Afrique du Sud
Le secteur privé sollicité pour verser des réparations
Un nouvel impôt pourrait être annoncé, le 15 avril, afin de voir le secteur privé contribuer aux réparations dues aux victimes de l’apartheid. Des victimes qui poursuivent par ailleurs en justice les multinationales accusées d’avoir collaboré avec l’ancien régime.
De notre correspondante à Johannesburg
Un accueil plutôt froid a été réservé à l’appel, lancé le 20 mars dernier par Desmond Tutu, ancien président de la Commission vérité et réconciliation (TRC), de voir le secteur privé contribuer aux réparations demandées par les victimes de l’apartheid. Laurence Stuart-Hill, un armateur, a affirmé que le black economic empowerment (cession de capital à des actionnaires noirs ou partenariats en joint-venture) était, en soi, une «manière de réparer le passé». De son côté, un porte-parole du brasseur SAB-Miller a déclaré que son groupe n’avait en rien bénéficié de l’apartheid, «contrairement aux producteurs du vin», une lourde taxe ayant été imposée sur la bière, mais pas sur les crus de la région du Cap…
En remettant son rapport final au président Thabo Mbeki, le 20 mars, la TRC a recommandé l’institution d’un impôt sur la fortune ou d’une taxe sur les revenus des sociétés. Elle a également montré du doigt des secteurs d’activité ayant particulièrement profité de l’apartheid : les mines, les banques étrangères (suisses notamment) et l’énergie, avec Eskom, bien que la société nationale d’électricité soit aujourd’hui l’une des entreprises les plus «transformées» du pays, ayant adopté une politique active d’affirmative action (recrutement et de promotion des effectifs noirs).
Entre 1996 et 1998, pendant les audiences de la TRC, quelque 20 000 personnes se sont portées candidates au versement de réparations, au titre des violations des droits de l’Homme commises sous l’ancien régime. La nouvelle démocratie sud-africaine, dirigée depuis 1994 par le Congrès national africain (ANC), rechigne à mettre seule la main à la poche.
Main d’œuvre taillable et corvéable à merci
Des discussions informelles ont eu lieu le 11 avril, et le président Thabo Mbeki devrait annoncer sa décision, aujourd’hui, au cours d’une session spéciale du Parlement sur la question. Au mieux, estiment certains analystes, les sociétés se verront imposer une taxe symbolique, qui aura pour principale vertu d’alléger le climat de culpabilité dans lequel le secteur privé opère depuis la fin de l’apartheid. Les polémiques n’ont jamais vraiment cessé, depuis 1994, sur la responsabilité des entreprises dans la mise en place et la pérennisation de l’apartheid. Un régime, dénonce l’ANC, qui a fourni aux industriels blancs, entre 1948 et 1991, une main d’œuvre noire taillable et corvéable à merci. Les audiences de la TRC sur ce chapitre n’ont duré qu’une semaine, et n’ont rien réglé. Les autorités du pays sont prises entre la nécessité de préserver un statu quo avec la communauté blanche, toujours aux commandes de l’économie, et celle de satisfaire l’opinion noire, qui s’estime toujours lésée.
Pour Michael Spicer, directeur des affaires publiques de l’Anglo American, le versement de réparations ne paraît guère «approprié». Son argument : l’environnement politique comme celui des affaires a radicalement changé, et la «transformation» des industries du pays est en cours, par le biais de l’affirmative action et du black economic empowerment. L’Anglo American, cependant, a tout intérêt à un règlement à l’amiable, entre Sud-Africains. Le groupe minier conteste en effet la légitimité de toute action en justice entreprise à l’étranger, alors qu’une solution peut-être trouvée au sein même des institutions démocratiques en Afrique du Sud.
En fait, un compromis avec Pretoria pourrait servir de riposte idéale à la maison minière, contre le procès que lui intente un groupe de victimes de l’apartheid. Ed Fagan, avocat américain renommé pour avoir obtenu 1,25 milliard de dollars de réparations de grands groupes allemands et suisses, au nom des victimes juives du régime nazi, a annoncé le 4 avril demander rien moins que 6,1 milliards de dollars à l’Anglo American. La nouvelle a semé le doute sur les marchés, et l’action du géant minier a aussitôt perdu 3,4 % de sa valeur à la Bourse de Londres.
Vue d’Afrique du Sud, cette démarche paraît aussi intéressée que théâtrale aux yeux des milieux d’affaires. Michael Spicer, lui, dénonce le «show business» auquel se livre Ed Fagan, dont les honoraires seront calculés en fonction d’un pourcentage sur les sommes récoltées par ses clients. Le gouvernement sud-africain, s’il ne soutient pas la démarche des victimes de l’apartheid, s’est bien gardé de s’y opposer.
Un accueil plutôt froid a été réservé à l’appel, lancé le 20 mars dernier par Desmond Tutu, ancien président de la Commission vérité et réconciliation (TRC), de voir le secteur privé contribuer aux réparations demandées par les victimes de l’apartheid. Laurence Stuart-Hill, un armateur, a affirmé que le black economic empowerment (cession de capital à des actionnaires noirs ou partenariats en joint-venture) était, en soi, une «manière de réparer le passé». De son côté, un porte-parole du brasseur SAB-Miller a déclaré que son groupe n’avait en rien bénéficié de l’apartheid, «contrairement aux producteurs du vin», une lourde taxe ayant été imposée sur la bière, mais pas sur les crus de la région du Cap…
En remettant son rapport final au président Thabo Mbeki, le 20 mars, la TRC a recommandé l’institution d’un impôt sur la fortune ou d’une taxe sur les revenus des sociétés. Elle a également montré du doigt des secteurs d’activité ayant particulièrement profité de l’apartheid : les mines, les banques étrangères (suisses notamment) et l’énergie, avec Eskom, bien que la société nationale d’électricité soit aujourd’hui l’une des entreprises les plus «transformées» du pays, ayant adopté une politique active d’affirmative action (recrutement et de promotion des effectifs noirs).
Entre 1996 et 1998, pendant les audiences de la TRC, quelque 20 000 personnes se sont portées candidates au versement de réparations, au titre des violations des droits de l’Homme commises sous l’ancien régime. La nouvelle démocratie sud-africaine, dirigée depuis 1994 par le Congrès national africain (ANC), rechigne à mettre seule la main à la poche.
Main d’œuvre taillable et corvéable à merci
Des discussions informelles ont eu lieu le 11 avril, et le président Thabo Mbeki devrait annoncer sa décision, aujourd’hui, au cours d’une session spéciale du Parlement sur la question. Au mieux, estiment certains analystes, les sociétés se verront imposer une taxe symbolique, qui aura pour principale vertu d’alléger le climat de culpabilité dans lequel le secteur privé opère depuis la fin de l’apartheid. Les polémiques n’ont jamais vraiment cessé, depuis 1994, sur la responsabilité des entreprises dans la mise en place et la pérennisation de l’apartheid. Un régime, dénonce l’ANC, qui a fourni aux industriels blancs, entre 1948 et 1991, une main d’œuvre noire taillable et corvéable à merci. Les audiences de la TRC sur ce chapitre n’ont duré qu’une semaine, et n’ont rien réglé. Les autorités du pays sont prises entre la nécessité de préserver un statu quo avec la communauté blanche, toujours aux commandes de l’économie, et celle de satisfaire l’opinion noire, qui s’estime toujours lésée.
Pour Michael Spicer, directeur des affaires publiques de l’Anglo American, le versement de réparations ne paraît guère «approprié». Son argument : l’environnement politique comme celui des affaires a radicalement changé, et la «transformation» des industries du pays est en cours, par le biais de l’affirmative action et du black economic empowerment. L’Anglo American, cependant, a tout intérêt à un règlement à l’amiable, entre Sud-Africains. Le groupe minier conteste en effet la légitimité de toute action en justice entreprise à l’étranger, alors qu’une solution peut-être trouvée au sein même des institutions démocratiques en Afrique du Sud.
En fait, un compromis avec Pretoria pourrait servir de riposte idéale à la maison minière, contre le procès que lui intente un groupe de victimes de l’apartheid. Ed Fagan, avocat américain renommé pour avoir obtenu 1,25 milliard de dollars de réparations de grands groupes allemands et suisses, au nom des victimes juives du régime nazi, a annoncé le 4 avril demander rien moins que 6,1 milliards de dollars à l’Anglo American. La nouvelle a semé le doute sur les marchés, et l’action du géant minier a aussitôt perdu 3,4 % de sa valeur à la Bourse de Londres.
Vue d’Afrique du Sud, cette démarche paraît aussi intéressée que théâtrale aux yeux des milieux d’affaires. Michael Spicer, lui, dénonce le «show business» auquel se livre Ed Fagan, dont les honoraires seront calculés en fonction d’un pourcentage sur les sommes récoltées par ses clients. Le gouvernement sud-africain, s’il ne soutient pas la démarche des victimes de l’apartheid, s’est bien gardé de s’y opposer.
par Sabine Cessou
Article publié le 15/04/2003