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Afrique du Sud

Le Zimbabwe divise la nation arc-en-ciel

«Enfin un espoir pour le Zimbabwe», a titré samedi le Saturday Star. Tout le week-end, la presse sud-africaine a présenté comme imminent le départ de Robert Mugabe. Il n’y a pas que l’opinion blanche, très remontée, qui critique la diplomatie silencieuse adoptée par Thabo Mbeki, en visite à Harare le 5 mai, à l’égard de Robert Mugabe. Les syndicats noirs s’impatientent aussi, au grand dam du pouvoir.
De notre correspondante en Afrique du Sud.

Quinze jours après une sévère mise en garde américaine à l’encontre du Zimbabwe, Thabo Mbeki, le chef de l’Etat sud-africain, Olusegun Obasanjo, son homologue nigérian et Bakili Muluzi, le président du Malawi, ont effectué une visite, lundi, à Harare. Leur objectif: convaincre Robert Mugabe de passer le relais à un autre leader de son parti, plus jeune, susceptible de former un gouvernement d’unité nationale et –requête américaine– d’organiser une élection présidentielle dès 2005. A Harare, ce scénario laisse sceptique. Le même plan de sortie de crise est préconisé par l’Afrique du Sud et le Nigeria, en vain, depuis la réélection contestée, en mars 2002, de Robert Mugabe. En butte au refus du Mouvement démocratique pour le changement (MDC), le principal parti d’opposition, de considérer le président comme un élu légitime, ce plan achoppe aussi sur la détermination de Robert Mugabe à rester au pouvoir. A 79 ans, aux commandes du pays depuis 23 ans, Robert Mugabe a bien l’intention d’accomplir son mandat jusqu’à son terme, en 2008.

En Afrique du Sud, les espoirs paraissent proportionnels aux craintes qu’inspire le Zimbabwe. L’opposition blanche et métisse du Parti démocratique (DP) n’a de cesse de voir partir Robert Mugabe, qui passe pour un archétype du dirigeant africain autocrate et corrompu. «Ce qui se passe au Zimbabwe arrive avec 20 ou 30 ans de retard chez nous», affirme Ian Rossouw, un grand fermier afrikaner. Ce dernier redoute des invasions de fermes, mais aussi la «zanufication» du Congrès national africain (ANC). L’ancien mouvement de libération nationale pourrait être un jour tenté, pense-t-il, par les dérives autocratiques de l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF) de Mugabe.

L’impact de la réforme agraire

Thabo Mbeki, de son côté, affirme que la question de la terre en Afrique du Sud est «pire» qu’au Zimbabwe. Et pour cause: 50 000 fermiers blancs se partagent encore 80% des terres arables –contre 4500 fermiers blancs et 65 % des terres au Zimbabwe, avant la redistribution rapide achevée l’an dernier. Thoko Didiza, la ministre sud-africaine de l’Agriculture, a emmené du 29 au 31 janvier au Zimbabwe une délégation de fermiers sud-africains, noirs et blancs, pour étudier la réforme agraire au Zimbabwe. Au retour, les avis ont été diamétralement opposés. Les grands exploitants blancs ont parlé d’un «gâchis», et les petits fermiers noirs d’un «succès».

Quant à la diplomatie «silencieuse» adoptée par Thabo Mbeki à l’égard du Zimbabwe, elle est de plus en plus critiquée. Lors du dernier congrès de l’ANC, en décembre, la moitié de la salle est restée de marbre, tandis que l’autre a ovationné Emmerson Mnangagwa, un cacique de la Zanu-PF invité à la tribune. Seuls les observateurs électoraux sud-africains ont trouvé «libre et juste» le scrutin de mars 2002, entaché de lourdes fraudes. Nkosazana Dlamini-Zuma, la ministre sud-africaine des Affaires étrangères, a provoqué la colère chez les Zimbabwéens, en marquant à plusieurs reprises sa loyauté à l’égard de l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (Zanu-PF), ancien compagnon de route du temps de la lutte contre l’apartheid.

«Si l’ANC a tendance à s’identifier avec la Zanu-PF, c’est que ses dirigeants projettent sur le Zimbabwe leurs propres craintes», affirme Jackie Cilliers, directeur de l’Institut des études stratégiques (ISS) de Pretoria. Né d’un mouvement syndical en 1999, le MDC a pris en moins de trois ans un essor fulgurant. Dès 2000, il s’est révélé majoritaire dans les villes et dans tout le sud du pays. En fait, le MDC ressemble au parti que pourrait lancer le Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu), un allié historique de l’ANC. L’idée fait d’autant plus peur, à Pretoria, qu’elle est sérieusement envisagée dans les coulisses de la centrale syndicale sud-africaine. Alors que le succès du MDC fait rêver les syndicalistes noirs, il fait cauchemarder l’ANC. Le parti de Thabo Mbeki n’est assuré de son hégémonie que s’il évite la scission dans ses propres rangs et l’émergence d’une opposition noire et crédible.



par Sabine  Cessou

Article publié le 06/05/2003