extraordinaire, compte tenu de notre passé, que nous n’ayons pas connu plus de cas similaires» au Boeremag.
Frederik de Klerk sera appelé à la barre. Le témoignage du dernier président du régime de l’apartheid sera sollicité par l’avocat de 13 des 22 inculpés du Boeremag. Ces hommes sont accusés d’avoir tenté d’assassiner Nelson Mandela, en posant une bombe sur un parcours qu’il devait effectuer en voiture, en octobre dernier, dans la province du Limpopo – et qu’il a finalement choisi de faire en hélicoptère.
L’attaque paraît être la meilleure stratégie de défense pour Paul Kruger, un avocat afrikaner, qui entend démontrer rien moins que l’incompétence de la Haute cour de justice de Pretoria et l’illégalité de la démocratie sud-africaine. Ses arguments : l’adoption irrégulière, en 1995, un an après les premières élections multiraciales, présentées elles aussi comme frauduleuses, d’une Constitution qui n’a jamais reçu l’aval du peuple. L’avocat s’appuie d’autre part sur une règle tacite du droit britannique, en vigueur en Afrique du Sud, selon laquelle toute forme «d’auto-gouvernement», une fois accordée, ne peut plus être retirée. Paul Kruger estime que ses clients, avant 1994, pouvaient exercer une influence sur le pouvoir. Depuis 1994, leur vote n’est plus que «d’importance académique», dit-il. Conclusion : la justice, depuis 1994, ne peut valoir que pour les Noirs –et les Blancs qui ont accepté ce changement–, mais pas pour les autres…
D’ores et déjà, le procureur de la République, Paul Fick, rejeté ces arguments comme «insensés» et «absurdes». «Cela signifie-t-il que le pays se trouve sans gouvernement ? » a-t-il demandé. «Ou que l’ancien Parlement est ressuscité ? Ou que tous les verdicts rendus par la justice sont invalides ?» Paul Fick a par ailleurs affirmé que les deux dernières élections générales, en 1994 et 1999, remportées avec plus de 60 % des voix par l’ANC, ont «de fait» ratifié la nouvelle constitution. Avant 1994, il affirme que les autorités sud-africaines avaient bien mandat pour négocier une nouvelle loi fondamentale – en raison du oui massif en faveur de la fin de l’apartheid, obtenu lors du referendum de 1992.
Le procès s’annonce long et tortueux
Le procès du Boeremag, commencé le 19 mai dernier, s’annonce long et tortueux. Il a encore été suspendu mardi, jusqu’au 4 août, pour permettre à la défense et au procureur de la République de préparer leurs dossiers. Avant l’explosion de neufs bombes à Soweto, dans la nuit du 30 octobre 2002, le Boeremag («force fermière», en Afrikaans) était une organisation inconnue. L’un de ses membres éminents, le médecin généraliste Lets Pretorius, a été arrêté début 2002 dans le cadre d’une affaire de vol de matériel militaire à l’armée. Ses trois fils, eux aussi inculpés, étaient basés dans la province du Limpopo, qui forme avec l’actuel Mpumalanga l’ancienne région ultra-conservatrice du Transvaal.
Les bombes de Soweto ont détruit une mosquée et tué une personne, en faisant tomber un rail dans un bidonville. D’autres explosions, toutes artisanales, ont suivi en novembre à travers le pays – l’une dans un aéroport privé de Midrand, l’autre sous un pont du Kwazulu Natal, la troisième contre un temple bouddhiste de Pretoria… En décembre, la police avait procédé à 18 arrestations et achevé le démantèlement de ce réseau. Un vaste coup de filet, opéré dans les fermes du pays, avait permis de trouver 880 kilogrammes d’explosifs, d’armes et d’équipements militaires.
La taille du réseau découvert paraît sans doute disproportionnée, par rapport à ses objectifs de coup d’État. Des doutes subsistent, chez les analystes politiques, sur la menace réelle que peut représenter l’extrême-droite aujourd’hui. Forte avant les élections de 1994, cette tendance a été neutralisée depuis. Le Front pour la liberté (FF) du général Constand Viljoen a accepté les règles du jeu démocratiques, et est représenté au Parlement. Quant à Eugène Terreblanche, le leader du Mouvement de la résistance afrikaner (AWB), il purge depuis 1997 une peine de 6 ans de prison pour avoir battu deux hommes noirs. L’archevêque Desmond Tutu, ancien président de la Commission vérité et réconciliation (TRC), n’est pas le seul à trouver «extraordinaire, compte tenu de notre passé, que nous n’ayons pas connu plus de cas similaires» au Boeremag.
par Sabine Cessou
Article publié le 25/06/2003