Grande-Bretagne
Haro sur la <i>BBC</i>
Le rapport condamnant le travail de la BBC sur la préparation de l’opinion publique britannique avant l’entrée en guerre contre l’Irak provoque une vague de commentaires et de critiques dont le Premier ministre, en dépit de son apparente victoire dans cette affaire, pourrait bien pâtir. Le document renforce en tout cas la position des adversaires du service public qui dénoncent sa trop grande indépendance et les entraves à la libre concurrence sur le marché de l’audiovisuel.
Le rapport rendu mercredi par Lord Brian Hutton accusant la BBC de légèreté et blanchissant l’administration Blair de l’accusation de «mensonge» n’a pas mis un point final à la tempête démarrée avec «l’affaire Kelly», l’expert en armement dont les informations révélées en mai dernier par le journaliste de la BBC Andrew Gilligan, et dont le suicide, au mois de juillet suivant, ont déclenché toute l’affaire. Au contraire, sa publication semble provoquer une réaction en chaîne dont les effets à terme sont à la fois imprévisibles et incontrôlables. La BBC paye le prix de ses interrogations sur la pertinence de rejoindre Washington dans sa guerre contre l’Irak et d’avoir été, à cet égard, un relais d’une opinion publique majoritairement opposée à la guerre.
Dernier épisode : le document du juge Hutton a fait une nouvelle victime en la personne du directeur-général de la «Beeb», comme l’appellent affectueusement les britanniques, contraint à son tour à la démission. Greg Dyke a annoncé son retrait jeudi en début d’après-midi. Son départ survient au lendemain de la démission du président de la BBC Gavyn Davis, mercredi soir, ce dernier reconnaissant «effectivement que certaines allégations-clés rapportées par Andrew Gilligan lors du programme Today le 29 mai de l’an dernier étaient fausses». «Et nous présentons nos excuses», ajoutait M. Davis, à propos des reproches adressées au service public pour avoir failli à ses devoirs éditoriaux de relecture de la copie du journaliste, pour ne pas avoir relu ses notes et ne pas avoir examiné comme elles auraient dû l’être les plaintes du gouvernement. Pourtant le directeur-général démissionnaire a également souligné que l’informateur du journaliste «David Kelly était une source crédible et ses propos ayant été rapportés de manière correcte, le public, dans une démocratie moderne, avait le droit d’en être informés».
Entre-temps, la presse britannique s’est déchaînée jeudi matin, témoignant de la place particulière occupée par la «beeb» dans le panorama audiovisuel national et dans le cœur des Britanniques. Les quotidiens, toutes tendances confondues, sont quasi unanimes pour voir dans le rapport Hutton une tentative d’«étouffer l’affaire au profit de l’establishment britannique», écrit le Daily Mirror. «Nous sommes confrontés au malheureux spectacle d’un président de la BBC qui démissionne tandis qu’Alastair Campbell (l'ancien directeur de la communication de Tony Blair) crie cocorico du haut de son tas de fumier. Est-ce que ce verdict, seigneur, sert l’intérêt véritable de la vérité ?», s’interroge le Daily Mail. Selon le Guardian, «les journalistes de la BBC doivent continuer à enquêter, ils doivent continuer à poser des questions qui dérangent et ils doivent continuer à causer des ennuis». D’autres cependant s’accordent à dire que le rapport du juge Hutton a mis à jour de graves défauts à l’intérieur de la BBC. Mais le verdict de l’opinion publique est sans appel : selon un sondage publié à la mi-journée, 56% des Britanniques le trouvent «inéquitable», contre 36% qui le qualifient de «convaincant».
L’affaire tombe à pic
En conséquence, Tony Blair triomphe. Et de façon très ostensible puisque après avoir ignoré les excuses de la BBC et en avoir réclamé de nouvelles, jeudi, M. Blair a fini par les accepter. Mais les dividendes politiques de cette apparente victoire sont très incertains, comme le montre les gros titres de la presse britannique jeudi matin. Certes l’arbitre a le dernier mot, mais il souffle sur son jugement un vent de discrédit qui pourrait s’avérer particulièrement contre-productif en terme de confiance des citoyens à l’égard de l’indépendance proclamée de l’arbitre en question et du Premier ministre, déjà en chute libre dans les sondages depuis qu’il a rejoint Washington dans une guerre particulièrement impopulaire et qui a envoyé jusqu’à un million d’opposants manifester dans les rues de Londres. Ce rapport survient également moins d’une semaine après la démission de l’inspecteur américain David Kay qui, depuis des mois, cherchait en vain à la tête d’une équipe de plusieurs centaines de collaborateurs les armes irakiennes de destruction massive et qui reconnaissait, vendredi dernier, qu’elle n’existait pas.
En tout cas l’affaire tombe à pic pour les détracteurs du service public britannique. Tout d’abord elle survient dans un contexte de vive contestation du mode de contrôle de la BBC. Actuellement celle-ci est soumise à un conseil de 12 gouverneurs, dirigé par le président (aujourd’hui démissionnaire) de la chaîne, organe de régulation interne qui garantit son indépendance éditoriale à l’égard du pouvoir. Or sa Charte expire en 2006 et sera donc révisée par le parlement. L’objectif de ses détracteurs est de la placer sous autorité gouvernementale, par le biais de l’autorité de régulation des médias Ofcom. D’ores et déjà, le chef de l’opposition conservatrice Michael Howard a estimé que les arguments en faveur d’une reconsidération du statut de la BBC n’avait «jamais été aussi forts».
Cette perspective de mise sous tutelle recrute également des partisans parmi ceux qui estiment que le service public britannique est trop coûteux pour le contribuable et, surtout, préjudiciable à la concurrence des médias privés. Ces derniers considèrent en effet qu’ils affrontent à armes inégales un géant qui dispose de ressources inépuisables. Et selon l’universitaire Michael Tracey, spécialiste cité par l’agence Reuters, «avec la croissance des médias commerciaux et l’accent toujours plus grand mis sur les valeurs du marché, les services publics de l’audiovisuel sont en train d’être marginalisés».
Dernier épisode : le document du juge Hutton a fait une nouvelle victime en la personne du directeur-général de la «Beeb», comme l’appellent affectueusement les britanniques, contraint à son tour à la démission. Greg Dyke a annoncé son retrait jeudi en début d’après-midi. Son départ survient au lendemain de la démission du président de la BBC Gavyn Davis, mercredi soir, ce dernier reconnaissant «effectivement que certaines allégations-clés rapportées par Andrew Gilligan lors du programme Today le 29 mai de l’an dernier étaient fausses». «Et nous présentons nos excuses», ajoutait M. Davis, à propos des reproches adressées au service public pour avoir failli à ses devoirs éditoriaux de relecture de la copie du journaliste, pour ne pas avoir relu ses notes et ne pas avoir examiné comme elles auraient dû l’être les plaintes du gouvernement. Pourtant le directeur-général démissionnaire a également souligné que l’informateur du journaliste «David Kelly était une source crédible et ses propos ayant été rapportés de manière correcte, le public, dans une démocratie moderne, avait le droit d’en être informés».
Entre-temps, la presse britannique s’est déchaînée jeudi matin, témoignant de la place particulière occupée par la «beeb» dans le panorama audiovisuel national et dans le cœur des Britanniques. Les quotidiens, toutes tendances confondues, sont quasi unanimes pour voir dans le rapport Hutton une tentative d’«étouffer l’affaire au profit de l’establishment britannique», écrit le Daily Mirror. «Nous sommes confrontés au malheureux spectacle d’un président de la BBC qui démissionne tandis qu’Alastair Campbell (l'ancien directeur de la communication de Tony Blair) crie cocorico du haut de son tas de fumier. Est-ce que ce verdict, seigneur, sert l’intérêt véritable de la vérité ?», s’interroge le Daily Mail. Selon le Guardian, «les journalistes de la BBC doivent continuer à enquêter, ils doivent continuer à poser des questions qui dérangent et ils doivent continuer à causer des ennuis». D’autres cependant s’accordent à dire que le rapport du juge Hutton a mis à jour de graves défauts à l’intérieur de la BBC. Mais le verdict de l’opinion publique est sans appel : selon un sondage publié à la mi-journée, 56% des Britanniques le trouvent «inéquitable», contre 36% qui le qualifient de «convaincant».
L’affaire tombe à pic
En conséquence, Tony Blair triomphe. Et de façon très ostensible puisque après avoir ignoré les excuses de la BBC et en avoir réclamé de nouvelles, jeudi, M. Blair a fini par les accepter. Mais les dividendes politiques de cette apparente victoire sont très incertains, comme le montre les gros titres de la presse britannique jeudi matin. Certes l’arbitre a le dernier mot, mais il souffle sur son jugement un vent de discrédit qui pourrait s’avérer particulièrement contre-productif en terme de confiance des citoyens à l’égard de l’indépendance proclamée de l’arbitre en question et du Premier ministre, déjà en chute libre dans les sondages depuis qu’il a rejoint Washington dans une guerre particulièrement impopulaire et qui a envoyé jusqu’à un million d’opposants manifester dans les rues de Londres. Ce rapport survient également moins d’une semaine après la démission de l’inspecteur américain David Kay qui, depuis des mois, cherchait en vain à la tête d’une équipe de plusieurs centaines de collaborateurs les armes irakiennes de destruction massive et qui reconnaissait, vendredi dernier, qu’elle n’existait pas.
En tout cas l’affaire tombe à pic pour les détracteurs du service public britannique. Tout d’abord elle survient dans un contexte de vive contestation du mode de contrôle de la BBC. Actuellement celle-ci est soumise à un conseil de 12 gouverneurs, dirigé par le président (aujourd’hui démissionnaire) de la chaîne, organe de régulation interne qui garantit son indépendance éditoriale à l’égard du pouvoir. Or sa Charte expire en 2006 et sera donc révisée par le parlement. L’objectif de ses détracteurs est de la placer sous autorité gouvernementale, par le biais de l’autorité de régulation des médias Ofcom. D’ores et déjà, le chef de l’opposition conservatrice Michael Howard a estimé que les arguments en faveur d’une reconsidération du statut de la BBC n’avait «jamais été aussi forts».
Cette perspective de mise sous tutelle recrute également des partisans parmi ceux qui estiment que le service public britannique est trop coûteux pour le contribuable et, surtout, préjudiciable à la concurrence des médias privés. Ces derniers considèrent en effet qu’ils affrontent à armes inégales un géant qui dispose de ressources inépuisables. Et selon l’universitaire Michael Tracey, spécialiste cité par l’agence Reuters, «avec la croissance des médias commerciaux et l’accent toujours plus grand mis sur les valeurs du marché, les services publics de l’audiovisuel sont en train d’être marginalisés».
par Georges Abou
Article publié le 29/01/2004