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Afrique du Sud

Mystérieuses bombes à Soweto

Rappelant les mauvais souvenirs du temps de l’apartheid, neuf explosions ont secoué Soweto, la plus grande township noire du pays, dans la nuit du 29 au 30 octobre. Entre minuit et 4 heures du matin, une série de déflagrations a touché une mosquée et plusieurs lignes de voies ferrées. Une femme a été tuée par la chute d’un rail sur sa cabane, dans l’un des bidonvilles de Soweto. Le mystère le plus complet demeure, ces attentats n’ayant pas été revendiqués. La confusion s’est même aggravée, après la découverte d’une autre bombe, mercredi, dans un temple bouddhiste de Pretoria, par des ouvriers qui y réalisaient des travaux de construction.
De notre correspondante à Johannesbourg

Pour l’instant, les mystérieuses bombes auront surtout révélé le climat politique qui règne dans le pays. Parmi les défenseurs d’une Afrique du Sud «démocratique» et «réconciliée» ont figuré, en première ligne, l’ancien président blanc Frederik De Klerk, de même que Tony Leon, ténor blanc du principal parti d’opposition, le Parti démocratique (DP). Les nationalistes zoulous de l’Inkhata, eux, ont condamné des actes «moralement répugnants».

Ce beau consensus n’a pas empêché beaucoup de responsables politiques et syndicaux d’imputer la responsabilité des attentats à des ennemis tout désignés. Les syndicats noirs du Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu), de même que Jackie Selebi, l’impulsif directeur de la police nationale, et le Congrès panafricain (PAC), un petit parti de la gauche noire radicale, ont immédiatement accusé l’extrême droite blanche et conservatrice. Le choix de Soweto, la capitale noire du pays, semble indiquer que la communauté noire était visée. Par ailleurs, la présence de deux hommes blancs, toujours quelque peu inhabituelle à Soweto, surtout la nuit, a été signalée par des témoins à la police. Les suspects ont été aperçus aux abords d’une station service où une bombe a ensuite été découverte, puis désamorcée.
Les soupçons qui pèsent sur l’extrême droite sont renforcés par un complot, découvert en août dernier, semble-t-il mené par des groupuscules en vue d’un coup d’État. Ces groupes obscurs auraient recruté dans l’armée, où de nombreux officiers blancs de l’ancien régime sont toujours en place. Quinze suspects ont été arrêtés, mais aucune lumière n’a été faite sur cette affaire.

De leur côté, les petits partis minoritaires qui représentent la droite la plus conservatrice au Parlement, comme le Front pour la liberté (FF), n’ont pas nié que la «frustration monte dans la communauté Afrikaner». Bien qu’une mosquée ait été endommagée, ils ont montré du doigt «les fondamentalistes religieux», sans nommer la milice islamiste et métisse du Cap, les Gens contre la drogue et le gangstérisme (Pagad). Entre 1998 et 2000, le Pagad s’est en effet vu reprocher, sans que toutes les preuves aient été apportées, l’explosion de 21 bombes qui ont fait 3 morts et 150 blessés. La vague d’attentats traversée la ville la plus touristique du pays s’est arrêtée grâce à une intervention musclée de la police et des services de renseignement. Bien qu’il existe encore, le Pagad a été de facto démantelé, avec l’arrestation et l’incarcération de ses principaux leaders.

Des explosifs en vente libre

Faute de toute piste sérieuse, Thabo Mbeki, le chef de l’État, a fustigé «des criminels qui veulent lancer une campagne terroriste en Afrique du Sud». De son côté, le Congrès national africain (ANC), au pouvoir, a évoqué une «tentative subversive de déstabilisation du pays». Il n’a pas été jusqu’à parler de «troisième force», une expression typique du vocabulaire de l’ANC, qui prend très au sérieux toute menace de «contre-révolution». Si les conservateurs blancs les plus virulents ne sont guère jugés capables de rétablir l’apartheid en Afrique du Sud, ils sont toujours suspectés de vouloir rendre le pays ingouvernable.

«Le Cosatu prévient l’extrême-droite que nous défendrons par tous les moyens la révolution démocratique», a ainsi déclaré Vukani Mde, un porte-parole de la centrale syndicale noire, qui a été aux avant postes de la lutte contre l’apartheid dans les années 1980, aux côtés de l’ANC. «Les travailleurs de ce pays iront se battre et vaincre toute tentative de restauration de la suprématie blanche dans ce pays», a précisé Vukani Mde.

Tout ce que la police semble savoir, pour le moment, c’est que les explosifs utilisés se trouvent en vente libre, pour un usage normalement destiné aux mines. Aussi des voix se sont-elles élevées pour l’adoption rapide d’une loi restreignant la vente de tels produits, aussi aisément accessibles en Afrique du Sud que les armes à feu.



par Sabine  Cessou

Article publié le 31/10/2002