Djibouti
Affaire Borrel : le gouvernement lève le secret défense

(Photo AFP)
Il aura fallu près de deux mois au gouvernement pour suivre les recommandations de la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN). Celle-ci a, en effet, rendu le 5 février dernier, un avis favorable concernant la déclassification de dix documents relatifs à la mort de Bernard Borrel, le magistrat français dont le corps carbonisé a été retrouvé le 19 octobre 1995 à Djibouti. Mais le ministère n’a confirmé son intention de transmettre les documents en question à la justice française que le 27 mars. Et encore aura-t-il fallu que l’avocat de la veuve de la victime, maître Morice, organise en désespoir de cause une conférence de presse pour alerter l’opinion sur les lenteurs qui entravaient l’instruction, au cours de laquelle Elisabeth Borrel a déclaré: «C’est tout de même triste de devoir faire une conférence de presse pour contraindre un ministère à respecter la loi». C’est, en effet, à la suite de cette rencontre avec les médias que l’avis favorable de la Commission a été publié au Journal officiel et que Michèle Alliot-Marie a annoncé finalement la levée du secret défense.
Pour Elisabeth Borrel, qui se bat depuis plus de quatre ans pour faire éclater la vérité sur le décès de son mari, intervenu dans des conditions suspectes, lorsqu’il travaillait à Djibouti dans le cadre d’accords de coopération avec la France, cette décision devrait permettre de faire progresser l’enquête. Car la veuve du juge Borrel remet en cause la thèse du suicide et accuse même le dirigeant djiboutien, Ismaël Omar Guelleh, d’être l’un des commanditaires de l’assassinat de son époux. Bernard Borrel aurait ainsi, selon elle, été éliminé parce qu’il avait découvert des informations gênantes pour le pouvoir dans le cadre d’une enquête sur un attentat à la bombe contre le Café de Paris à Djibouti, qui avait fait un mort et quatorze blessés en 1990.
La thèse de l’homicide gagne du terrainLa thèse de l’homicide volontaire, qui est dorénavant retenue par le procureur de la République, Yves Bot, a été confortée récemment par les conclusions d’une expertise médico-légale présentée au début du mois de novembre 2003 à la juge Sophie Clément, chargée de l’affaire. L’autopsie du corps de Bernard Borrel exhumé pour l’occasion a, en effet, permis de mettre en valeur des signes qui laissent penser à une «mort violente due à une cause extérieure». Un traumatisme crânien et une fracture de l’avant-bras gauche ont été observés. Mais surtout, les experts ont constaté une alternance de zones brûlées et non brûlées sur le corps de la victime. Ces traces rendent très peu probable une mort par immolation comme cela a été évoqué jusqu’à présent, mais elles suggèrent plutôt que des liquides inflammables ont été versés sur «un corps immobile, en position couchée, de manière aléatoire». Bernard Borrel aurait donc pu être tué par fracture du crâne avant que son corps ne soit brûlé.
C’est à la suite de cette expertise que la juge Sophie Clément a déposé une demande pour obtenir la levée du secret sur dix documents détenus par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) classés «confidentiel défense» (le niveau de classification le plus bas), le 14 novembre 2003. Et a obtenu gain de cause le 27 mars 2004. Elisabeth Borrel, qui est certaine que l’examen des documents en question va montrer que les autorités françaises savaient qu’il s’agissait d’un assassinat, attend dorénavant que le gouvernement prenne ses responsabilités dans cette affaire: «Je pense qu’il faut maintenant que l’Etat s’engage dans le cadre de ses pouvoirs judiciaires, c’est une action qui ne doit pas relever de la victime» car «une démocratie comme la France ne peut couvrir les assassins d’un magistrat chargé d’une coopération judiciaire internationale».
par Valérie Gas
Article publié le 29/03/2004 Dernière mise à jour le 30/03/2004 à 12:59 TU