Maroc
Grâce royale pour Ali Lmrabet
Incarcéré depuis le 21 mai dernier pour «outrage à la personne du roi», «atteinte à l’intégrité territoriale» et «atteinte au régime monarchique», le journaliste Ali Lmrabet a été libéré mercredi 7 janvier, à l’occasion d’une amnistie accordée par Mohammed VI à 33 condamnés, «pour des raisons humanitaires». Un geste symbolique, qui doit installer la commission «Equité et Réconciliation», appelée à régler «définitivement» le dossier des exactions commises au Maroc pendant les «années de plomb».
«Je n’ai pas changé, mes journaux restent interdits, mais je vais sortir d’autres journaux» a déclaré à RFI le directeur des deux hebdomadaires satiriques, Demain, francophone, et Doumane, son pendant arabophone. A peine franchie la porte de la prison de Salé, la ville jumelle de Rabat, le journaliste, embastillé pour son impertinence, annonçait que son nouveau journal s’appellerait Après-Demain. Un pied de nez bon enfant qui circulait déjà de temps à autre parmi la centaine de personnes venue l’attendre: amis, journalistes, famille, militants des associations des droits de l’Homme. Si le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) et l’Association marocaine des droits humains (AMDH) étaient représentés par leurs dirigeants, les partis politiques étaient très visiblement absents, comme ils l’ont été durant toute «l’affaire Ali Lmrabet», qui a terni l’image du Maroc ces derniers mois.
Condamné le 21 mai 2003 à quatre ans de prison ferme, ainsi qu’à une amende importante et à l’interdiction de ses deux publications, le journaliste avait été aussitôt incarcéré, alors qu’il menait une grève de la faim depuis le 6 mai. De procès en report, sa peine avait été ramenée à trois ans d’enfermement, le 17 juin, en dépit des protestations de ses deux avocats, dénonçant une «justice ubuesque» et de graves vices de procédure. Début juillet, le journaliste «poil à gratter du pouvoir», avait cessé sa grève de la faim , suite à une entrevue exceptionnelle avec Moulay Hicham, le cousin germain de Mohammed VI, surnommé le «Prince Rouge» par Demain Magazine, le premier hebdomadaire d’Ali Lmrabet, définitivement interdit le 2 décembre 2000.
Le 30 novembre dernier, il avait entamé une nouvelle grève de la faim, pour protester contre les «harcèlements» dont il se disait victime en prison et pour que soit reconnue sa condition de prisonnier d’opinion. Une question que vient donc d’évacuer la libération du correspondant de Reporters sans frontières, l’association qui «remercie aujourd’hui le roi Mohammed VI» tout en regrettant qu’Ali Lmrabet et que le journaliste Mohammed El Hourd, également libéré, «aient dû rester si longtemps en prison» et en espérant «que plus aucun journaliste ne sera désormais incarcéré au Maroc».
«Réconcilier les Marocains avec leur histoire»
Six journalistes, emprisonnés, condamnés à des peines sursitaires ou en cours de procès ont donc été graciés le 7 décembre, ainsi que des extrémistes islamistes, condamnés en 1975 et en 1994 et qu’un militant de l’AMDH. Mais c’est la libération d’Ali Lmrabet qui retient l’attention, dans la mesure où l’emprisonnement du directeur de Demain avait suscité une mobilisation importante à l’étranger, en Espagne et en France notamment, en particulier grâce à une médiatisation importante. Parvenant à communiquer des articles à El Pais ou au Monde, le journaliste, soutenu par le SNPM et de rares journaux indépendants au Maroc, était devenu le symbole d’un combat pour la liberté d’opinion au royaume chérifien. Un combat relayé par les associations des droits humains, AMDH en tête.
Le roi vient donc de donner raison à la société civile, qui s’est mobilisée en faveur de la liberté d’expression, et de redorer l’image du royaume à l’étranger, largement égratignée par le rapport remis à l’ONU en novembre dernier au sujet des droits de l’homme au Maroc. La crispation sécuritaire qui a suivi les attentats qui ont fait 45 morts à Casablanca le 16 mai 2003 et les procès massifs d’islamistes de l’été ont fait ressurgir l’hydre de la torture et de la censure, mettant à mal l’image d’un Maroc en voie de démocratisation. Pressé par l’ONU de donner, d’ici un an, des preuves à même de rassurer ses partenaires occidentaux, le Maroc vient donc de faire un geste symbolique lors de la cérémonie d’installation de la Commission «Equité et réconciliation», qui doit faire en sorte de «réconcilier les Marocains avec leur histoire», selon Mohammed VI. Dossier difficile s’il en est pour le souverain qui doit affronter la réalité du règne précédent, qui a vu disparaître nombre d’opposants politiques, dont les familles veulent aujourd’hui connaître le sort.
Si la nouvelle commission semble ne pas vouloir éluder cette question, celle des responsabilités reste en suspend. Ce qui fait dire aux responsables de l’AMDH, le jour-même de l’amnistie royale que l’association est satisfaite, mais que «cette mesure n’a pas touché l’ensemble des détenus politiques».
Ecouter également:
l’Invité Afrique. Ali Lmrabet répond aux questions de Christophe Boisbouvier (8 janvier 2004, 5’44’’).
Condamné le 21 mai 2003 à quatre ans de prison ferme, ainsi qu’à une amende importante et à l’interdiction de ses deux publications, le journaliste avait été aussitôt incarcéré, alors qu’il menait une grève de la faim depuis le 6 mai. De procès en report, sa peine avait été ramenée à trois ans d’enfermement, le 17 juin, en dépit des protestations de ses deux avocats, dénonçant une «justice ubuesque» et de graves vices de procédure. Début juillet, le journaliste «poil à gratter du pouvoir», avait cessé sa grève de la faim , suite à une entrevue exceptionnelle avec Moulay Hicham, le cousin germain de Mohammed VI, surnommé le «Prince Rouge» par Demain Magazine, le premier hebdomadaire d’Ali Lmrabet, définitivement interdit le 2 décembre 2000.
Le 30 novembre dernier, il avait entamé une nouvelle grève de la faim, pour protester contre les «harcèlements» dont il se disait victime en prison et pour que soit reconnue sa condition de prisonnier d’opinion. Une question que vient donc d’évacuer la libération du correspondant de Reporters sans frontières, l’association qui «remercie aujourd’hui le roi Mohammed VI» tout en regrettant qu’Ali Lmrabet et que le journaliste Mohammed El Hourd, également libéré, «aient dû rester si longtemps en prison» et en espérant «que plus aucun journaliste ne sera désormais incarcéré au Maroc».
«Réconcilier les Marocains avec leur histoire»
Six journalistes, emprisonnés, condamnés à des peines sursitaires ou en cours de procès ont donc été graciés le 7 décembre, ainsi que des extrémistes islamistes, condamnés en 1975 et en 1994 et qu’un militant de l’AMDH. Mais c’est la libération d’Ali Lmrabet qui retient l’attention, dans la mesure où l’emprisonnement du directeur de Demain avait suscité une mobilisation importante à l’étranger, en Espagne et en France notamment, en particulier grâce à une médiatisation importante. Parvenant à communiquer des articles à El Pais ou au Monde, le journaliste, soutenu par le SNPM et de rares journaux indépendants au Maroc, était devenu le symbole d’un combat pour la liberté d’opinion au royaume chérifien. Un combat relayé par les associations des droits humains, AMDH en tête.
Le roi vient donc de donner raison à la société civile, qui s’est mobilisée en faveur de la liberté d’expression, et de redorer l’image du royaume à l’étranger, largement égratignée par le rapport remis à l’ONU en novembre dernier au sujet des droits de l’homme au Maroc. La crispation sécuritaire qui a suivi les attentats qui ont fait 45 morts à Casablanca le 16 mai 2003 et les procès massifs d’islamistes de l’été ont fait ressurgir l’hydre de la torture et de la censure, mettant à mal l’image d’un Maroc en voie de démocratisation. Pressé par l’ONU de donner, d’ici un an, des preuves à même de rassurer ses partenaires occidentaux, le Maroc vient donc de faire un geste symbolique lors de la cérémonie d’installation de la Commission «Equité et réconciliation», qui doit faire en sorte de «réconcilier les Marocains avec leur histoire», selon Mohammed VI. Dossier difficile s’il en est pour le souverain qui doit affronter la réalité du règne précédent, qui a vu disparaître nombre d’opposants politiques, dont les familles veulent aujourd’hui connaître le sort.
Si la nouvelle commission semble ne pas vouloir éluder cette question, celle des responsabilités reste en suspend. Ce qui fait dire aux responsables de l’AMDH, le jour-même de l’amnistie royale que l’association est satisfaite, mais que «cette mesure n’a pas touché l’ensemble des détenus politiques».
Ecouter également:
l’Invité Afrique. Ali Lmrabet répond aux questions de Christophe Boisbouvier (8 janvier 2004, 5’44’’).
par Isabelle Broz
Article publié le 08/01/2004