Politique française
Le vote-sanction confirmé ?
Les 40% de suffrages recueillis par les listes de gauche, dimanche dernier, au premier tour de l’élection des conseillers régionaux ont donné au scrutin une valeur nationale et conforté l’hypothèse d’un vote-sanction contre le gouvernement. Les états-majors nationaux se sont mobilisés au cours de cette semaine, à gauche pour conforter la tendance, à droite pour tenter de l’inverser. Le maintien des listes d’extrême droite au second tour risque de porter un lourd préjudice aux candidats de droite et les 26 régions françaises pourraient verser majoritairement à gauche dimanche soir.
Les élections régionales ont beau n’être que régionales, et ne pas comporter en conséquence d’enjeux nationaux, en France on ne parle que de ça: de l’influence du scrutin sur le personnel gouvernemental et ses choix stratégiques, si les électeurs persistaient dans leur choix de tout confondre, comme ils l’ont fait au premier tour, et de sanctionner la politique suivie par le président et son équipe. D’ailleurs, depuis les résultats de dimanche dernier, le discours a sensiblement évolué sur cette question et nombre de ténors de droite n’hésitent plus à reconnaître le caractère national du désaveu régional.
Cette semaine, les derniers meetings de campagne ont donc été l’occasion, pour tous, de ramener la politique au cœur des débats et de «nationaliser» la bataille en cours. A droite comme à gauche, les «têtes d’affiches» ont battu la campagne pour soutenir les candidats, tandis que les personnalités les moins populaires étaient soigneusement tenues à l’écart des réunions. On a ainsi beaucoup vu le très populaire ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy dans les meetings de soutien aux candidats de droite, parfois accompagné de l’épouse du président, Bernadette Chirac. Sur l’autre versant, l’ancien numéro un du parti socialiste Lionel Jospin, pourtant dégagé des obligations politiques depuis sa défaite du 22 avril 2002, a effectué quelques déplacements pour appuyer la candidature de ses amis.
Entre déficit d’explications et impatience des électeurs, selon les personnalités plusieurs analyses s’expriment à droite pour expliquer la contre-performance du premier tour. Le porte-parole du gouvernement, Jean-François Copé actuellement candidat à la présidence de l’Ile de France, estime que la majorité présidentielle paie le prix de l’impatience des Français à voir se dégager les bénéfices des réformes «courageuses» engagées par l’équipe de Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin depuis deux ans. Pas question pourtant de marquer une pause ou de revenir en arrière. Le ministre des Affaires sociales écarte toute tentation démagogique et plaide au contraire pour une accélération des réformes.
Quant au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, son avenir est au centre de toutes les spéculations. «Adieu Raffarin», titrait cette semaine l’hebdomadaire de gauche le Nouvel Observateur. Pourtant le chef du gouvernement n’a peut-être pas dit son dernier mot politique. Il possède en effet une qualité incontestable aux yeux du président de la République: contrairement au bouillant ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, qui ne cache pas sa volonté de bouleverser la stratégie de Jacques Chirac pour les élections présidentielles de 2007, le chef du gouvernement, lui, n’affiche aucune autre ambition que servir la politique de son patron. Défaite ou pas aux régionales, son avenir à court terme ne serait ainsi pas menacé, du moins jusqu’aux élections européennes de juin, et la nécessité de prendre en compte le message des électeurs passerait donc par un simple remaniement ministériel qui pourrait intervenir au cours de la semaine prochaine. Le Figaro avance la date du 2 avril, jour de l’élection des nouveaux présidents de régions.
Le joker social
Ce remaniement s’articulerait autour de la même équipe qui se livrerait au jeu des chaises musicales. Nicolas Sarkozy conserverait un portefeuille de l’Intérieur dont le champ d’action serait élargi à l’aménagement du territoire et à la fonction publique. Le porte-parole Jean-François Copé, en cas d’échec dimanche, prendrait le Budget tandis que le ministre des Affaires sociales, François Fillon, remplacerait son collègue Francis Mer aux Finances, cédant sa place au ministre de la Ville, Jean-Louis Borloo, en charge du secteur «cohésion sociale». Car, à l’occasion de ce second tour des élections régionales, nous assistons à un grand retour du discours sur la nécessité de réintroduire le facteur social au cœur de la politique gouvernementale.
Après une campagne menée par l’opposition sur le thème de la «régression sociale», la «justice sociale» est de retour dans le discours gouvernemental et elle est même redevenue un thème central de la campagne de ce second tour. «J’ai entendu ce qu’on dit les Français, j’ai entendu les souffrances, j’ai entendu les inquiétudes, j’ai entendu aussi les irritations», a assuré Jean-Pierre Raffarin qui a rappelé son bilan et dégagé ses perspectives: «un, on a fait l’autorité républicaine, il fallait la rétablir. Deux, on a permis le retour à la croissance: nous sommes sur le rythme de 2% de croissance. Aujourd’hui nous avons les moyens de mettre la justice sociale et la cohésion sociale au cœur des priorités gouvernementales». Sera-t-il entendu et est-il encore temps ?
Dimanche, la gauche pour sa part se passera du soutien des petites formations d’extrême-gauche qui n’ont pas appelé leurs électeurs, conformément à leur accord de fusion du premier tour, à reporter leurs voix sur les partis de la «gauche plurielle». Pour le reste, la sagesse contraint à n’en point trop faire. L’objectif est d’éviter, tout d’abord, de faire des bêtises et, d’autre part, de capitaliser par défaut les bourdes de l’adversaire. Gouverner expose et, tôt ou tard, l’électeur consumériste, fin politique, habile tacticien et peu porté sur l’idéologie ne boude pas son bon plaisir de sanctionner les sortants. Tous les partis, toutes tendances confondues ont fait tôt ou tard l’amère expérience du caractère éphémère du pouvoir.
Mais arithmétiquement, c’est plié. Les deux formations de la droite républicaines UMP et UDF n’ont pas réussi à trouver de terrain d’entente dans quatre régions où elle s’affaibliront mutuellement. Et les triangulaires gauche-droite-extrême droite, avec le maintien des listes d’extrême droite du Front national partout où elles ont pu atteindre la barre des 10%, vont lourdement handicaper les chances de la droite et favoriser la gauche. En effet, compte tenu du caractère violemment protestataire du vote d’extrême-droite, et du maintien du FN au second tour, il est douteux que les appels lancés par les formations de droite aux électeurs du Front national soient massivement entendus. Sur les 22 régions métropolitaines, la droite pourrait ainsi perdre 5 ou 6 des 14 régions qu’elle détenait. La gauche, qui en détenait 8, pourrait donc se retrouver à la tête de la majorité d’entre elles.
Les candidats de gauche, tout à leur surprise et leur satisfaction de retrouver un électorat certes critique mais incontestablement présent, joue la modestie et s’efforcent de ne pas trop en faire, afin de ne pas ruiner leur chance en déclarations intempestives. Un vote-sanction contre la politique gouvernementale n’est en effet pas un vote d’adhésion en faveur de la gauche.
Ecouter également
l’Invité de la mi-journée: Dominique Reynié, politologue. Il répond aux questions de Frédérique Genot (26 mars 2004, 8'11").
Cette semaine, les derniers meetings de campagne ont donc été l’occasion, pour tous, de ramener la politique au cœur des débats et de «nationaliser» la bataille en cours. A droite comme à gauche, les «têtes d’affiches» ont battu la campagne pour soutenir les candidats, tandis que les personnalités les moins populaires étaient soigneusement tenues à l’écart des réunions. On a ainsi beaucoup vu le très populaire ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy dans les meetings de soutien aux candidats de droite, parfois accompagné de l’épouse du président, Bernadette Chirac. Sur l’autre versant, l’ancien numéro un du parti socialiste Lionel Jospin, pourtant dégagé des obligations politiques depuis sa défaite du 22 avril 2002, a effectué quelques déplacements pour appuyer la candidature de ses amis.
Entre déficit d’explications et impatience des électeurs, selon les personnalités plusieurs analyses s’expriment à droite pour expliquer la contre-performance du premier tour. Le porte-parole du gouvernement, Jean-François Copé actuellement candidat à la présidence de l’Ile de France, estime que la majorité présidentielle paie le prix de l’impatience des Français à voir se dégager les bénéfices des réformes «courageuses» engagées par l’équipe de Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin depuis deux ans. Pas question pourtant de marquer une pause ou de revenir en arrière. Le ministre des Affaires sociales écarte toute tentation démagogique et plaide au contraire pour une accélération des réformes.
Quant au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, son avenir est au centre de toutes les spéculations. «Adieu Raffarin», titrait cette semaine l’hebdomadaire de gauche le Nouvel Observateur. Pourtant le chef du gouvernement n’a peut-être pas dit son dernier mot politique. Il possède en effet une qualité incontestable aux yeux du président de la République: contrairement au bouillant ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, qui ne cache pas sa volonté de bouleverser la stratégie de Jacques Chirac pour les élections présidentielles de 2007, le chef du gouvernement, lui, n’affiche aucune autre ambition que servir la politique de son patron. Défaite ou pas aux régionales, son avenir à court terme ne serait ainsi pas menacé, du moins jusqu’aux élections européennes de juin, et la nécessité de prendre en compte le message des électeurs passerait donc par un simple remaniement ministériel qui pourrait intervenir au cours de la semaine prochaine. Le Figaro avance la date du 2 avril, jour de l’élection des nouveaux présidents de régions.
Le joker social
Ce remaniement s’articulerait autour de la même équipe qui se livrerait au jeu des chaises musicales. Nicolas Sarkozy conserverait un portefeuille de l’Intérieur dont le champ d’action serait élargi à l’aménagement du territoire et à la fonction publique. Le porte-parole Jean-François Copé, en cas d’échec dimanche, prendrait le Budget tandis que le ministre des Affaires sociales, François Fillon, remplacerait son collègue Francis Mer aux Finances, cédant sa place au ministre de la Ville, Jean-Louis Borloo, en charge du secteur «cohésion sociale». Car, à l’occasion de ce second tour des élections régionales, nous assistons à un grand retour du discours sur la nécessité de réintroduire le facteur social au cœur de la politique gouvernementale.
Après une campagne menée par l’opposition sur le thème de la «régression sociale», la «justice sociale» est de retour dans le discours gouvernemental et elle est même redevenue un thème central de la campagne de ce second tour. «J’ai entendu ce qu’on dit les Français, j’ai entendu les souffrances, j’ai entendu les inquiétudes, j’ai entendu aussi les irritations», a assuré Jean-Pierre Raffarin qui a rappelé son bilan et dégagé ses perspectives: «un, on a fait l’autorité républicaine, il fallait la rétablir. Deux, on a permis le retour à la croissance: nous sommes sur le rythme de 2% de croissance. Aujourd’hui nous avons les moyens de mettre la justice sociale et la cohésion sociale au cœur des priorités gouvernementales». Sera-t-il entendu et est-il encore temps ?
Dimanche, la gauche pour sa part se passera du soutien des petites formations d’extrême-gauche qui n’ont pas appelé leurs électeurs, conformément à leur accord de fusion du premier tour, à reporter leurs voix sur les partis de la «gauche plurielle». Pour le reste, la sagesse contraint à n’en point trop faire. L’objectif est d’éviter, tout d’abord, de faire des bêtises et, d’autre part, de capitaliser par défaut les bourdes de l’adversaire. Gouverner expose et, tôt ou tard, l’électeur consumériste, fin politique, habile tacticien et peu porté sur l’idéologie ne boude pas son bon plaisir de sanctionner les sortants. Tous les partis, toutes tendances confondues ont fait tôt ou tard l’amère expérience du caractère éphémère du pouvoir.
Mais arithmétiquement, c’est plié. Les deux formations de la droite républicaines UMP et UDF n’ont pas réussi à trouver de terrain d’entente dans quatre régions où elle s’affaibliront mutuellement. Et les triangulaires gauche-droite-extrême droite, avec le maintien des listes d’extrême droite du Front national partout où elles ont pu atteindre la barre des 10%, vont lourdement handicaper les chances de la droite et favoriser la gauche. En effet, compte tenu du caractère violemment protestataire du vote d’extrême-droite, et du maintien du FN au second tour, il est douteux que les appels lancés par les formations de droite aux électeurs du Front national soient massivement entendus. Sur les 22 régions métropolitaines, la droite pourrait ainsi perdre 5 ou 6 des 14 régions qu’elle détenait. La gauche, qui en détenait 8, pourrait donc se retrouver à la tête de la majorité d’entre elles.
Les candidats de gauche, tout à leur surprise et leur satisfaction de retrouver un électorat certes critique mais incontestablement présent, joue la modestie et s’efforcent de ne pas trop en faire, afin de ne pas ruiner leur chance en déclarations intempestives. Un vote-sanction contre la politique gouvernementale n’est en effet pas un vote d’adhésion en faveur de la gauche.
Ecouter également
l’Invité de la mi-journée: Dominique Reynié, politologue. Il répond aux questions de Frédérique Genot (26 mars 2004, 8'11").
par Georges Abou
Article publié le 26/03/2004