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Géorgie

L’Adjarie, nouveau casse-tête géorgien

En Géorgie, Aslan Abashidzé, chef de la région autonome de l’Adjarie, menace d’empêcher la tenue de l'élection présidentielles dans son fief, le 4 janvier. La «Révolution des roses», qui a renversé le président Chevardnadzé, le 23 novembre, fait craindre au leader adjare de perdre les bénéfices de la large autonomie dont jouit sa région. Il fait ainsi le jeu de la Russie.
De notre envoyé spécial

Sosso, un producteur de mandarines, est un peu agacé chaque fois qu’il passe le poste de contrôle de Tcholoki, de retour de livraison au port de Poti ou ailleurs en Géorgie. «L’Adjarie, c’est la Géorgie, je ne vois pas pourquoi on m’arrête comme si je revenais de l’étranger», s’exclame-t-il. Un agacement contenu mais bien réel, depuis la «Révolution des roses» notamment.

Les Géorgiens retrouvent l’espoir après douze ans de descente aux enfers. Malgré la peur de parler qui règne dans la dictature ubuesque d’Aslan Abashidzé, les Adjares chuchotent leurs attentes. Le revenu de la plupart des Adjares est le même que dans le reste de la Géorgie, 75 laris par personne et par mois (30 euros), il n’y a pas de travail, les retraites sont de 14 laris par mois (5,6 euros), les coupures d’électricité fréquentes…
Si Mikhaïl Saakasvili, le futur président, pouvait rendre la situation plus tolérable, les Adjares ne voudraient pas passer à coté. Mais les préoccupations d’Aslan Abashidzé sont autres! Depuis 1991, au lendemain de l’indépendance, quand Zviad Gamsakhourdia, premier président géorgien, l’a nommé «chef de l’Adjarie» pour mettre fin a l’autonomie dont jouit la région, Aslan Abashidzé n’a cessé de renforcer son pouvoir… en amplifiant l’autonomie de l’Adjarie! «Peu a peu, explique Levan Berdzenichvili, directeur de la Bibliothèque nationale géorgienne, il s’est créé son petit royaume».

L’épouvantail de l’indépendance

Plusieurs raisons à cela. Sa psychologie d’abord. «Il est de ceux qui doivent tout faire par eux-mêmes», explique Levan Berdzenichvili, directeur de la Bibliothèque nationale. Giorgui Masalkine, un professeur de philosophie de l’Université de Batoumi, voit une sorte «d’infantilisme» dans son comportement, «détruisant un jour ce qu’il a construit la veille». Il le décrit comme «un dictateur, voulant tout maîtriser, interdisant la liberté de parole, muselant l’opposition, entouré d’une milice personnelle». Une autre raison est financière. Il contrôle les trafics qui transitent par le poste de douane de la frontière turque et par le port de Batoumi (10 millions de tonnes par an). «Malgré un régime fiscal privilégié, explique Roman Gotsiridzé, chef de la commission du budget du Parlement géorgien, l’Adjarie n’a rien reversé au budget central depuis 6 ans». Quarante-six millions de laris (18,4 millions d’euros) en 2003. Enfin, Aslan Abashidzé est inconditionnellement pro-russe. Moscou se sert de lui pour faire pression sur Tbilissi en agitant l’épouvantail séparatiste pour préserver ses intérêts stratégiques dans le Caucase. La Géorgie est traumatisée par la perte de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, en 1992-1993, deux régions qui ont fait sécession, sur fond de luttes ethniques, grâce au soutien russe.

Avec la complicité d’Aslan Abashidzé, le Kremlin agite cet épouvantail même si le «chef de l’Adjarie» a déclaré qu’il ne demande pas l’indépendance. La région vit du transit et dépend économiquement de la Géorgie. De plus, «les Adjares ne sont pas une ethnie et ne veulent pas entendre parler de séparatisme», explique un journaliste de Batoumelebi, un hebdomadaire de Batoumi volontiers critique. Mais, la présence d’une base militaire russe sur son territoire donne du poids aux menaces du chef adjare. Le Kremlin n’apprécie pas le nouveau pouvoir géorgien, trop proche de l’Occident. La visite à Moscou d’Aslan Abashidzé, fin novembre, en compagnie des dirigeants d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud en est un signe.

Au lendemain de la démission d’Edouard Chevardnadzé, le maître de Batoumi a décrété l’état d’urgence dans sa région. Il menace de boycotter la présidentielle du 4 janvier et d’empêcher son déroulement en Adjarie si elles ne sont pas reportées au mois de juin. La visite à Batoumi, le 10 décembre, de Nino Bourdjanadzé, la présidente géorgienne par intérim, n’a pas permis de trouver un accord, malgré six heures de discussion. Mercredi 17, c’est l’ambassadeur des Etats-Unis en Géorgie, Richard Miles, qui s’est rendu à Batoumi. «Il y a quelques perspectives et possibilités de normalisation de la situation», a-t-il déclaré, sans donner de détails.
Quelle solution ? Le député Edouard Soumaridzé suggère que des «comités de désobéissance» et des mouvements de protestation contre Aslan Abashidzé pourraient être organisés en Adjarie «afin que le peuple le renverse». «Mais cette fois, prévient-il, ce ne sera peut-être pas une Révolution des roses».



par Régis  Genté

Article publié le 18/12/2003