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Guinée

A l’intérieur des camps

Dans la préfecture de Kissidougou, entre la Haute-Guinée et la région forestière, plusieurs camps de réfugiés ont été implantés, abritant plus de 30 000 Libériens et Sierra-léonais. Ces camps ont plus de dix ans de vie et rien n’annonce leur fermeture prochaine, malgré une paix relative sur le front de la guerre civile au Liberia et en Sierra Leone.
Tout le long de sa frontière sud avec la Sierra Leone et le Liberia, la Guinée a offert des espaces au Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) pour l’implantation des camps d’accueil des personnes fuyant la guerre dans leur pays. De Forécariah à Nzérékoré en passant par Kissidougou une dizaine de camps de réfugiés et de transit ont été aménagés pour voler au secours des centaines de milliers de personnes qui erraient dans les forêts. Plus de 700 000 personnes ont été accueillis dans les camps et dans les zones urbaines. Dans la sous-préfecture d’Albadariah, les camps de Kountaya, plus de 19 000 réfugiés, de Télikoro, plus de 9 000 réfugiés et de Boreah, plus de 10 000 réfugiés, sont assez représentatifs de l’ensemble des camps installés par le HCR.

Les camps qui portent les noms des villages auprès desquels ils sont implantés sont conçus de façon à éviter aux réfugiés l’idée d’un isolement total et d’une vie en vase clos. A proximité des villages les camps ne sont pas clôturés, mais à l’entrée principale se tient un poste de sécurité gardé par quelques gendarmes. C’est aussi à l’entrée des camps qu’une unité de soins est installée, généralement sous le contrôle d’une organisation non gouvernementale. La distribution d’eau à une fontaine publique, la fourniture d’électricité est assurée par un groupe électrogène, et des salles de classes sont construites pour soutenir un effort d’instruction envers ces populations déracinées. Des parcelles de terrain sont affectées aux réfugiés qui y pratiquent une agriculture de subsistance.

Entre les différentes structures de gestion des camps et le HCR des passerelles sont aménagées pour offrir à chacune d’elles des raisons d’exister. Les délégués des ces structures travaillent en collaboration avec des administrateurs de terrain qui ont eux-mêmes des relais avec des coordinateurs et des associations de réfugiés. Cette organisation bien huilée permet de jeter les bases d’un village où tout fonctionne «presque bien». Par exemple, les écoles fonctionnent avec une gratuité des fournitures et un enseignement régulièrement dispensé. Dans ces communautés anglophones, les enseignants sont d’abord recrutés en leur sein, et le cas échéant le ministère guinéen de l’Education nationale apporte son assistance. Pour éviter de créer un Etat dans l’Etat, les autorités guinéennes ont insisté sur une certaine ouverture favorisant le bilinguisme. Des associations de réfugiés, encouragées par le HCR assurent auprès des différentes communautés «transmission des valeurs culturelles propres à chaque groupe ethnique», précise Yawa Fongbeh Petman, Libérienne, présidente du comité des femmes réfugiées du camp de Télikoro.

Le marché des réfugiés est très fréquenté

Dans le camp d’en face, celui de Kountaya, une autre femme est à la tête, cette fois, du Comité des réfugiés : Sao Barrie. Elle est sierra-leonaise. «Grâce à notre association nous gérons tous les problèmes de vie quotidienne et administratifs, avant de soumettre les plus cruciaux aux organisations qui dirigent ce camp», affirme-t-elle. La présence de ces associations, tout en facilitant les relations entre les individus et l’administration a également permis une installation des réfugiés dans un cadre de vie serein. Ils ont demandé et obtenu la liberté de mouvements dans les villages environnant, au bénéfice des mêmes langues parlées avec les populations autochtones. Progressivement des échanges se sont établis et un commerce de proximité s’est imposé. Aujourd’hui on trouve tout dans le marché de Kountaya, côté réfugiés. Il a d’ailleurs tendance à prendre le pas sur son voisin, celui du village, le vrai. Dans le marché des réfugiés aucun produit provenant de la distribution gratuite du HCR n’est autorisé à la vente. Les autorités ne tolèrent que le troc, riz contre maïs par exemple.

Ces activités commerciales entraînent un certain brassage de fonds qui obligent les réfugiés, hommes et femmes d’affaires à déposer leurs revenus dans les structures bancaires de la préfecture de Kissidougou. Ces échanges ont favorisé l’établissement d’environ 10 000 personnes dans la commune urbaine de Kissidougou. Rien n’est fait pour inciter les réfugiés au retour, même si «rien n’est mieux que le bercail», comme le précise Pierre Mara, chargé d’administration de terrain du camp de Télikoro. Paul Kéita, le maire de la commune de Kissidougou, ne regrette pas d’avoir offert son hospitalité aux populations en détresse, mais en tant que premier magistrat de la ville constate amèrement les dommages sur l’environnement du fait de la surpopulation. «Nos installations n’étaient pas prêtes à accueillir une si forte augmentation de la population. J’ai des problèmes de gestion des ordures ménagères et d’encombrement des structures sanitaires, pour ne citer que ceux-là», précise Paul Kéita qui lance un appel au secours aux autorités guinéennes.

Il se projette déjà dans l’avenir évoquant le droit du sol des enfants de réfugiés nés en Guinée qui vont bientôt fêter leur quinzième anniversaire. «Il ne faut pas compter sur leur retour définitif, ces enfants ne connaissent que la Guinée, réfléchissons plutôt sur des programmes d’intégration régionale, surtout que les conventions internationales n’obligent pas les réfugiés à retourner chez eux», précise Paul Kéita. Mais le maire de Kissidougou reconnaît quelques avantages à l’implantation de ces camps de réfugiés : par exemple, la construction d’écoles dans tous les villages environnant, la distribution gratuite de l’eau potable par des fontaines publiques. Il préconise par ailleurs une réflexion sur la gestion des infrastructures après le départ définitif des réfugiés, parce qu’il ne désespère pas du retour d’une paix durable en Sierra Leone et au Liberia.





par Didier  Samson

Article publié le 08/12/2003