Maroc
A la belle étoile, entre les gravats
Le roi Mohammed VI s’est rendu samedi 28 février dans la zone dévastée par le tremblement de terre à Al Hoceima. Le souverain restera plusieurs jours auprès des sinistrés. 6700 tentes ont déjà été installées pour venir en aide aux dizaines de milliers de sinistrés qui, par crainte des répliques, dorment dehors malgré le froid et la pluie. Reportage de Laurent Correau.
De notre envoyé spécial à Al Hoceima
Ahaabi Aïcha est installée avec son bébé dans cette tente en plastique de bâche. La localité où elle réside, Aït Kamra a été l’une des plus touchées par le séisme de mardi, et si sa maison est toujours debout, les murs de chaque pièce sont maintenant lézardés, traversés de fissure. Il a fallu se résoudre à aller vivre dehors dans la cour. «Je n’étais pas d’accord pour qu’on prenne une tente. Parce que j’ai des petits enfants qui ont besoin de calme. Je ne suis pas à l’aise ici. Mes enfants ont peur, ils pleurent, j’ai un bébé qui pleure toujours et qui a besoin de sa maman.»
Toutes les nuits, Aicha affronte maintenant le froid. Un froid mordant qui a enveloppé la province et que doivent subir des milliers de personnes. En ville comme dans les villages, on se refuse désormais souvent à dormir dans des constructions en dur. «Je vais passer la nuit dans ma voiture, expliquait mercredi soir cet habitant d’Al Hoceima, emmitouflé dans une djellaba brune. C’est à cause de la peur des tremblements de terre. Je suis mieux en voiture qu’à la maison». Près de la place Mohammed VI, on trouve justement des familles qui ont rabattu les fauteuils de leur véhicule et tiré sur eux la couverture. Mais on en voit aussi Jardin du 3 mars. «Vous voyez très bien où on va passer la nuit: on la passe dans des jardins comme ça, dans des cours vides, comme à côté de la Banque du Maroc et puis il y en a quelques uns à côté du stade municipal, les autres à l’intérieur.» Dans l’obscurité, un homme tend un fil entre deux pylônes et y attache un fin tapis pour protéger son matelas contre une pluie éventuelle. «Que voulez vous qu’on fasse d’autre ?» lance, agressive, une femme qui assiste à la scène. Ici, il y aura trois familles qui vont dormir».
A Imzouren, on trouve des tentes sur le bord de la route. Les rues dévoilent au fur et à mesure qu’on les traverse des murs de brique cisaillés par le séisme, traversés sur plusieurs mètres par une lézarde. Et puis il y a ces trous béants dans les bâtiments, comme si un obus avait atteint un immeuble sur deux. Dans ce quartier, le séisme a fait tomber plusieurs immeubles modernes en même temps. Un bulldozer pousse les gravats qui s’amoncellent et fait resurgir à la surface de la terre des restes de vêtements, des morceaux de matelas et une chaussure. A Beni Abdallah, une autre image évoque aussi la peur qui a dû s’emparer des villageois dans la nuit de mardi. Une chambre à coucher. Le bâtiment a tenu, mais les murs sont lézardés. Des pierres partout sur le sol, mais aussi sur le lit. Il y avait là mari, femme, et enfants quand le tremblement de terre est arrivé. Un ours en peluche a été abandonné dans la précipitation. Il est maintenant au milieu des pierres, à moitié recouvert de poussière.
Le mécontentement de la population
Ce matin, les habitants de Beni Abdallah se sont regroupés sur la place du village, dans l’espoir que les secours arriveront et qu’on leur apportera des tentes. Mais les secours ne viendront pas, aujourd’hui encore, à la colère générale. «Le gros problème, c’est ça: où allons nous dormir maintenant que la pluie commence à tomber ?» s’exclame un homme au bonnet rouge et noir. A Beni Abdallah, depuis le séisme, les habitants dorment souvent à même le sol. Ou ne dorment pas, et discutent.
Plus les heures s’écoulent, et plus la population manifeste son mécontentement. Hier après-midi, des habitants d’Ajdir ou d’Imzouren ont manifesté pour réclamer l’arrivée de l’aide. A la mi-journée, plusieurs centaines de personnes étaient rassemblées devant la wilaya d’Al Hoceima, l’autorité locale, pour dire leur mécontentement. Face à face tendu avec les forces de l’ordre disposées pour garder la grille du bâtiment. «Les avions qui transportent l’aide sont bloqués par les pouvoirs publics », ont notamment scandé en tamazight les manifestants, ne s’interrompant de temps à autre que pour laisser passer une ambulance qui gravissait la côte.
L’aide effectivement a commencé à arriver: 21 avions humanitaire ont déjà atterri à Al Hoceima selon les autorités locales. Des avions qui viennent d’Espagne, d’Italie, mais aussi d’Algérie, de France… La solidarité des Marocains se manifeste elle aussi : les syndicats de pharmaciens des différentes provinces du royaume ont déjà envoyé 600 kilos de médicaments. «Des associations d’Oujda, de Fez, de Casablanca ont envoyé couvertures et produits alimentaires», ajoute un responsable de la wilaya. «Mais alors pourquoi l’aide ne nous arrive-t-elle pas ? s’étonnait un manifestant tout à l’heure. Les autorités ont-elles reçu des choses qu’elles n’ont pas distribué ? Pourquoi ?» L’attaché de presse du gouverneur dément de telles accusations «L’autorité, les élus, la société civile, tout le monde travaille ensemble, et dans le même objectif: aider les sinistrés, explique-t-il. Toutes les aides qui arrivent sont distribuées. Il y a peut-être une anomalie sur la distribution, mais c’est parce que les autorités locales manquent encore de moyens par rapport à ce qui s’est passé».
Certains estiment plutôt que les autorités locales ont été prises de court. D’où les problèmes actuels de coordination de l’aide. Des organisations de la société civile, rassemblées en collectif après le tremblement de terre se sont mobilisés, et ont décidé d’envoyer sur le terrain des observateurs chargés de recenser l’aide effectivement apportée. Une chose est sûre: ce soir en tout cas, chacun ressortira pour dormir à découvert.
Pour en savoir plus:
Voir le reportage photographique complet de notre envoyé spécial.
Ecoutez également:
Le reportage de Laurent Correau 3'10
Les répliques du séisme continuent, Laurent Correau56''
Le bilan, Laurent Correau
Ahaabi Aïcha est installée avec son bébé dans cette tente en plastique de bâche. La localité où elle réside, Aït Kamra a été l’une des plus touchées par le séisme de mardi, et si sa maison est toujours debout, les murs de chaque pièce sont maintenant lézardés, traversés de fissure. Il a fallu se résoudre à aller vivre dehors dans la cour. «Je n’étais pas d’accord pour qu’on prenne une tente. Parce que j’ai des petits enfants qui ont besoin de calme. Je ne suis pas à l’aise ici. Mes enfants ont peur, ils pleurent, j’ai un bébé qui pleure toujours et qui a besoin de sa maman.»
Toutes les nuits, Aicha affronte maintenant le froid. Un froid mordant qui a enveloppé la province et que doivent subir des milliers de personnes. En ville comme dans les villages, on se refuse désormais souvent à dormir dans des constructions en dur. «Je vais passer la nuit dans ma voiture, expliquait mercredi soir cet habitant d’Al Hoceima, emmitouflé dans une djellaba brune. C’est à cause de la peur des tremblements de terre. Je suis mieux en voiture qu’à la maison». Près de la place Mohammed VI, on trouve justement des familles qui ont rabattu les fauteuils de leur véhicule et tiré sur eux la couverture. Mais on en voit aussi Jardin du 3 mars. «Vous voyez très bien où on va passer la nuit: on la passe dans des jardins comme ça, dans des cours vides, comme à côté de la Banque du Maroc et puis il y en a quelques uns à côté du stade municipal, les autres à l’intérieur.» Dans l’obscurité, un homme tend un fil entre deux pylônes et y attache un fin tapis pour protéger son matelas contre une pluie éventuelle. «Que voulez vous qu’on fasse d’autre ?» lance, agressive, une femme qui assiste à la scène. Ici, il y aura trois familles qui vont dormir».
A Imzouren, on trouve des tentes sur le bord de la route. Les rues dévoilent au fur et à mesure qu’on les traverse des murs de brique cisaillés par le séisme, traversés sur plusieurs mètres par une lézarde. Et puis il y a ces trous béants dans les bâtiments, comme si un obus avait atteint un immeuble sur deux. Dans ce quartier, le séisme a fait tomber plusieurs immeubles modernes en même temps. Un bulldozer pousse les gravats qui s’amoncellent et fait resurgir à la surface de la terre des restes de vêtements, des morceaux de matelas et une chaussure. A Beni Abdallah, une autre image évoque aussi la peur qui a dû s’emparer des villageois dans la nuit de mardi. Une chambre à coucher. Le bâtiment a tenu, mais les murs sont lézardés. Des pierres partout sur le sol, mais aussi sur le lit. Il y avait là mari, femme, et enfants quand le tremblement de terre est arrivé. Un ours en peluche a été abandonné dans la précipitation. Il est maintenant au milieu des pierres, à moitié recouvert de poussière.
Le mécontentement de la population
Ce matin, les habitants de Beni Abdallah se sont regroupés sur la place du village, dans l’espoir que les secours arriveront et qu’on leur apportera des tentes. Mais les secours ne viendront pas, aujourd’hui encore, à la colère générale. «Le gros problème, c’est ça: où allons nous dormir maintenant que la pluie commence à tomber ?» s’exclame un homme au bonnet rouge et noir. A Beni Abdallah, depuis le séisme, les habitants dorment souvent à même le sol. Ou ne dorment pas, et discutent.
Plus les heures s’écoulent, et plus la population manifeste son mécontentement. Hier après-midi, des habitants d’Ajdir ou d’Imzouren ont manifesté pour réclamer l’arrivée de l’aide. A la mi-journée, plusieurs centaines de personnes étaient rassemblées devant la wilaya d’Al Hoceima, l’autorité locale, pour dire leur mécontentement. Face à face tendu avec les forces de l’ordre disposées pour garder la grille du bâtiment. «Les avions qui transportent l’aide sont bloqués par les pouvoirs publics », ont notamment scandé en tamazight les manifestants, ne s’interrompant de temps à autre que pour laisser passer une ambulance qui gravissait la côte.
L’aide effectivement a commencé à arriver: 21 avions humanitaire ont déjà atterri à Al Hoceima selon les autorités locales. Des avions qui viennent d’Espagne, d’Italie, mais aussi d’Algérie, de France… La solidarité des Marocains se manifeste elle aussi : les syndicats de pharmaciens des différentes provinces du royaume ont déjà envoyé 600 kilos de médicaments. «Des associations d’Oujda, de Fez, de Casablanca ont envoyé couvertures et produits alimentaires», ajoute un responsable de la wilaya. «Mais alors pourquoi l’aide ne nous arrive-t-elle pas ? s’étonnait un manifestant tout à l’heure. Les autorités ont-elles reçu des choses qu’elles n’ont pas distribué ? Pourquoi ?» L’attaché de presse du gouverneur dément de telles accusations «L’autorité, les élus, la société civile, tout le monde travaille ensemble, et dans le même objectif: aider les sinistrés, explique-t-il. Toutes les aides qui arrivent sont distribuées. Il y a peut-être une anomalie sur la distribution, mais c’est parce que les autorités locales manquent encore de moyens par rapport à ce qui s’est passé».
Certains estiment plutôt que les autorités locales ont été prises de court. D’où les problèmes actuels de coordination de l’aide. Des organisations de la société civile, rassemblées en collectif après le tremblement de terre se sont mobilisés, et ont décidé d’envoyer sur le terrain des observateurs chargés de recenser l’aide effectivement apportée. Une chose est sûre: ce soir en tout cas, chacun ressortira pour dormir à découvert.
Pour en savoir plus:
Voir le reportage photographique complet de notre envoyé spécial.
Ecoutez également:
Le reportage de Laurent Correau 3'10
Les répliques du séisme continuent, Laurent Correau56''
Le bilan, Laurent Correau
par Laurent Correau
Article publié le 27/02/2004