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Laïcité

Sarkozy obtient le précieux soutien de l’imam d’al-Azhar

Alors que la décision de Jacques Chirac en faveur d’une loi interdisant les signes religieux «ostensibles» à l’école n’en finit pas de susciter des réactions indignées dans le monde arabo-musulman, le ministre français de l’Intérieur et de cultes Nicolas Sarkozy a obtenu un soutien de poids en la personne de cheikh Mohamed Sayyed Tantaoui. L’imam de la mosquée d’al-Azhar, considéré comme la plus haute autorité de l’islam sunnite, a en effet reconnu le droit à la France de légiférer au nom de la laïcité et invité les femmes musulmanes à respecter les lois des pays non-musulman dans lesquels elles vivent.
Le pari était risqué pour Nicolas Sarkozy et c’est sans doute ce qui explique que dans l’entourage du ministre de l’Intérieur on n’ait pas souhaité communiquer sur le sujet et que l’on se soit contenté de présenter la rencontre comme une simple visite de courtoisie «décidée bien avant l’affaire du voile». Quoiqu’il en soit, cette visite, rendue à un dignitaire religieux considéré comme la plus haute autorité de l’islam sunnite, n’en demeure pas moins un geste politique dont l’issue est aujourd’hui un succès incontestable pour Nicolas Sarkozy.

Pour aborder un sujet qui n’en finit pas de déchaîner les passions dans le monde arabo-musulman, Cheikh Mohamed Sayyed Tantaoui n’a pas dérogé à sa réputation de fin politicien. Il a ainsi expliqué que «le voile était une obligation divine pour la femme musulmane». «Aucun musulman, qu’il soit gouvernant ou gouverné ne peut s’y opposer», a-t-il insisté donnant ainsi un gage aux fondamentalistes. Mais, a-t-il poursuivi, cette obligation n’est valable que si «la femme vit dans un pays musulman». L’imam d’al-Azhar a ainsi reconnu aux autorités des pays non-musulmans, et donc à la France, le droit d’adopter toutes les lois qu’ils veulent y compris concernant les codes vestimentaires. «C’est leur droit et je ne peux pas m’y opposer», a-t-il déclaré. «Je ne permettrais pas à un non-musulman d'intervenir dans les affaires musulmanes, mais, de la même façon, je ne me permettrais pas d'intervenir dans les affaires non-musulmanes», a-t-il expliqué. Versets coraniques à l’appui, le dignitaire religieux a justifié que dans ce contexte précis, une femme musulmane se conformant à la loi d’un pays non-musulman n’avait pas à craindre le châtiment divin, donnant ainsi l’absolution à toutes les écolières françaises contraintes d’ôter leur foulard dans les établissements publics. «Celui qui se trouve obligé n’est pas un pécheur, Dieu lui pardonne», a-t-il conclu.

Cette bénédiction d’un dignitaire religieux respecté ne pouvait mieux tomber pour Nicolas Sarkozy. Le ministre français a profité de sa rencontre avec l’imam d’al-Azhar pour prononcer un vibrant plaidoyer pour la laïcité. «La laïcité, a-t-il expliqué, c’est la neutralité de l’enseignement public pour tout le monde. Il ne s’agit pas de désigner spécialement les musulmans». «Il ne faut pas y voir une humiliation à l'égard de qui que ce soit. Il ne faut pas y voir un manque de respect à votre religion. Il faut que vous compreniez que la laïcité, c'est notre tradition, c'est notre choix», a-t-il ajouté. Nicolas Sarkozy n’a par ailleurs pas caché sa satisfaction quant à la position exprimée par le recteur de la mosquée d’al-Azhar. «Je suis satisfait parce que cheikh Tantaoui, qui est le grand imam sunnite, qui représente une autorité religieuse et morale incontestable, a indiqué qu'il y avait des règles qui se devaient d'être différentes entre pays musulmans et pays non musulmans, et il l'a dit sans aucune ambiguïté et avec beaucoup de force», s’est-il ainsi réjouit.

Une légitimité contestée

La position de cheikh Tantaoui est toutefois loin de faire l’unanimité. A peine formulée, sa déclaration provoquait déjà le mécontentement de certains oulémas d’al-Azhar. Le grand mufti d’Egypte, cheikh Ali Gomaa, a ainsi mis en garde la France contre une loi qui interdirait à la femme musulmane de porter le voile qui, a-t-il insisté, est «un devoir religieux et non un simple signe». «Je le répète à nos frères français. J'espère d'eux qu'ils ne tomberont pas dans une telle erreur qui contredirait la laïcité et détruirait la paix sociale dans la société française», a-t-il prévenu.

Malgré le respect qui l’entoure, l’imam d’al-Azhar n’en demeure pas moins un fonctionnaire de l’Etat égyptien qui l’a nommé à la tête de la prestigieuse université en 1996 et qui attend officieusement de lui qu’il prêche un islam modéré tout en donnant des gages aux fondamentalistes. Ces détracteurs l’ont d’ailleurs surnommé «Sayyed OK» –Monsieur OK– et estiment qu’il «se contente de répéter ce que le président Moubarak veut qu’il dise». Dans ce contexte, la position du dignitaire religieux concernant le port du voile risque d’être mal accueillie par la communauté musulmane française qui déjà par le passé l’avait forcé à revenir sur des déclarations du même ordre. Dans un communiqué, le théologien avait en effet dû souligner que «la femme musulmane ne pouvait montrer de son corps que le visage et les deux mains». Sans compter le fait que de nombreuses musulmanes refusent de voir la France comme un pays d’accueil dans la mesure où elles se considèrent comme des citoyennes à part entière et qu’à ce titre elles réclament de défendre leur droit à porter le voile.

Ecouter également : Le cheikh Mohamed Sayyed Tantaoui puis Nicolas Sarkozy dans le journal de 7h du 31/12/03.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 31/12/2003