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Afrique du Sud

Le gouvernement veut endiguer la fuite des cerveaux

La fin de l’apartheid n’a pas mis fin à la fuite des cerveaux, bien au contraire. Et cette tendance inquiète les autorités qui ne savent comment l’enrayer.
De notre correspondante à Johannesbourg

Des intellectuels noirs comme Temba Nolutshungu, directeur de la Fondation pour le libre marché (FMF), ne pourront plus dire que «la position politiquement correcte consiste à dire que ceux qui partent n’ont pas le sens des responsabilités, sont des traîtres antipatriotiques ou bien ne peuvent pas accepter une société dirigée par des Noirs». Le gouvernement a en effet cessé de minimiser la fuite des cerveaux. Ce tournant important a été marqué fin octobre par la ministre de la Santé Manto Tshabalala-Msimang, qui a qualifié de «menace pour le système de santé» l’exode massif des médecins et infirmières.

Loin d’avoir diminué, cette fuite amorcée avec la fin de l’apartheid, au début des années 1990, commence à inquiéter. Et pour cause. Certains hôpitaux, dans des zones rurales où personne ne veut s’installer, sont désormais condamnés à fonctionner sans infirmières. Au cœur de la province du Cap oriental, l’Hôpital de Mount Fletcher ne compte que deux médecins, pour un district de 250 000 habitants. Depuis le mois de juin, aucun des 65 postes d’infirmières vacants n’a été pourvu. Dans les grandes villes, le tableau s’avère tout aussi sombre. Gauteng, la province industrielle de Johannesburg et Pretoria, a perdu 5 700 professionnels de la santé entre 2000 et 2001, un huitième des effectifs totaux de ses hôpitaux.

Les 300 infirmières quittent le pays chaque mois depuis le début de cette année se rendent en Grande-Bretagne, aux États-Unis et au Canada, où elles se voient proposer de meilleurs salaires et conditions de travail. Selon le ministère de la Santé, plus de 5 000 médecins sud-africains résident à l’étranger. Au total, le quart des médecins formés entre 1990 et 1999 a quitté le pays.

«L’argent n’explique pas tout, affirme Ratsheng Masebe, un jeune généraliste noir. Le système de santé publique s’est tellement dégradé ces dernières années, avec pénuries d’outils aussi élémentaires que des seringues, que je me suis moi-même reconverti dans le secteur privé». Dans son cabinet de Soweto, la plus grande township de pays, Ratsheng Masebe rêve encore de lendemains meilleurs. «Mes patients n’ont pas d’argent pour payer les consultations, explique-t-il. Je ne peux pas refuser les malades. Si je le pouvais, en revanche, j’irai demain m’installer à Londres, pour gagner ma vie en livres sterling, et non en rands».

Mesures ciblées

La dépréciation rapide de la monnaie nationale n’a fait qu’accentuer l’émigration des professionnels, médecins, mais aussi informaticiens, ingénieurs et enseignants, les catégories les plus touchées. Il est vrai que les classes moyennes et supérieures, l’an dernier, ont très mal vécu la chute de 39 % du rand. Cette dépréciation a privé beaucoup de leurs nouveaux modèles de voitures importées, ou de leurs vacances en Europe, devenues hors de prix. Résultat : entre janvier et juin 2002, le nombre de personnes qualifiées à avoir quitté le pays a augmenté de 18 %, selon les statistiques officielles.

Plus inquiétant, encore, quelque 14 % de tous les diplômés de l’enseignement supérieur, Blancs comme Noirs, partent à l’étranger. Si beaucoup reviennent, d’autres privent le pays de leur compétences pour toujours. Selon l’Université d’Afrique du Sud (Unisa), l’émigration de 11 000 diplômés représente un manque à gagner de 2,2 milliards de rands dans le revenu national.

Aussi les autorités planchent-elles sur des mesures «ciblées», telles que des augmentations de salaires dans la fonction publique. L’Afrique du Sud voudrait par ailleurs voir les pays membres de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) suivre l’exemple du Commonwealth, en adoptant un code de conduite sur le recrutement des personnels de santé. Un petit pas pour éradiquer des pratiques comparées à du «braconnage» par Manto Tshabalala-Msimang, la ministre de la Santé.

En attendant les premières mesures, une inconnue majeure persiste dans le débat sur le «brain drain». Elle porte sur le nombre de Sud-Africains qui reviennent, après quelques années passées à l’étranger. Beaucoup seraient frappés par le «biltong blues», une expression en vogue chez les Sud-Africains de l’étranger, qui décrit leur nostalgie du bœuf séché, une spécialité culinaire nationale. Certains rentrent rapidement au pays natal, faute de s’être adaptés à un climat moins ensoleillé et à des conditions de vie moins confortables, loin des villas avec piscine et employés de maison.



par Sabine  Cessou

Article publié le 13/11/2002