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Irak

Bassorah sous influence iranienne

La grande ville chiite du sud, jouxtée par l’Iran de l’autre côté du Chatt el Arab, est fortement marquée par l’emprise de la République islamique.
De notre envoyé spécial à Bassorah

Placardés sur les lampadaires de la rue de l’Indépendance dans le centre de Bassorah, les portraits de l’ayatollah Khomeyni ont fleuri comme autant de pieds de nez à l’Histoire. Sur les rives du Chatt al Arab, Bassorah fut pourtant la ville irakienne qui a le plus souffert des bombardements iraniens pendant les huit ans de la guerre Iran-Irak (1980-1988). Profitant de la chute du régime de Saddam Hussein, Téhéran avance ses pions dans le sud irakien.

C’est au travers de l’Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak (ASRII) que le régime iranien exerce principalement son influence. Ce mouvement financé et armé depuis 1982 par Téhéran, continuerait à recevoir ses subsides et des appuis logistiques des mollahs iraniens. Abdel Aziz Al-Hakim, le numéro un du mouvement, s’est ainsi rendu en visite en décembre dernier à Moscou à bord d’un avion iranien, en tant que président du Conseil intérimaire de gouvernement.

«L’ASRII, avec l’aide de l’Iran, est un rouleau compresseur qui profite de frontières ouvertes, pour prendre le contrôle de la situation sur le terrain», analyse Ali Mehdi, responsable du Parti communiste à Bassorah qui ne peut que constater la montée en puissance des barbus dans sa ville.

La proximité de la frontière, distante d’une vingtaine de kilomètres, facilite la pénétration iranienne qui s’appuie en outre sur l’homogénéité d’une population presque totalement chiite. La sympathie avec le régime de Téhéran est réelle, bien que les sentiments de la rue soit plus complexes. Certes, les irakiens chiites ont pu trouver refuge en Iran, notamment après la répression de Saddam contre l’Intifada chiite de 1991, mais ils n’oublient pas non plus les mauvais traitements endurés dans les geôles iraniennes. L’ancestrale rivalité entre Perses et Arabes reste encore bien vivace.

Principale force politique structurée, avec son concurrent islamique du parti Al-Daawa, l’ASRII a commencé à tisser un réseau de soutiens et d’allégeances auprès de la population locale, en utilisant des faits d’armes de résistance contre le régime de Saddam.

Régime sec

Le mouvement islamiste chiite ne gère pas d’écoles ou d’hôpitaux mais laboure le terrain social via ses associations caritatives qui, notamment, distribuent de la nourriture aux déshérités. Côté médiatique, le parti d’Abdel Aziz Al-Hakim dispose d’une chaîne de télévision et d’une radio locale pour relayer sa propagande. Son réseau de mosquées lui offre aussi une tribune de choix chaque vendredi à l’heure du prêche.

Sous l’influence de l’ASRII et du parti Al-Daawa, l’islamisation à Bassorah est désormais bien entamée. «Cité du vice» dans les années 70 et 80 pour les ressortissants du Golfe qui venaient s’encanailler dans les boites de nuit et les casinos, la ville est aujourd’hui au «régime sec». La consommation en public et la vente d’alcool sont désormais interdites. Neuf vendeurs de boissons alcoolisées, sept chrétiens et deux musulmans, ont été assassinés depuis la chute du régime de Saddam. «La religion est devenu le refuge pour beaucoup d’Irakiens, après tant d’années de guerre et d’oppression», affirme un responsable politique local.

Sur le plan sécuritaire, le bras armé de l’ASRII, la Force Badr, forte de 15 000 hommes, a été officiellement démobilisée et transformée en Organisation Badr pour participer à la reconstruction. En fait, certains de ses miliciens ont été discrètement recyclés dans la nouvelles police irakienne. «Certains d’entre eux montent la garde autour de bâtiments publics», affirme même Ali Al-Mehdi .

«Des barrage routiers entre Bassorah et Amara et près de la frontière avec le Koweït sont tenus par les policiers mais présents aussi à leurs côtés des éléments en civil de la Force Badr», assure de son côté Fouad, un fonctionnaire du ministère de l’Education, qui confirme l’influence iranienne à Bassorah. «Elle est naturelle, car les tribus, comme celle des Tamimi à laquelle j’appartiens, est répartie des deux côtés de la frontière», précise-t-il.

Sur le terrain, les Britanniques, qui ont en charge le secteur de Bassorah, sont obligés de tenir compte du poids grandissant de l’ASRII et des autres mouvements islamistes qui tiennent le haut du pavé dans la ville. «En janvier, ils étaient plus de 30 000 personnes dans la rue pour soutenir Ali Sistani qui réclame des élections directes, mais les islamistes auraient pu mobiliser 100 000 personnes s’ils l’avaient voulu. Heureusement, cette démonstration de force, très encadrée, s’est déroulée pacifiquement», commente Dominic D’Angelo, porte-parole de la coalition à Bassorah.

Des réunions régulières se déroulent entre les responsables Anglais et les chefs des partis islamiques à Bassorah. Ce qui fait dire à un responsable politique local : «les Britanniques traitent simplement avec les partis les plus forts». Une façon déjà de préparer l’après 1er juillet, date de la dissolution de l’administration civile d’occupation.



par Christian  Chesnot

Article publié le 05/02/2004