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Proche-Orient

Les Palestiniens boudent l’Accord de Genève

Deux mois après la publication de l’initiative de paix informelle baptisée «Accord de Genève», ses promoteurs dans les Territoires occupés sont en passe de perdre la bataille de l’opinion.
De notre correspondant dans les Territoires palestiniens

Dimanche 30 novembre à Ramallah. La ville émerge d’une nuit entière d’explosions. L’armée israélienne venue traquer des militants du Hamas laisse derrière elle quatre morts, dont un enfant de neuf ans. Dans le centre-ville, une dizaine de dirigeants politiques sont massés sur une petite estrade encadrée de haut-parleurs. Face à un public d’environ deux cents personnes, ils conspuent l’Accord de Genève qui doit être officiellement lancé le lendemain en Suisse. «Violation du droit au retour», «conspiration», «insulte aux martyrs». Hormis le Parti du peuple, l’ex-parti communiste qui soutient le plan de paix, toutes les formations palestiniennes participent au jeu de massacre. A commencer par le Fatah, le parti de Yasser Arafat, dont pourtant plusieurs membres éminents, comme les députés, Qadoura Farès et Mohamed Hourani, ont participé aux négociations. «Genève est un sale piège destiné à diviser le peuple palestinien. C’est un cadeau fait à Sharon», dit Sakher Abhache, l’idéologue du parti. Et emporté dans sa harangue, il affirme que «Genève ne donne pas de souveraineté sur la mosquée al-Aqsa», ce qui est une contrevérité totale.

A ses côtés Hussein Sheikh, le patron local du Tanzim, la branche armée du Fatah, ne veut pas être en reste. Bien que Hourani et Farès soient très proches du Tanzim, Sheikh n’hésite pas une seconde à désavouer leurs travaux. «Qui a autorisé ces individus à piétiner nos droits et à bafouer le sang versé ?», lance-il en faisant mine d’ignorer que les négociations avaient le soutien tacite d’Arafat. Enfin le docteur Mustapha Barghouti s’avance. Cette figure de la société civile courtisée par les diplomates occidentaux, ne veut pas non plus de l’Accord de Genève. Encadré par des militants qui brandissent à bout de bras des pancartes au nom du parti qu’il vient de lancer, il persifle sur «ces individus qui courent après les portefeuilles ministériels (…), qui logent dans des chambres d’hôtels mirifiques pendant que nous, nous luttons». L’assistance, clairsemée, écoute poliment, reprend à mi-voix quelques slogans martelés par des jeunes du Fatah, puis au bout d’une heure se disperse.

Depuis ce jour, le débat sur l’Accord de Genève est figé. Le lâchage des négociateurs par le Fatah a laissé aux adversaires du plan le monopole de l’expression publique. Les manifs, les tracts et les diatribes anti-Genève se succèdent sans temps mort depuis deux semaines. A Naplouse, le drapeau suisse a été brûlé. A Rafah, les brigades des martyrs d’al-Aqsa ont défilé lance-roquette au poing en qualifiant les auteurs du pacte de «traîtres et de mercenaires». Une frange de démagogues ultra-politisés contrôle la rue pendant que la majorité de la population se désintéresse du sujet, soit par ignorance, soit par fatalisme. «La réaction des gens la plus fréquente c’est «et alors»»?, dit le politologue Ali Jarbawi. Ils doutent très fortement que ce plan soit jamais appliqué. Les rares partisans déclarés du plan, eux, sont devenus inaudibles.

Les camps de réfugiés mènent la contestation

Pourtant, la publication de l’Accord à la mi-octobre avait suscité un début de curiosité au sein de la société. Les encouragements formulés tant par Yasser Arafat que par Ahmed Qoreï avaient dopé les négociateurs. Forts de leur passé d’activiste, payé par plusieurs années de prison en Israël, réputés pour leur intégrité et leurs critiques des dérives de l’Autorité palestinienne, Farès et Hourani étaient appelés de partout pour venir présenter l’accord. Par l’association des femmes du Fatah, les étudiants de l’Université de Naplouse, les réfugiés du camp d’El Amari à Ramallah… «A El Amari, la réunion avec Qadoura s’est très bien passé, raconte Sari Anafi, un sociologue qui était présent. Tous n’étaient pas d’accord avec lui, mais il y a eu un vrai débat. Après les chefs du Fatah du camp se sont réunis pour adopter une position commune. Comme au même moment, dans la bande Gaza, le Hamas faisait défiler des milliers de réfugiés contre l’accord, ce sont finalement les tenants de la ligne dure qui l’ont emporté et qui ont imposé la rédaction d’un tract totalement anti-Genève».

Progressivement, à l’instigation de leaders souvent plus radicaux que la moyenne, prompts à jouer sur la susceptibilité viscérale des réfugiés, les camps se sont dressés contre l’accord, au nom de la sauvegarde du droit au retour, le dogme palestinien par excellence. «Dans le camp de Jabalya, raconte Mohamed Hourani, le Hamas fait circuler un faux de 3 pages qui déforme complètement notre plan de paix. Il y est notamment dit qu’aucun réfugié ne pourra revenir sur les terres dont il a été chassé en 1948». Or le vrai document, s’il prévoit effectivement de réinstaller la majorité des réfugiés soit dans l’Etat palestinien créé à l’occasion, soit dans leur pays d’exil, soit dans un pays tiers, stipule aussi qu’une petite partie pourra venir en Israël, dans des proportions définies par cet Etat.

Ces manipulations anti-Genève sont aussi alimentées par les rivalités internes au Fatah. La vieille garde, groupée autour de Sakher Abhache, voit d’un mauvais œil la montée en grade des quadras, comme Farès et Hourani. A Ramallah, l’ancien ministre de l’Intérieur de l’Autorité, Hani el Hassan, a recruté des jeunes des camps pour manifester contre la venue des hommes de Genève à la Mouqataa, le QG d’Arafat. «La première génération du Fatah utilise la troisième contre la deuxième», résume un négociateur. En profitant du flou artistique savamment entretenu par le raïs, qui n’a pas répété devant son peuple, les mots de soutien qu’il a fait lire par ses émissaires à Genève.

L’insuffisante diffusion du document, enfin, a achevé de brouiller les esprits. Certes, à défaut d’envoi par courrier comme en Israël (la Poste dans les Territoires est hors service), le plan a été publié à plusieurs reprises dans la presse locale comme supplément gratuit. Mais cette mesure est insuffisante d’autant que les milliers de brochures qui devaient être distribuées en plus, ne l’ont pas été pour cause de problèmes techniques et de pressions. A Hébron par exemple, 2 000 exemplaires du quotidien Al Qods avec le texte de l’accord ont été brûlés. De plus en plus donc, les promoteurs du plan se sentent seuls. Ils ont prouvé qu’il y avait un partenaire palestinien pour la paix. Mais ils n’ont pas démontré qu’il y avait aussi une majorité.



par Benjamin  Barthe

Article publié le 11/12/2003