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Taiwan

Les élections débouchent sur une crise politique

Le président Chen Shui Bian, chef du DPP a été réélu avec 50,11% des voix, contre 49,89% en faveur de son adversaire Lien Chan, à la tête du KMT. La participation, à peine inférieure au scrutin de 2000, reste élevée: plus de 80 % des électeurs ont voté aux présidentielles. En revanche, le référendum n’a pas obtenu le quorum nécessaire de 50 %. La procédure est donc invalidée. La légèreté du score réalisée par le président a complètement changé les termes du débat, tel qu’il se posait à la veille des élections, tout au long de la campagne. Les querelles internes ont pris le pas sur la question des relations avec la Chine continentale, et sur le risque d’instabilité qu’aurait pu induire le référendum défensif contre les missiles chinois. Le KMT refuse la défaite.
De notre envoyée spéciale à Taipeh

Consternés par la défaite, les militants du KMT sont restés mobilisés derrière leurs leaders pour contester l’issue du scrutin. Des incidents ont éclaté dans la nuit de samedi à dimanche, notamment au centre de l’île, à Taijung, où les manifestants en colère se sont heurtés aux forces de l’ordre. Pour apaiser les tensions, la Haute Cour a annoncé dès dimanche matin la mise sous scellé des urnes. Mais ce que veulent les partisans de Lien Chan, c’est un nouveau décompte des voix. Les responsables du KMT ont décidé de porter plainte, jugeant le scrutin inéquitable.

En fait, les griefs pointés par l’opposition sont nombreux. Selon eux, l’attentat contre le président à la veille du scrutin a pu renverser la tendance qui leur était plutôt favorable, dans un contexte de course électorale au coude à coude. Du coup, les demandes d’éclaircissement sur cette affaire se font de plus en plus insistantes. Les responsables du parti reprochent aux autorités leur manque de transparence, suggérant une véritable machination pour obtenir la victoire à l’arrachée. Le fait est qu’aucun suspect n’a été arrêté.

En réalité, la défaite de l’opposition l’a conduit à rejeter en bloc tout le processus électoral. On savait déjà que le Kuomintang considérait que les circonstances ne permettaient pas de recourir au référendum. Néanmoins, après avoir prôné le boycott dans un premier temps, le KMT s’était fait beaucoup plus discret, de peur de s’aliéner les voix des taiwanais exaspérés par les intrusions de Pékin dans les affaires du pays. Apparemment, la relative modération des autorités chinoises -à l’occasion de ce scrutin- n’a pas permis au DPP de mobiliser l’électorat sur cette question.

Toute l’attention s’est alors portée sur le choix du candidat à la présidence. Si les militants du KMT ne sont pas prêts à digérer la défaite, c’est non seulement en raison du faible score de leur adversaire, mais c’est aussi que la commission électorale a enregistré un nombre important de bulletins nuls. Il s’agit de bulletins sur lesquels les électeurs se sont prononcés en faveur de l’un et l’autre candidat. C’était ce que préconisait un groupe d’activistes, baptisé «groupe du million de bulletins nuls». Ce mouvement s’était illustré dans un certain nombre d’actions de rue tout au long de la campagne, et les sympathisants de ce mouvement étaient déterminés à faire capoter l’élection par hostilité envers les deux camps, DPP et KMT. Le KMT souhaite un réexamen de ces bulletins. En outre, les suspicions à l’égard de la tentative d’assassinat du président portent le KMT à déplorer la mobilisation de quelque deux cent mille membres des forces de l’ordre -généralement plutôt enclins à voter pour eux- empêchés ce jour-là de se rendre aux urnes.

La démocratie en danger

Vu l’étendue des reproches adressés aux autorités par le KMT au lendemain des élections, on peut se demander pourquoi l’opposition n’a pas appelé au report ou au boycott du scrutin. «Trois jours avant les élections, Lien Chan nous disait déjà que c’était un scrutin inéquitable» affirme Su Chi, conseiller du Kuomintang aux affaires internationales.

Si la justice tranche en faveur d’un nouveau décompte des voix, plusieurs scénarii se présentent, mais il y a peu de chance que le score ne vienne conforter les attentes du KMT: l’opposition crie au complot, à la manipulation de l’opinion, mais apporte peu d’éléments concernant d’éventuelles fraudes électorales proprement dites. Si la victoire du DPP se confirme, Taiwan risque de connaître une grave crise interne.

La plus grande inconnue reste la réaction de Pékin, généralement plus favorable au Kuomintang qu’au DPP, accusé de défendre les thèses indépendantistes. Jusque là, le gouvernement chinois s’est borné à une réaction de satisfaction face à l’échec du référendum. Tout dépend de la bonne volonté des uns et des autres, de part et d’autre du détroit, pour une reprise du dialogue. Chen Shui Bian est aujourd’hui entre le marteau et l’enclume.



par Sophie  Malibeaux

Article publié le 21/03/2004