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Géorgie

Des défis de taille pour le nouveau pouvoir

Fidèle à sa réputation de fin négociateur, «le renard blanc du Caucase», qui a très vite compris que ses velléités de se maintenir au pouvoir étaient désormais vaines, a jeté dimanche soir l’éponge. Mais sa démission obtenue par une vague de contestation populaire sans précédent risque de réveiller les séparatismes. La jeune opposition géorgienne, qui doit déjà faire face à une économie en lambeaux aggravée par une corruption et une impunité endémiques, devra en effet tenter de se concilier le grand voisin russe, qui depuis l’indépendance de la Géorgie, a insidieusement encouragé les dissidences dans un pays multiethnique.
Le départ d’Edouard Chevardnadzé s’est certes fait sans effusion de sang. Mais, à en croire certains analystes, la crise politique ne fait que commencer en Géorgie, un pays en proie non seulement à des luttes internes mais surtout à des convoitises de la part de Moscou et Washington pour qui il représente un enjeu stratégique. Si les leaders de l’ancienne opposition, aujourd’hui au pouvoir, ont choisi de s’inscrire dans la légalité en affirmant vouloir faire respecter la Constitution, ils risquent en effet d’avoir le plus grand mal à gérer les pressions extérieures. La nouvelle présidente par intérim, Nino Bourdjnadzé a ainsi très vite annoncé qu’une élection présidentielle serait convoquée dans les 45 jours. «Je crois nécessaire, a-t-elle souligné, de tenir une élection aussi vite que possible, précisant que le pays avait «besoin de stabilité». Cette femme de 39 ans, qui représente «l’opposition tranquille», a en outre affirmé qu’elle comptait suivre «l’orientation politique juste» choisie par son prédécesseur citant notamment, au risque de déplaire au Kremlin, «les valeurs occidentales» et «le partenariat stratégique avec les Etats-Unis» qui ont valu à Edouard Chevardnadzé une partie de ses déboires avec Moscou.

Cette position de Nino Bourdjnadzé est largement partagée par les deux autres leaders de l’opposition qui ont mené ces dernières semaines la contestation en Géorgie. Le Mouvement national de Mikhaïl Saakachvili –un brillant juriste de 35 ans qui a fait ses débuts en politique sous Edouard Chevardnadzé avant de prendre la tête de l’opposition radicale– et le Bloc démocratique de Zourab Jvania –ancien président du parlement avant d’entrer en dissidence– et la présidente par intérim devraient incontestablement profiter du mouvement populaire qui a conduit à la démission de l’ancien chef de l’Etat. Mais sauront-ils travailler ensemble ? Leurs détracteurs affirment que leur alliance n’est que de circonstance et risque très rapidement de voler en éclats. D’autres analystes au contraire estiment que face aux défis qui les attendent les partis de l’ancienne opposition n’ont pas d’autres choix que celui de travailler la main dans la main. Ils héritent en effet d’un pays à l’économie en lambeaux. La Géorgie qui fut le verger et le vignoble de l’Union soviétique est aujourd’hui minée par la pauvreté. Ainsi 54% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté selon les chiffres de la Banque mondiale qui précise que le salaire moyen des fonctionnaires n’excède pas les 20 dollars par mois.

Un enjeu stratégique pour Washington et Moscou

Plus de dix ans de pouvoir d’Edouard Chevardnadzé ont en outre plongé le pays dans une corruption quasi-généralisée ne profitant qu’à un cercle étroit qui compte 200 à 300 proches tout au plus de l’ancien président. Son neveu notamment avait le contrôle du pétrole et des cigarettes, son gendre la direction de la première compagnie de téléphonie mobile tandis que le père de sa belle-fille avait la haute main sur le port de Poti, sur la mer noire. L’économie parallèle a par ailleurs privé l’Etat des ressources de l’impôt dont étaient exonérés les puissants du pays. Et à croire l’ancienne opposition, la contrebande a laissé échapper des sommes représentant un quart du budget de l’Etat. Le nouveau pouvoir devra en outre s’attaquer à l’impunité qui depuis une décennie a été un frein au développement de la Géorgie. C’est ce grave fléau qui avait d’ailleurs poussé Mikhaïl Saakachvili, alors jeune ministre de la Justice d’Edouard Chevardnadzé, à jeter l’éponge et prendre la tête de l’opposition radicale.

Mais ces défis, certes importants, qui attendent le nouveau pouvoir semblent bien moins compliqués à résoudre au regard des menaces multiples qui pèsent sur la cohésion voire l’unité du pays. Tbilissi est en effet à la Géorgie ce que Kaboul est à l’Afghanistan : une capitale certes mais sans pouvoir réel sur ses régions. Trois d’entre elles échappaient d’ailleurs au contrôle du gouvernement Chevardnadzé. Ainsi l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud se sont séparées de la Géorgie à la suite de conflits sanglants dans lesquels les séparatistes ont bénéficié plus ou moins ouvertement de la complicité de Moscou. Des troupes russes stationnent d’ailleurs en permanence en Abkhazie et l’Ossétie du Sud s’est dotée de forces de sécurité «indépendantes». Quant à l’Adjarie, son leader Aslan Abachidzé, partisan d’une alliance avec le Kremlin, est en rupture totale avec le nouveau pouvoir de Tbilissi. Il pourrait donc réveiller le vieux réflexe séparatiste.

De nombreux observateurs estiment dans ce contexte que la Géorgie pourrait connaître le destin de la Yougoslavie tant ce pays représente aujourd’hui un enjeu stratégique pour Washington et Moscou. Le pays se trouve en effet sur la route de l’oléoduc qui doit acheminer le pétrole de la Caspienne vers les marchés occidentaux en évitant le territoire russe. Cet ouvrage, baptisé BTC –pour Bakou en Azerbaïdjan, Tbilissi en Géorgie et Ceyhan en Turquie– a reçu un appui très poussé de la part des Etats-Unis soucieux d’éviter que ce pétrole ne transite par l’Iran. Washington n’a en effet pas lésiné, au grand dam de Moscou, sur son soutien économique à la Géorgie, n’hésitant pas à financer un programme d’entraînement de son armée. Or la Russie, qui a récemment montré avec l’affaire Ioukos sa détermination à reprendre le contrôle des ressources pétrolières considérées comme revenant de droit à l’Etat, n’entend pas laisser son vieil «ennemi» venir chasser sur les terres traditionnellement sous son influence. Dans ce contexte estiment de nombreux observateurs, la Géorgie pourrait, si un compromis n’est pas très vite trouvé, payer le prix de la vielle rivalité russo-américaine.

A écouter également :

Mikhaïl Saakachvili, l'un des chefs de l'opposition georgienne au micro de Dominique De Courcelles (24/11/2003).

Gorgadzé Thornike, spécialiste du Caucase
Invité de Frédérique Genot (24/11/2003).

Portraits croisés de Nino Bourdjanadze, présidente par intérim et de Mikhaïl Saakachvili, leader du Mouvement national, Maya Siblini (23/11/2003)

A lire également :

Une «révolution de velours» très canalisée
L'édito international de Richard Labévière (24/11/2003).



par Mounia  Daoudi

Article publié le 24/11/2003