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Afrique du Sud

Pretoria cherche à exporter son propre modèle

A Paris, l’Afrique du Sud est parfois perçue comme un pouvoir anglophone, inséré dans la sphère d’influence britannique en Afrique. Et par là même, un concurrent potentiel de Paris, ancienne puissance coloniale… A Pretoria, les enjeux paraissent très différents.
De notre correspondante à Johannesburg

En 1994, l’Afrique du Sud s’ouvrait à peine sur le monde, non sans quelques réticences vis-à-vis de l’Afrique, qu’elle commençait à découvrir à travers ses vagues d’immigrés zaïrois et nigérians, déferlant sur Johannesburg. «L’Afrique du Sud d’abord», tel était le credo d’Alfred Nzo, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Nelson Mandela.

Le président Thabo Mbeki, aujourd’hui, tient tête au monde entier sur le Zimbabwe, plaidant pour la réintégration de son voisin au sein du Commonwealth, après un an de suspension. Le chef de l’Etat sud-africain n’hésite pas non plus à prendre l’initiative sur l’Irak. Il a annoncé le 14 février l’envoi à Bagdad d’une équipe de spécialistes sud-africains de l’armement nucléaire. Hans Blix, l’inspecteur en chef des Nations unies, a cité l’Afrique du Sud comme un «modèle» de coopération en matière de désarmement, après la fin de l’apartheid. Et d’inviter l’Irak à l’imiter.

Cette idée de «modèle» est l’une des clés de la politique extérieure sud-africaine. «Nous cherchons à exporter notre propre miracle, une approche inclusive de négociation d’une solution avec toutes les parties concernées», explique Jackie Cilliers, directeur de l’Institut des études stratégies (ISS), à Pretoria. Animé par un rêve de «renaissance africaine», Thabo Mbeki, élu président en 1999, a définitivement sorti l’Afrique du Sud de son isolationnisme. Au grand dam de certains, y compris dans les rangs du Congrès national africain (ANC, au pouvoir), qui auraient préféré voir le pays régler ses propres problèmes avant de régler ceux des autres, sur le continent.

Pretoria paie sa dette à l’Afrique

L’Afrique du Sud de Thabo Mbeki n’a pas assumé un nouveau leadership en raison d’un quelconque poids économique. Ce marché émergent, le seul du continent noir, représente certes la moitié de l’économie subsaharienne. «Nos entreprises publiques bénéficient peut-être de contacts politiques, mais il n’y a pas d’alignement entre l’ANC et le grand capital blanc, qui était l’ancien ennemi, affirme un directeur noir d’une grande maison minière. L’Afrique du Sud peut donner l’impression d’être en RDC pour les minerais, mais le personnel de notre ambassade à Kinshasa ne sait strictement rien des opportunités d’affaires dans ce secteur».

En tant que dernier Etat à s’être libéré du joug colonial, en 1994, l’Afrique du Sud a voulu payer sa dette à l’Afrique, pour la solidarité manifestée pendant les années de lutte contre l’apartheid. Avant le lancement du Nepad auprès du G8, l’an dernier, en partenariat avec le Nigérian Olusegun Obasanjo et le Sénégalais Abdoulaye Wade, les deux grandes étapes décisives du leadership sud-africain en Afrique sont passées par le Burundi et la République démocratique du Congo (RDC). Au Burundi, où Nelson Mandela avait accepté, après la mort du Tanzanien Julius Nyerere, de poursuivre un effort de médiation, c’est désormais Jacob Zuma, le vice-président, qui oeuvre pour la paix. Fortes de 700 hommes, des troupes d’interposition sud-africaines sont déployées depuis la fin 2001, sans mandat des Nations unies, pour veiller au bon déroulement d’une période de transition.

En RDC, la solution du conflit paraît encore lointaine. Le dialogue intercongolais s’est avéré une épreuve fastidieuse et sans grand résultat concret, les combats se poursuivant sur le terrain. Thabo Mbeki a tout de même réussi l’exploit de faire signer, le 30 juillet 2002 à Pretoria, un accord de paix entre Paul Kagamé, le président du Rwanda, et Joseph Kabila, l’homme fort de Kinshasa. Accord suivi d’effet, puisque les troupes rwandaises ont entamé leur retrait de l’est de la RDC.

L’Afrique du Sud, qui passera cette année le relais de la présidence de l’Union africaine (UA), mais aussi du Mouvement des non-alignés (MNA), prend son rôle très au sérieux. «Thabo Mbeki a pu être maladroit, confie un diplomate ouest-africain en poste à Pretoria, son style a parfois irrité, par manque de connaissances et par manque de consultation, mais jamais par manque de bonne volonté. Son engagement, rare chez les dirigeants africains contemporains, a permis de repositionner l’Afrique du Sud comme un acteur essentiel en Afrique».



par Sabine  Cessou

Article publié le 19/02/2003