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Côte d''Ivoire

L’instabilité politique grandit

En attendant les casques bleus de l’ONU, les Ivoiriens continuent de régler les comptes entre eux. Le ciel politique s’obscurcit pendant que la situation militaire reste figée. Le climat politique à Abidjan est toujours instable.
Le 27 février dernier, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution en faveur de la Côte d’Ivoire. Se satisfaisant d’un climat relativement apaisé, le Conseil de sécurité avait décidé d’accompagner l’élan de paix et surtout de suppléer à l’essoufflement des forces de la CEDEAO. En effet, les pays contributeurs commençaient par trouver le temps et s’agaçaient aussi des attitudes des protagonistes ivoiriens qui semblaient traîner le pas en s’adonnant à des calculs dont plus personne ne comprend rien. Mais l’auguste assemblée des Nations unies fait fi de l’ambiance locale pour ne fonder sa ligne d’action que sur les engagements exprimés des uns et des autres.

La résolution 1528 crée alors l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), à partir du 4 avril 2004. Elle récupèrera à cette date les compétences de la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (MINUCI) pour aussi phagocyter les forces de la CEDEAO. L’ONUCI, en plus d’un effectif administratif sera fort de 6 240 militaires, dont 200 observateurs militaires, 120 officiers d’état-major et 350 membres de la police civile. Les soldats du contingent de la CEDEAO étant comptés dans l’effectif global de l’ONUCI, on attend en Côte d’Ivoire à partir du 4 avril environ 4 000 casques bleus. Quant aux forces françaises de l’opération Licorne, elles partageront avec l’ONUCI les missions de surveillance, de liaison et de participation au programme de désarmement, démobilisation, réinsertion, rapatriement et réinstallation.

D’autres alinéas de la résolution des Nations unies énumèrent les aides et contributions de l’ONUCI, dans les domaines de protection, de concertation, de facilitation, d’information et de promotion des droits de l’homme. Avec le concours de la CEDEAO et des autres partenaires internationaux l’ONUCI offrira «une assistance technique en vue de préparer et faciliter la tenue de consultations électorales libres, honnêtes et transparentes dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord de Linas-Marcoussis, en particulier des élections présidentielles», précise le Conseil de sécurité. Et c’est justement cette perspective qui raidit déjà les relations entre les différentes formations politiques.

Le programme de désarmement encadré par le gouvernement de réconciliation nationale qui aurait dû débuter depuis le 8 mars a tout simplement été rejeté par les Forces nouvelles (ex-rebelles). Tout en participant au gouvernement, elles affirment «ne placer aucune confiance dans les intentions du président Gbagbo». Elles trouvent un écho auprès du Parti démocratique de Côte d’Ivoire dont les ministres suspendent leur participation au gouvernement. Mais le boycott du gouvernement et l’isolement du Front populaire ivoirien (FPI) le parti du président souhaités par le PDCI se font à reculons. Les autres formations politiques qui soutiennent l’action du PDCI hésitent à franchir le pas d’un blocage politique total. Les uns se rappelant au bon souvenir des autres pour se remettre en mémoire «leurs différents manques de solidarité» aux heures sombres de l’histoire politique récente de la Côte d’Ivoire.

Les jeunes patriotes reprennent du service

Dans cette distribution de rôles, Laurent Gbagbo espère tirer son épingle du jeu en adoptant la ligne du pourrissement. Mais la stratégie de la passivité et du laisser-faire a des revers que son pouvoir ne maîtrise pas forcément. Ses partisans déterminés «les jeunes patriotes» se sont investis du droit de contrarier toutes les nominations qui leur paraîtraient douteuses. C’est ainsi qu’ils ont envahi les locaux du palais de justice d’Abidjan pour s’opposer à la prise de fonction le 9 mars de deux magistrats nommés par la ministre de la Justice Henriette Diabaté, numéro 2 du Rassemblement des républicains (RDR) de l’opposant Alassane Ouattara. De nombreux magistrats et journalistes ont été roués de coups par les «jeunes patriotes». Les syndicats de magistrats ont vivement réagi et stigmatisé la complaisance des forces de l’ordre. Le président de la République a aussi condamné ces agissements et les a mis sous le couvert de l’ignorance. Il a précisé à l’endroit de ses supporteurs que les nominations n’étaient pas du seul fait de la ministre de la Justice, mais «qu’elles se décidaient en Conseil des ministres et visées par lui». Ce rappel à l’ordre semble bien léger au vu des incidents et les magistrats ont réclamé une sanction exemplaire contre les responsables bien connus des actes de violence.

Les jeunes patriotes ont aussi essayé en vain, le 10 mars de déloger les ministres des Forces nouvelles de l’hôtel qu’ils occupent à Abidjan. Ils ont été repoussés à coup de grandes lacrymogènes. Les partis politiques signataires de l’accord de Marcoussis ont alors décidé d’organiser une manifestation contre ces débordements dits incontrôlés mais qui semblent bien être télécommandés et tolérés. Mais à l’issue du dernier conseil de ministres, le président Laurent Gbagbo a décidé d’interdire toute manifestation de rues jusqu’au 30 avril. «Ce n’est pas le moment de se donner en spectacle (aux yeux de la communauté internationale), nous devons rester dignes», a déclaré le président Gbagbo.

Cette décision du président de la République n’efface pas l’impasse politique dans laquelle s’engouffre la Côte d’Ivoire. Les Etats-Unis s’en préoccupent et s’en inquiètent au point d’adresser un message de rappel à l’ordre au président Gbagbo. Ils dénoncent «le manque de respect des lois» et «l’impunité dont jouissent certains groupes». Pourvu que cette fermeté de ton de l’administration Bush, espèrent certains observateurs, «ne contrarie pas le déploiement prochain des casques bleus en Côte d’Ivoire».



par Didier  Samson

Article publié le 16/03/2004