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Islam

Drame au pèlerinage

Une bousculade dans la plaine de Mina a provoqué la mort de près de 250 pèlerins dimanche, piétinés et asphyxiés lors du rite de lapidation des stèles symbolisant Satan. Slimane Zeghidour, qui vient de publier La Mecque au cœur du pèlerinage (Editions Larousse), explique pourquoi le passage de Mina est particulièrement dangereux.
RFI: ce n’est pas la première fois que de dramatiques incidents meurtriers se produisent lors du pèlerinage à Mina. Comment se fait-il qu’avec toutes les précautions prises par les autorités, ce genre d’accident puisse encore se produire ?

Slimane Zeghidour:
Ce n’est pas un hasard si ces bousculades se produisent à Mina et non sur la plaine d’Arafat. La raison en est la topographie et les accidents du relief. La plaine d’Arafat, qui fait douze kilomètres sur quinze, est complètement plate, il y a donc de l’espace. Les pèlerins peuvent s’y déplacer dans de grandes autoroutes qui coupent en damier la plaine. Il n’y a jamais eu de bousculade à Arafat. Mais Mina représente un cinquième de la plaine d’Arafat. L’espace est brusquement divisé par cinq. Qui plus est, il s’agit d’un ravin cerné de montagnes des deux côtés. Les pèlerins sont les uns sur les autres. Un vrai goulet d’étranglement. Arafat est le cône de l’entonnoir tandis que Mina en est le goulet qui conduit à La Mecque. Non seulement les gens y sont les uns sur les autres, mais ils y restent trois à quatre jours dans ce défilé. Le fait que les stèles soient situées sur environ 600 mètres sur une route bordée de chaque côté par des falaises fait qu’il y a une concentration de 400 000 à 500 000 personnes en train de lapider ces stèles et dont les possibilités de dégagement dans l’espace latéral de chaque côté sont extrêmement limitées.

RFI: Sans faire le compte des nombreux incidents meurtriers qui ont marqué le pèlerinage depuis une vingtaine d’années, dans quel état d’esprit les pèlerins arrivent-ils à La Mecque, sachant que chaque année, on va déplorer plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de morts ?

SZ:
C’est la dernière chose à laquelle les gens pensent. Ils sont tellement portés par l’idée de se rendre à La Mecque, d’aller voir la terre du Prophète, la terre d’Abraham que c’est le dernier de leur souci et ils trouveraient presque outrecuidant qu’on leur rappelle le fait qu’ils vont dans un endroit qui est chaud, dont l’histoire tout entière est émaillée d’incidents violents…

RFI: À l’époque du Prophète, l’obligation du pèlerinage qui a été codifiée concernait une communauté beaucoup plus réduite vivant non loin de La Mecque. Aujourd’hui, c’est le monde entier qui est concerné : un milliard de musulmans, mais il y a aussi l’avion et les hôtels climatisés. Est-ce qu’on peut retrouver l’authenticité du pèlerinage des premiers siècles ?

SZ:
Pensez qu’en 1900, il y avait 10 000 pèlerins ; en 2002, ils étaient deux millions. C’est une explosion totale et évidemment, l’avion a joué un grand rôle. Mais également le fait que l’effondrement de l’Union soviétique a libéré subitement presque 70 millions de musulmans supplémentaires. Presque 10 % des musulmans pouvaient enfin, après soixante-dix ans de glacis soviétique, se rendre à La Mecque. La décolonisation, la fin de l’URSS, le développement du transport aérien ont évidemment ouvert les vannes. À tel point qu’aujourd’hui, la demande est deux fois plus importante que l’offre de visas. En mars 1988, le nombre de visas a été limité par les autorités saoudiennes à quota d’un pèlerin pour mille habitants dans chaque pays.


Ecouter également:
Le témoignage de Toufik Benaïchouche, envoyé spécial de RFI à La Mecque, au micro d’Olivier Fourg (1er février 2004, 4’05’’).



par Propos recueillis par Olivier  Da Lage

Article publié le 02/02/2004