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Société de l''information

Adama Samassékou: «<i>Tous les pays du monde sont en développement</i>»

Adama Samassékou, ancien ministre de l’Education du Mali, a été élu président du Comité préparatoire du SMSI. Il précise ici les avantages que l’Afrique peut tirer des technologies de l’information et suggère les pistes de développement sur lesquelles elle peut avancer.
RFI : Comment, en Afrique, réduire la fracture numérique ?
Adama Samassékou :
Il y a des stratégies nouvelles à imaginer, et d’abord des infrastructures à adapter à nos réalités – je pense à ces accès communautaires aux nouvelles technologies qui peuvent être installés dans des lieux déjà connus, les postes, les écoles… Très vite se pose le problème de la langue à utiliser dans ces «tuyaux», de la diversité linguistique. Pouvons-nous faire en sorte que l’agriculteur au fin fond du Cameroun apprivoise cette technologie en utilisant sa langue de base ? C’est une perspective que nous avons les moyens de transformer en réalité, car il existe un grand projet pour l’Afrique, mené par l’Académie africaine des langues. Il s’agit de développer un partenariat avec les agences (Francophonie, Commonwealth, CPLP pour la langue portugaise) s’occupant des langues européennes devenues officielles dans la plupart de nos pays, afin de laisser s’exprimer, à l’intérieur de chaque espace «vertical» –francophonie, anglophonie, lusophonie–, toute la diversité des langues en Afrique, en Asie, en Amérique latine. Il est vrai que pour cela, le préalable est l’existence d’une stratégie nationale de développement des nouvelles technologies. Les pays d’Afrique engagés dans cette voie ne sont pas légion, mais c’est en cours.

RFI : De quels atouts l’Afrique dispose-t-elle pour relever ce défi ?
A. S.:
Tous les continents ont des spécificités à développer dans le cadre de ce processus. C’est pourquoi je prône, avec d’autres, une coopération Sud-Sud-Nord qui permettrait de rendre plus universels les bénéfices des nouvelles technologies. Des coopérations, par exemple entre l’Amérique latine (avec le Brésil), l’Asie (avec l’Inde) et l’Afrique (avec l’Afrique du Sud, la Tunisie, l’Egypte, le Sénégal, le Mali ou d’autres), cela peut permettre de faire des propositions concrètes dès Genève. Nous sommes dans la perspective de construire des partenariats avec le secteur privé, avec lequel un dialogue sain peut s’établir. Il y a des marchés disponibles, il faut simplement que le produit proposé soit à la fois adapté aux réalités socioculturelles et abordable. C’est une négociation possible.

Pour en venir à l’Afrique proprement dit, nous avons le cadre essentiel de développement régional que constitue le Nepad, à l’intérieur duquel d’excellentes idées sont en maturation. Il y a aussi la Commission électronique africaine (E-Africa commission) ou l’UN ICT Task force, qui font des propositions, par exemple d’assurer la connectivité des écoles. Mon compatriote Cheick Modibo Diarra, lui, a proposé la connexion des parlements africains, projet bien accueilli par les membres du G8… Si les parlements sont connectés entre eux, si les législateurs sont formés à utiliser ces technologies, cela peut être d’un grand bénéfice pour le gouvernement électronique. Et si, en plus, vous avez une interconnexion des départements ministériels – l’intranet administratif –, cela peut créer une masse critique permettant de vivre le changement.

RFI : Vous avez fondé, au Mali, le Mouvement des peuples pour l’éducation aux droits humains. Comment les nouvelles technologies peuvent-elles contribuer à un meilleur respect de ces droits ?
A. S. :
L’éducation aux droits humains est un aspect fondamental de leur promotion. Avant que l’on parle de leur violation, il faut les connaître et les faire respecter. L’approche que nous en avons est une approche globale qui ne s’agrippe pas aux droits civils et politiques ; nous mettons l’accent sur les droits économiques, sociaux et culturels avant tout. Une fois que les citoyens sont conscients du lien entre l’absence de participation aux décisions et le manque de nourriture, d’éducation, de santé, d’habitat décent, d’environnement sain ou de sécurité, on peut construire une nouvelle citoyenneté démocratique. Cela facilite la compréhension par tous les acteurs, y compris les gouvernements les plus fermés, de la nécessité de la participation citoyenne pour une meilleure assise des pouvoirs réels.

Les nouvelles technologies, en permettant une communication plus transparente, une meilleure perception de la gestion par les pouvoirs locaux et centraux, peuvent renforcer une dynamique participative à la base. Je crois qu’il s’agit d’un vrai projet de société, qu’il faut arriver à négocier dans tous les espaces.

RFI : En quoi cela peut-il «apporter» du développement ?
A. S. :
Tous les Etats du monde disent: «On veut développer notre pays». Toute la question est de savoir par quels moyens et avec quelle vision. Pour moi, le développement est un processus de maîtrise progressive de l’environnement, au sens large du terme. Si nous nous mettons dans cette perspective, tous les pays du monde sont en développement. La maîtrise de l’environnement en occident, c’est peut-être d’arriver à maîtriser Tchernobyl ou les dérives du génome. En Afrique, nos priorités sont de maîtriser les outils de production permettant de nourrir les populations, de maîtriser les maladies qui continuent à faire des ravages alors qu’on a les moyens de les combattre, de faire en sorte que l’analphabétisme soit un vieux souvenir.

RFI : Comment arriver à cette maîtrise ?
A. S. :
Ce processus de maîtrise de l’environnement exige qu’il y ait une capacitation de chaque acteur – ce que les anglophones appellent l’empowerment, en français on n’a pas le terme approprié, c’est pourquoi je suggère le terme «capacitation»… La lutte contre la pauvreté n’est pas autre chose que de donner des outils permettant à chaque acteur de subvenir à ses besoins et donc d’être «capable de». Capable de se nourrir, de s’éduquer, de se soigner, de travailler dans un contexte où il bénéficie des fruits de son travail, etc. L’utilisation des nouvelles technologies au cœur de chaque unité de gestion et de vie d’un pays, c’est-à-dire les cités, peut être un élément extrêmement dynamique de l’assise d’une citoyenneté démocratique.

Je renvoie cette question à la question de l’administration électronique. Le jour où chaque citoyenne, chaque citoyen pourra, dans une ville, interagir par la connexion avec les services administratifs, nous aurons peut-être à ce moment-là une administration vraiment au service du public, et nous n’aurons plus affaire à des administrés qui attendent tranquillement qu’on leur déverse des instructions de là-haut. Il y aura un aller-retour. C’est ce que j’appelle l’éducation citoyenne, qu’on peut atteindre par une meilleure perception des droits fondamentaux.



par Propos recueillis par Ariane  Poissonnier

Article publié le 02/12/2003