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Guinée

L’ombre de Sékou Touré

Le régime de l’ancien président Ahmed Sékou Touré est encore en Guinée la référence absolue en politique. Vingt ans après sa mort et la chute de son régime dictatorial, des clins d’œil à ce passé sont manifestes dans toute la classe politique guinéenne.

Le palais présidentiel de Sékou Touré est en plein travaux de réfection et même de rénovation. Laissé à l’abandon pendant plusieurs années, ce haut lieu de l’histoire de la Guinée moderne reprend vie. Imposant, cet ancien palais du gouverneur pendant la colonisation, dans le quartier des bâtiments publics et chics, faisait un peu désordre par son état de délabrement. Néanmoins, il continuait de susciter la curiosité des habitants de Conakry qui emmènent toujours leurs hôtes étrangers visiter (faire le tour des grilles) ce palais devenu monument. Lorsqu’un taximan s’aperçoit que son client est étranger, il s’arrange pour faire le détour de la résidence de Sékou Touré. Par ailleurs, c’est avec une certaine satisfaction que les habitants de Conakry ont salué la décision du pouvoir de reconstruire à l’identique ce palais plusieurs fois attaqué à l’arme lourde lors des émeutes et autre coup d’Etat qui ont marqué la fin du régime de Sékou Touré.

Les Guinéens n’étaient pas non plus surpris par la série de mesures gouvernementales qui fait suite au début des travaux et qui dévoile bien le processus de réhabilitation engagé par le régime actuel. En perte de vitesse, il souhaite rattraper les espoirs déçus en évoquant «l’âge d’or» de la vie politique en Guinée. Le paradoxe est si criard que le pouvoir appelle les citoyens à un esprit de discernement pour «savoir retenir du passé ce qui est bien». A Conakry, comme à l’intérieur du pays le discours ne surprend plus personne. Lansana Conté et son régime ne proposent plus rien qui emporte les faveurs des populations, alors ils magnifient le passé glorieux qui fait du Guinéen un «homme digne, fier et patriote».

Pour ceux qui hésitent encore à associer le nom de Sékou Touré à ce passé, le pouvoir a multiplié les gestes de réhabilitation. Un acte présidentiel a récemment rétabli un statut d’ancien président, pour pouvoir réinstaller Sékou Touré «à la place qui lui est due». Un programme de rénovation du palais présidentiel de Sékou Touré est lancé pendant que le quartier prend le nom de «Sékou-Toureya», chez Sékou Touré en langue malinké. La veuve du président a recouvré la jouissance de certains biens et deux véhicules sont affectés à son service. Par ailleurs, l’actuel président de la République, lors d’un récent discours, s’est revendiqué «fidèle serviteur» de son illustre aîné. «Père de l’indépendance, digne fils d’Afrique, l’homme du «non» à de Gaulle» sont autant de qualificatifs qui réhabilitent aujourd’hui l’image de Sékou Touré.

En 1958, le «non» au référendum voulu par le général de Gaulle, alors que toutes les autres colonies africaines de la France adhéraient au processus d’indépendance mis en place la puissance coloniale, avait été vécu comme un courage exemplaire et l’affirmation d’une identité prônée par les intellectuels de l’époque. En Guinée cette période a autant représenté le rêve que le cauchemar, et l’engagement politique y avait un sens. A la chute du régime, dès la mort de Sékou Touré en 1984, une nouvelle ère d’espoir et de liberté est née, mais très rapidement contrariée par une autre forme de confiscation du pouvoir. Aujourd’hui, c’est encore vers le passé que se tournent les Guinéens pour continuer de rêver.

Le complot permanent

Cette année, 33 ans après le débarquement des mercenaires, le 22 novembre 1970, la commémoration a été rétablie par médias interposés. La radio et la télévision nationales ont fait l’apologie de la riposte guinéenne en occultant les purges dans les milieux militaires, civils et intellectuels qui s’en sont suivies. Tout le monde n’apprécie pas forcément, mais un autre héritage du pouvoir défunt veut qu’on s'abstienne de critiquer si on n’a rien d’élogieux à dire. Cette attitude est manifeste dans les populations rurales qui ne sont pas nostalgiques du passé, mais réclament des règles du jeu claires. Elles préfèrent la pratique de la candidature unique de l’ancien régime à celle des candidatures multiples où le vainqueur est désigné par le pouvoir en place dont la foudre s’abat sur ses opposants.

Un autre héritage du régime PDG (Parti démocratique de Guinée), parti unique et parti-Etat, est de masquer son échec en désignant l’étranger comme seul et unique responsable de ses malheurs. Le but de l’opération est de focaliser l’attention de l’opinion publique sur le complot permanent «ourdi à l’étranger» pour gagner en patriotisme et en soutien au pouvoir qui «combat les ennemis». «Je vous demande Guinéens, de continuer à être fiers de ce que vous êtes. Vous ne devez pas baisser la tête devant quelqu’un. On veut nous donner de l’argent et en même temps nous donner des ordres» affirme Lansana Conté lors d’un discours de campagne le 1er décembre dernier. Mais il n’est pas le seul à emprunter au passé certaines méthodes. L’identification des partis à un seul homme, le leader, où encore la pratique de l’autocritique «constructive», dont les suites sont moins louables que les intentions du départ, sont des recettes de gouvernance de l’ancien qui ont aussi inspiré l’opposition.





par Didier  Samson

Article publié le 11/12/2003