Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Environnement

A chacun ses bateaux-poubelles

Dans la série des bateaux-poubelles dont personne ne veut, il y a aujourd’hui le Caloosahatchee et le Canisteo, deux «vieux» pétroliers ravitailleurs de l’US Navy bourrés de substances toxiques, qui naviguent vers le chantier naval de Hartlepool, au nord-est de l’Angleterre, dans lequel ils devaient être démantelés par une société locale. Face au danger que ces navires représentent pour l’environnement, la justice britannique a été saisie et a décidé, pour répondre à l’urgence, d’interdire le début des travaux avant le 8 décembre prochain.
Le périple du Caloosahatchee et du Canisteo n’est peut-être pas fini. Après avoir traversé l’Atlantique dans le sens Etats-Unis-Grande-Bretagne, ils pourraient bien repartir dans la direction inverse. Ils ne sont, en effet, pas les biens venus à Hartlepool, le port britannique où ils étaient censés finir leurs jours après avoir été démantelés et dépollués par une société locale, Able UK. Ces deux navires construits à la fin des années 40, ont terminé leur vie active en tant que pétroliers ravitailleurs et font partie d’un stock de vaisseaux retraités et vétustes dont l’armée américaine doit se débarrasser. Ils n’ont plus que la valeur de la masse de métal à récupérer après décontamination. Car ils sont pleins d’amiante, de PCB (polychlorobiphényls), d’hydrocarbures et représentent, selon les associations écologistes, un véritable danger pour l’environnement. Pour James Puckett, l’un des responsables du Basel Action Network, qui regroupe des organisations comme Greenpeace ou Les Amis de la Terre, «leur état d’usure ajouté à leur contenu polluant signifie que des bombes à retardement flottantes se dirigent vers l’Europe».

C’est pour cette raison que depuis plusieurs jours déjà, la justice britannique a été saisie de l’affaire par des ONG mais aussi par le conseil municipal de Hartlepool, qui craint que les deux navires ne présentent un risque très important pour les réserves ornithologiques de la région, et demande tout bonnement qu’ils repartent d’où ils viennent. Mais les choses ne sont pas si simples. Le gouvernement britannique a, malgré les protestations, autorisé les deux bateaux à se rendre à Hartlepool car un retour immédiat aux Etats-Unis semble être une solution «irréalisable», compte tenu des conditions météorologiques saisonnières qui rendraient une nouvelle traversée de l’Atlantique trop périlleuse. Et en attendant d’en débattre sur le fond, la Haute cour de justice de Londres a décidé que les deux navires ne pourraient en aucun cas faire l’objet des travaux prévus avant le 8 décembre.

Le Clémenceau erre en Méditerranée

La requête de la société Able UK contre la décision de l’Agence britannique de l’Environnement qui lui interdit de mener les travaux prévus sur les deux navires et lui occasionnent donc des pertes financières importantes (320 000 euros par semaine) ne sera, en effet, pas examinée avant cette date. Mais la ministre britannique de l’Environnement, Margaret Beckett, a d’ores et déjà déclaré qu’elle avait prévenu les Etats-Unis que le démantèlement des deux bateaux ne pourraient pas être effectué sur place «en raison des lois internationales». L’hypothèse d’un retour à la case départ est donc tout à fait envisageable à terme.

Dans l’intervalle, au problème de la destination finale du Caloosahatchee et du Canisteo viendra s’ajouter celui des deux autres navires américains, actuellement au milieu de l’Atlantique, qui doivent les rejoindre à Hartlepool d’ici une semaine. Car le Caloosahatchee et le Canisteo étaient en quelque sorte les éclaireurs d’un groupe de treize navires dont le démantèlement a été négocié avec Able UK. Mais seuls les quatre premiers ont quitté les Etats-Unis. Les neuf autres sont, pour le moment, bloqués par une injonction prononcée au mois d’octobre. Il s’agit de la première vague d’exportations de navires américains bons pour la casse depuis 1994, date à laquelle le président Clinton avait donné un coup d’arrêt à cette pratique qui consistait à faire détruire les bateaux américains à l’étranger.

Cette affaire pose une nouvelle fois le problème des conditions de destructions des «vieux» navires, surtout lorsqu’ils ont été construits avec des matériaux dangereux et des produits toxiques. L’aventure du porte-avions français Clémenceau, qui se trouve depuis le mois d’octobre au large de la Sicile faute d’avoir pu être acheminé vers un port pour être désamianté avant d’être vendu en pièces détachées, en offre une autre illustration. Cédé à une société ibérique chargée de réaliser la dépollution dans un port espagnol, il s’est retrouvé en train de voguer vers la Turquie où il n’avait rien à faire. Alertées de ce manquement au contrat passé, les autorités françaises l’ont résilié. Mais aucune solution de rechange n’a, pour le moment, été trouvée malgré les contacts pris avec une autre société, allemande cette fois.

C’est en vertu de la convention de Bâle, entrée en vigueur en 1992, que la France a rompu son contrat avec la société espagnole qui voulait effectuer la dépollution en Turquie, donc hors de l’Union européenne. Le texte stipule, en effet, que les pays ne peuvent exporter leurs «déchets» qu’une fois la dépollution faite. Mais dans la pratique, la plupart des opérations de démantèlement des navires ont lieu dans des pays du sud, surtout en Asie (Inde et Chine notamment) dans des conditions déplorables pour l’environnement et les ouvriers. C’est contre ce phénomène que luttent de nombreuses associations écologistes qui demandent l’adoption d’un règlement international qui assimile les navires aux déchets toxiques et qui contraignent les propriétaires à gérer leur démantèlement de manière sécurisée. Le ministre irlandais de l’Environnement Dermot Ahern a d’ailleurs indiqué à ce propos que la question de la navigation des bateaux-poubelles ferait partie des «priorités» de son pays qui doit accéder à la présidence de l’Union européenne en janvier 2004.



par Valérie  Gas

Article publié le 10/11/2003