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Proche-Orient

Enfant et kamikaze

Un jeune Palestinien de seize ans a failli être mercredi l’auteur de la première opération kamikaze anti-israélienne après la liquidation lundi à l’aube du chef spirituel du Hamas cheikh Ahmed Yassine. L’adolescent a été désarmé in extremis par des soldats israéliens à un barrage militaire près de la ville de Naplouse. Il s’agit de l’un des Palestiniens les plus jeunes qui ait jamais tenté de se faire exploser. Une étude menée par le Gaza mental health center a récemment montré que le désir le plus cher d’un enfant ou adolescent palestinien sur quatre était de mourir en martyr à l’âge de dix huit ans.
La vigilance des soldats israéliens, en état d’alerte maximale depuis l’élimination de cheikh Ahmed Yassine, a sans doute permis mercredi d’éviter un drame. Ils ont en effet intercepté in extremis au barrage militaire de Hawara, en Cisjordanie, un adolescent qui portait une ceinture d’explosifs de huit kilos qu’il avait l’intention de faire exploser une fois qu’il se serait trouvé à leur proximité. «Les soldats, qui étaient sur le qui-vive, ont remarqué son comportement suspect. Ils ont aussitôt pris position derrière des abris et lui ont crié de s’arrêter en pointant leur arme sur lui», a expliqué le lieutenant-colonel Gaï qui dirige l’unité parachutiste chargé du barrage. Selon lui, si le jeune kamikaze n'a pas actionné la charge c’est «à cause de la réaction rapide des soldats et parce qu'il s'est rendu compte que l'explosion n'aurait pas d'effet sur des militaires déjà abrités». Les images du jeune garçon filmé par des caméras de télévision ont largement été diffusées. On y voit les militaires à couvert lui ordonner de retirer sa chemise et lui jeter une paire de ciseaux pour qu’il se libère du maillot d’explosifs. La charge a ensuite été désamorcée par un robot contrôlé à distance.

Houssane Abdou n’a que seize ans et risque vingt-cinq années de réclusion. Les porte-parole de l’armée israélienne avaient indiqué dans un premier temps qu’un enfant de dix ans avait été arrêté, avant de rectifier son âge et le porter à douze puis quatorze ans. L’adolescent habitait avec ses parents dans un appartement du quartier al-Makhfiya de Naplouse. Selon sa mère, il avait cessé d’aller à l’école il y a deux semaines après une dispute avec des professeurs. «Hier soir, a-t-elle confié à l’AFP, il m’a annoncé qu’il allait retourner à l’école puis il est parti prier à la mosquée. Quand il est revenu, il s’était coupé les cheveux et m’a embrassé la main et les joues». La mère de Houssane ne cache pas son indignation. «Envoyer un enfant de cet âge commettre un attentat n’est pas patriotique», a-t-elle affirmé.

Cet incident survient une dizaine de jours après l’arrestation d’un enfant palestinien de onze ans qui, affirme l’armée israélienne, transportait sans le savoir une bombe. Abdallah Qaraan avait été interpellé à ce même barrage de Hawara où il se rendait chaque jour après l’école pour aider les voyageurs qui le franchissent à porter leurs bagages contre quelques centimes d’euros. L’enfant, bien connu des militaires, transportait ce jour-là trois valises qui selon ses dires ne contenaient que des pièces détachées pour voiture. Les soldats, qui l’ont arrêté pour une inspection de routine, affirment que dans l’un des sacs il y avait une bombe de dix kilos qui comportait des boulons et des pièces de métal. Selon eux «la charge était prête à être actionnée au moyen d’un téléphone cellulaire». Un témoin qui se trouvait à trois mètres de l’enfant quand les valises ont été fouillés affirme pour sa part avoir vu un objet qui «ressemble à une batterie de voiture». Personne ne saura ce qu’il y avait dans ces bagages qui ont été très vite détruits par l’armée israélienne.

Un enfant sur quatre rêve de devenir martyr

L’arrestation du petit Abdallah –c’est la première fois qu’un enfant de cet âge est impliqué dans une histoire du genre– a soulevé une vague d’indignation dans la société palestinienne, choquée de découvrir que des enfants pouvaient être utilisés dans des opérations terroristes. Des associations de défense de droits de l’homme palestiniennes mais aussi israéliennes ont immédiatement condamné l’utilisation d’enfants à des fins meurtrières tout en mettant en cause la version de l’affaire donnée par l’armée israélienne. «Cet enfant est trois fois victime», a ainsi affirmé l'association Médecins pour les droits de l'homme en Israël. Il est victime «d'abord de ses conditions de vies qui le forcent à travailler, ce qui n'est pas normal pour un enfant de son âge», ensuite, si ce que dit l'armée est vrai, il «est victime des gens qui ont mis sa vie en danger», enfin, il est victime «de la propagande israélienne qui a publié sa photo et des détails sur sa personne dans le monde entier, ce qui est contraire à la loi israélienne et au droit international», a précisé cette ONG.

Plusieurs groupes palestiniens ont également condamné le fait que des enfants puissent être utilisés par des organisations terroristes. «Utiliser des enfants pour des opérations militaires est contraire aux valeurs palestiniennes et ne sert pas la cause palestinienne», a ainsi déclaré le militant pour les droits de l'homme palestinien Ahmad Abou Tawahina Iyad. Ce point de vue est également partagée par Jihane al-Helo, de l'institut Tamer pour l'éducation de la communauté, qui n’a pas hésité à accuser Israël de vouloir «essayer de montrer au monde que les Palestiniens ont des enfants soldats, afin de justifier ses propres meurtres d'enfants».

Toujours est-il que trois années et demi d’Intifada ont laissé des marques dans la société palestinienne. Une étude à grande échelle menée par le Gaza Mental Health Center a ainsi récemment montré que le désir le plus cher d'un enfant ou adolescent palestinien sur quatre était de mourir en martyr à l'age de 18 ans. L’étude, menée sur 944 enfants et adolescents de 10 a 19 ans, révèle également que 94% d’entre eux ont assisté à des funérailles, 83,2% ont été témoins d'incidents impliquant des tirs et 61,6% ont vu un proche tué ou être blessé. Cet étude menée par un éminent psychiatre de Gaza Iyyad al-Saraj, montre enfin que beaucoup de kamikazes de la deuxième Intifada sont des enfants de la première qui ont vu leurs pères battus et humiliés.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 25/03/2004