Politique française
Elections régionales: entre adhésion, sanction et abstention
Plus de 40 millions de Français sont invités dimanche à élire leurs conseillers régionaux. Ce sera le seul rendez-vous électoral d’ici les élections générales de 2007. En conséquence le dépouillement des urnes fournira dimanche soir un panorama précis de l’état de l’opinion et de la confiance qu’elle place dans les formations présentes sur l’échiquier politique national. Néanmoins les sondages prédisent un taux d’abstention record.
L’abstention
C’est un scrutin dont les enjeux sont largement ignorés, ou négligés, par une large fraction de l’opinion publique. Il suffit pour s’en convaincre de prendre connaissance des sondages d’opinion indiquant que la moitié du corps électoral, soit plus de 20 millions de citoyens, pourraient ne pas se déplacer dimanche. Le «parti des pêcheurs à la ligne», ceux qui choisissent de ne pas sacrifier leur passe-temps favori à leur devoir électoral, serait donc le premier parti de France. Les formations politiques enragent, ou font semblant. Elles n’ont en effet pas toutes intérêt à voir les Français se précipiter sur les urnes. Si toutes font appel au civisme des citoyens, en vertu du fait qu’il est important de manifester son adhésion à la démocratie, en revanche force est de constater que le scrutin se déroule dans un climat général plutôt morose et peu propice à l’exaltation des grands idéaux dont les partis dominants de la scène politique française ne sont de toute façon plus porteurs, ouvrant ainsi des perspectives intéressantes au petites formations, voire aux extrêmes.
Le bilan
La situation est d’autant moins bonne pour le parti présidentiel UMP qu’au bout de deux années de travail à la tête de l’exécutif et du législatif, il s’est mis à peu prés tout le monde à dos: jeunes, (futurs) vieux, fonctionnaires, intermittents, magistrats, intellectuels, Corses, enseignants, (certains) musulmans, etc. Le contexte économique est déprimé, la dette publique abyssale, la croissance est nulle, le chômage en hausse, les indemnisations en baisse, la délinquance ne recule pas (sauf sur les routes), les prisons débordent. Le gouvernement peut se féliciter de chiffres records de créations d’entreprises; il en disparaît sensiblement autant qu’il s’en crée et, in fine, le gain social est extrêmement faible. Enfin, dans un contexte de désengagement massif et brutal de l’Etat, la régionalisation peut apparaître comme un facteur supplémentaire de perte d’influence d’un «centre» distant mais puissant et protecteur, au profit d’une «périphérie» certes plus proche mais plus faible. Selon un sondage publié en octobre 2003 (Ipsos), un quart des Français considèrent que «la décentralisation est allée trop loin» et jugent qu’«il faut revenir en arrière»
La communication
Sur le plan de la communication, la performance n’est pas brillante. Les dénégations obstinées du ministre de la Santé sur les responsabilités de ses services après les 15 000 morts de la canicule de l’été dernier ont brossé un tableau d’arrogance insoutenable. De son côté, pour justifier la nécessité de remettre la notion de travail au cœur des préoccupations nationales, le Premier ministre a insinué, à plusieurs reprises l’année dernière, que ses concitoyens étaient paresseux. Depuis quelques jours, dans le contexte des attentats de Madrid, il bat le pavé des gares parisiennes, comme on se rend au chevet des blessés, pour indiquer aux Français que le gouvernement travaille dans la plus totale transparence concernant la menace terroriste, provoquant maintes interrogations.
Scrutin régional, enjeu national ?
On comprend mieux dans ce climat de lassitude sociale et de soupçons de manipulation que l’UMP au pouvoir insiste sur les enjeux purement régionaux de ces élections… régionales, tandis que l’opposition veut en faire un test national, et appelle à un vote sanction de la politique «anti-sociale» du gouvernement. Avec l’adoption du quinquennat pour le mandat du chef de l’Etat, conduisant à une quasi simultanéité des scrutins législatif et présidentiel, les citoyens français ont perdu une importante capacité d’influencer (de censurer) la politique qui leur est proposée et d’imposer une forme de modération qui se traduisait auparavant par le système de la «cohabitation», qui atténuait les formes les plus brutales d’une politique. Ainsi, d’ici 2007, date des prochains scrutins législatif et présidentiel, il n’y aura pas d’élections susceptibles de modifier substantiellement la politique actuellement suivie. Outre le fait que l’abstention pourrait s’en trouver renforcer, faute d’enjeu national, on comprend que les citoyens qui choisiraient d’accomplir leur devoir pourraient saisir l’occasion pour marquer leur adhésion ou leur rejet des orientations suivies par l’équipe au pouvoir. Les observateurs professionnels de la vie politique française estiment d’ailleurs que le rappel incessant par les militants de l’UMP du caractère régional de l’enjeu est une manière d’exonérer le gouvernement d’un désaveu national en cas de défaite électorale des listes UMP. Inversement, les militants des autres partis plaident le contraire auprès de l’opinion publique. Un indice néanmoins atteste l’importance nationale accordée à ce rendez-vous : 19 ministres sont candidats. Tous ne seront pas élus. Mais cela pourrait traduire la proximité d’un remaniement ministériel, qui deviendrait incontournable en cas de débâcle pour de l’UMP.
Panorama éclaté
Les sondages annoncent une abstention record, mais l’offre politique est très abondante. Sans entrer dans le détail, de l’extrême gauche à l’extrême droite les électeurs pourront choisir entre une coalition de partis trotskistes, une coalition plus ou moins soudée social-démocrate de gauche, anciennement «gauche plurielle» composée de communistes, écologistes et socialistes, deux partis de centre-droit (l’UDF et l’UMP, dont le premier espère engranger les pertes du second), et un ou deux partis (selon les régions) d’extrême droite. Parmi ces derniers figure le fameux Front national, dont le leader Jean-Marie Le Pen empoisonne considérablement la classe politique française, et notamment les partis de centre-droit sur les terres desquels il chasse naturellement (bien qu’il recrute également à gauche).
En dépit d’un bilan en demi-teinte et d’une usure progressive de son image, l’UMP a de bonnes chances de s’en sortir honorablement. Tout d’abord ses militants proclament que le parti n’a pas à rougir de son bilan et annoncent que 2004 sera l’année du redressement et de l’enregistrement des résultats positifs des réformes engagées. La faiblesse des partis de gauche, incapables de formuler un véritable programme et s’en tenant à un catalogue de contre-propositions, conforte sa position dominante sur l’échiquier politique. Son homologue centriste UDF, dont les troupes ont refusé de rejoindre l’UMP, pourrait néanmoins constituer une alternative de droite à sa suprématie. Pour l’UDF, il s’agit d’un test grandeur nature de son aptitude à résister aux tendances monopolistiques du parti présidentiel et de se présenter comme un parti d’alternance à l’horizon 2007. Officiellement, aucun de ces partis ne se déclare prêt à composer avec l’extrême droite, mais le parti de Jean-Marie Le Pen, crédité d’au moins 10% dans les 22 régions métropolitaines, se maintiendra au second tour du 28 mars et fera de son mieux pour perturber la logique des transferts de voix, quitte à faire triompher la gauche, dit-on.
Le parti socialiste (PS) a dépêché en régions ses plus grands ténors soutenir ses listes. C’est le second parti de France, théoriquement, et c’est un parti de gouvernement, rompu à l’exercice du pouvoir. Il veut faire du scrutin de dimanche un test national. Il en attend la preuve par les électeurs qu’il est toujours la formation sur laquelle peut s’appuyer l’électorat pour garantir la relève. Le PS veut drainer vers ses listes les déçus de la politique gouvernementale et se présente comme la seule alternative crédible et efficace à la droite libérale. Toutefois, si ses critiques peuvent convaincre une partie de l’électorat, il n’est pas assuré de pouvoir conserver les 10 régions qu’il contrôle actuellement. Le PS, en effet, ne s’est pas complètement remis de la désaffection de son électorat, voici deux ans, ni de l’usure qui l’a affecté après ses années de gestion. Il est également lui aussi sévèrement concurrencé sur son aile droite par l’UDF.
Plus que la gauche traditionnelle, l’extrême gauche peut espérer capitaliser sur sa liste d’union les déceptions de l’électorat traditionnel d’une gauche ralliée à l’économie de marché et acquise au principe du dépérissement de l’Etat. Mais on observe aussi que, dans les milieux populaires, les transferts de voix des déçus de la gauche communiste s’opèrent également vers les populistes d’extrême droite. Quant aux écologistes (les Verts), ils souffrent d’une réputation de forces supplétives des socialistes, au titre de la «gauche plurielle», pour avoir longuement gouverné avec eux. Concurrencés par d’autres mouvements libéraux qui se proclament également «écologistes», ils offrent un visage de division interne qui semble les contraindre à observer une remarquable discrétion qui rend, par voie de conséquence, leur programme quelque peu illisible.
C’est un scrutin dont les enjeux sont largement ignorés, ou négligés, par une large fraction de l’opinion publique. Il suffit pour s’en convaincre de prendre connaissance des sondages d’opinion indiquant que la moitié du corps électoral, soit plus de 20 millions de citoyens, pourraient ne pas se déplacer dimanche. Le «parti des pêcheurs à la ligne», ceux qui choisissent de ne pas sacrifier leur passe-temps favori à leur devoir électoral, serait donc le premier parti de France. Les formations politiques enragent, ou font semblant. Elles n’ont en effet pas toutes intérêt à voir les Français se précipiter sur les urnes. Si toutes font appel au civisme des citoyens, en vertu du fait qu’il est important de manifester son adhésion à la démocratie, en revanche force est de constater que le scrutin se déroule dans un climat général plutôt morose et peu propice à l’exaltation des grands idéaux dont les partis dominants de la scène politique française ne sont de toute façon plus porteurs, ouvrant ainsi des perspectives intéressantes au petites formations, voire aux extrêmes.
Le bilan
La situation est d’autant moins bonne pour le parti présidentiel UMP qu’au bout de deux années de travail à la tête de l’exécutif et du législatif, il s’est mis à peu prés tout le monde à dos: jeunes, (futurs) vieux, fonctionnaires, intermittents, magistrats, intellectuels, Corses, enseignants, (certains) musulmans, etc. Le contexte économique est déprimé, la dette publique abyssale, la croissance est nulle, le chômage en hausse, les indemnisations en baisse, la délinquance ne recule pas (sauf sur les routes), les prisons débordent. Le gouvernement peut se féliciter de chiffres records de créations d’entreprises; il en disparaît sensiblement autant qu’il s’en crée et, in fine, le gain social est extrêmement faible. Enfin, dans un contexte de désengagement massif et brutal de l’Etat, la régionalisation peut apparaître comme un facteur supplémentaire de perte d’influence d’un «centre» distant mais puissant et protecteur, au profit d’une «périphérie» certes plus proche mais plus faible. Selon un sondage publié en octobre 2003 (Ipsos), un quart des Français considèrent que «la décentralisation est allée trop loin» et jugent qu’«il faut revenir en arrière»
La communication
Sur le plan de la communication, la performance n’est pas brillante. Les dénégations obstinées du ministre de la Santé sur les responsabilités de ses services après les 15 000 morts de la canicule de l’été dernier ont brossé un tableau d’arrogance insoutenable. De son côté, pour justifier la nécessité de remettre la notion de travail au cœur des préoccupations nationales, le Premier ministre a insinué, à plusieurs reprises l’année dernière, que ses concitoyens étaient paresseux. Depuis quelques jours, dans le contexte des attentats de Madrid, il bat le pavé des gares parisiennes, comme on se rend au chevet des blessés, pour indiquer aux Français que le gouvernement travaille dans la plus totale transparence concernant la menace terroriste, provoquant maintes interrogations.
Scrutin régional, enjeu national ?
On comprend mieux dans ce climat de lassitude sociale et de soupçons de manipulation que l’UMP au pouvoir insiste sur les enjeux purement régionaux de ces élections… régionales, tandis que l’opposition veut en faire un test national, et appelle à un vote sanction de la politique «anti-sociale» du gouvernement. Avec l’adoption du quinquennat pour le mandat du chef de l’Etat, conduisant à une quasi simultanéité des scrutins législatif et présidentiel, les citoyens français ont perdu une importante capacité d’influencer (de censurer) la politique qui leur est proposée et d’imposer une forme de modération qui se traduisait auparavant par le système de la «cohabitation», qui atténuait les formes les plus brutales d’une politique. Ainsi, d’ici 2007, date des prochains scrutins législatif et présidentiel, il n’y aura pas d’élections susceptibles de modifier substantiellement la politique actuellement suivie. Outre le fait que l’abstention pourrait s’en trouver renforcer, faute d’enjeu national, on comprend que les citoyens qui choisiraient d’accomplir leur devoir pourraient saisir l’occasion pour marquer leur adhésion ou leur rejet des orientations suivies par l’équipe au pouvoir. Les observateurs professionnels de la vie politique française estiment d’ailleurs que le rappel incessant par les militants de l’UMP du caractère régional de l’enjeu est une manière d’exonérer le gouvernement d’un désaveu national en cas de défaite électorale des listes UMP. Inversement, les militants des autres partis plaident le contraire auprès de l’opinion publique. Un indice néanmoins atteste l’importance nationale accordée à ce rendez-vous : 19 ministres sont candidats. Tous ne seront pas élus. Mais cela pourrait traduire la proximité d’un remaniement ministériel, qui deviendrait incontournable en cas de débâcle pour de l’UMP.
Panorama éclaté
Les sondages annoncent une abstention record, mais l’offre politique est très abondante. Sans entrer dans le détail, de l’extrême gauche à l’extrême droite les électeurs pourront choisir entre une coalition de partis trotskistes, une coalition plus ou moins soudée social-démocrate de gauche, anciennement «gauche plurielle» composée de communistes, écologistes et socialistes, deux partis de centre-droit (l’UDF et l’UMP, dont le premier espère engranger les pertes du second), et un ou deux partis (selon les régions) d’extrême droite. Parmi ces derniers figure le fameux Front national, dont le leader Jean-Marie Le Pen empoisonne considérablement la classe politique française, et notamment les partis de centre-droit sur les terres desquels il chasse naturellement (bien qu’il recrute également à gauche).
En dépit d’un bilan en demi-teinte et d’une usure progressive de son image, l’UMP a de bonnes chances de s’en sortir honorablement. Tout d’abord ses militants proclament que le parti n’a pas à rougir de son bilan et annoncent que 2004 sera l’année du redressement et de l’enregistrement des résultats positifs des réformes engagées. La faiblesse des partis de gauche, incapables de formuler un véritable programme et s’en tenant à un catalogue de contre-propositions, conforte sa position dominante sur l’échiquier politique. Son homologue centriste UDF, dont les troupes ont refusé de rejoindre l’UMP, pourrait néanmoins constituer une alternative de droite à sa suprématie. Pour l’UDF, il s’agit d’un test grandeur nature de son aptitude à résister aux tendances monopolistiques du parti présidentiel et de se présenter comme un parti d’alternance à l’horizon 2007. Officiellement, aucun de ces partis ne se déclare prêt à composer avec l’extrême droite, mais le parti de Jean-Marie Le Pen, crédité d’au moins 10% dans les 22 régions métropolitaines, se maintiendra au second tour du 28 mars et fera de son mieux pour perturber la logique des transferts de voix, quitte à faire triompher la gauche, dit-on.
Le parti socialiste (PS) a dépêché en régions ses plus grands ténors soutenir ses listes. C’est le second parti de France, théoriquement, et c’est un parti de gouvernement, rompu à l’exercice du pouvoir. Il veut faire du scrutin de dimanche un test national. Il en attend la preuve par les électeurs qu’il est toujours la formation sur laquelle peut s’appuyer l’électorat pour garantir la relève. Le PS veut drainer vers ses listes les déçus de la politique gouvernementale et se présente comme la seule alternative crédible et efficace à la droite libérale. Toutefois, si ses critiques peuvent convaincre une partie de l’électorat, il n’est pas assuré de pouvoir conserver les 10 régions qu’il contrôle actuellement. Le PS, en effet, ne s’est pas complètement remis de la désaffection de son électorat, voici deux ans, ni de l’usure qui l’a affecté après ses années de gestion. Il est également lui aussi sévèrement concurrencé sur son aile droite par l’UDF.
Plus que la gauche traditionnelle, l’extrême gauche peut espérer capitaliser sur sa liste d’union les déceptions de l’électorat traditionnel d’une gauche ralliée à l’économie de marché et acquise au principe du dépérissement de l’Etat. Mais on observe aussi que, dans les milieux populaires, les transferts de voix des déçus de la gauche communiste s’opèrent également vers les populistes d’extrême droite. Quant aux écologistes (les Verts), ils souffrent d’une réputation de forces supplétives des socialistes, au titre de la «gauche plurielle», pour avoir longuement gouverné avec eux. Concurrencés par d’autres mouvements libéraux qui se proclament également «écologistes», ils offrent un visage de division interne qui semble les contraindre à observer une remarquable discrétion qui rend, par voie de conséquence, leur programme quelque peu illisible.
par Georges Abou
Article publié le 19/03/2004