Rwanda
«Je vous le dis en face !»
(Photo: AFP)
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«Je ne me suis pas cachée pour survivre pendant que vous mouriez», «ibuka» (souviens-toi), reprend le chœur de femmes tutsi et hutu voilées de violet, la couleur du deuil catholique. «Ceux qui nous ont tués vivaient à nos côtés», gémit un récitant en une longue imploration poétique. «Il faut se garder des gens qui veulent nous distinguer par la taille de nos nez. Le nez, ce n’est pas l’homme», scande-t-il en un phrasé traditionnel qui porte aux transes. «Le génocide n’est ni une fatalité, ni une malédiction», insiste Alpha Oumar Konare, le président de la commission de l’Union africaine qui réclame la vérité sur le meurtre au Rwanda de «nos mères, de nos pères, de nos femmes et de nos enfants». «Nous avons failli au devoir de fraternité», reconnaît le Premier ministre belge, Guy Verhofstadt. «Nous acceptons vos excuses», répond le président Paul Kagame. Mais «je ne suis pas un diplomate», dit-il et je vais nommer ceux qui ont défendu leurs propres intérêts ici et permis le génocide : «les Français».
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«La vie est plus forte que la mort», elle exige justice et démocratie dans tout le continent, prêche le chef de l’UA, se tournant vers Paul Kagame, désormais responsable du «plus jamais-never again» inscrit sur les banderoles noires du stade. La commémoration aura peut-être été l’occasion d’un retour d’amitié entre les anciens frères d’armes rwandais et ougandais. Ils ont lutté ensemble dans les années quatre-vingt contre la tyrannie ougandaise de Milton Obote. Ils se sont disputés plus tard la Congolaise Kisangani. Ils partagent ce jour de communion sur le dos du colonialisme pourfendu par Museveni.
A la tribune du stade, ce dernier abandonne l’anglais, ne connaît pas le français et tente de trouver auprès de Kagame les mots kinyarwanda qui manquent à son vocabulaire kinyanchole (sa langue maternelle). Ses efforts sont touchants et son proverbe local applaudi: «Ce que dieu a donné, personne ne peux le reprendre. C’est dieu qui a créé le Rwanda, les Batutsi, les Bahutu et les Batwa. Aucun ennemi ne pourra les diviser». «Le génocide est une idée étrangère», accuse aussi Museveni. «Cette idée n’existe pas chez nous. Il faut se débarrasser de cette idée étrangère. C’est du colonialisme». Il en veut pour preuve l’indifférence de «tous ces gens qui n’étaient pas là quand on vous tuait alors qu’aujourd’hui, ils accourent de partout». Nous devons nous aider nous-même, conclut-il, en substance, et ne compter sur personne, surtout pas sur des gens qui «se comportent mal dans notre maison».
«Les allégations» du juge français Bruguière
(Photo: AFP)
Les Rwandais doivent assumer leur part de responsabilité, poursuit Paul Kagame. Mais le génocide «montre comment l’injustice règne sur le monde dirigé par des grandes puissances qui sont juges et parties dans des situations qu’elles ont elles-mêmes créées», ajoute-t-il. Les Français «savaient que le gouvernement, l’armée et les miliciens préparaient le génocide». En désignant la France nommément, le président Kagame précise qu’il parle sans crainte des conséquences. Un avion plane bruyamment dans le ciel, au dessus du stade, faisant craquer les micros. Paul Kagame évoque à nouveau les propos d’un «officiel français» - Paul Dijoud, à l’époque chargé des Affaires africaines au ministère des Affaires étrangères -, rencontré en 1992 à Paris où il avait été invité. «Il m’a dit crûment que si le FPR n’arrêtait pas sa guerre, il ne trouverait pas un membre de sa famille en vie au Rwanda. Pour eux, tuer nos familles, c’était une stratégie pour nous faire arrêter les combats. Mais nous combattions pour nos droits. Il avait tort. C’était criminel», s’indigne le président rwandais.
L’opération Turquoise avait pour objectif de «nous empêcher d’avancer», persiste Paul Kagame. Tournant la tête vers les gradins, du côté du secrétaire d’Etat français aux Affaires étrangères, Renaud Muselier, il lance : «je vous le dis en face. Ce qui s’est passé il y a dix ans ne se reproduira plus. Nous sommes décidés à nous battre pour nos droits et pour ceux des survivants du génocide». Le général major s’adresse alors à l’Union africaine, aux «frères et sœurs africains». «Appelez nous en cas de besoin. Nous nous battrons mieux que ces gens du Bengladesh - la majorité des Casques-bleus en 1994 - qui ont fui au lieu de sauver notre peuple». Kigali est exaspérée par «les allégations» du juge français Bruguière et Kagame l’est en particulier par «l’arrogance des grandes puissances» qui ont considéré la mort d’un million de personnes comme des «statistiques» et les «ont regardé mourir sans un geste» pour protéger leur propre intérêt. Pour lui, dit-il, c’est insulter les morts que d’accuser le Rwanda de piller le Congo. «Ils savent bien que notre seul problème, c’est d’assurer notre sécurité. Nous avons décidé de poursuivre les ex-Far - Forces armées rwandaises sous Habyarimana - au Congo pour les empêcher de recommencer».
En fin d’après midi, la délégation belge est allée honorer ses morts au mausolée érigé sur les lieux de l’assassinat des dix Casques-bleus, au Camp Kigali, ancien QG du colonel Bagosora, sous les verrous du Tribunal pénal international sur le Rwanda, à Arusha. Nos compatriotes aussi sont des victimes du génocide, avait dit le chef du gouvernement belge, Guy Verhofstadt, dans son intervention au stade Amahoro, la seule émanant d’un responsable occidental. «Nous avons échoué nous aussi», s’était alors excusé le Premier ministre Verhofstadt, demandant «que cesse la diplomatie du silence» et regrettant comme une faute le retrait des troupes belges pendant le génocide. La Belgique restera «à vos côtés dans vos efforts de réconciliation et de reconstruction», promet-il, annonçant un renforcement du soutien bilatéral. Et il conclut en kinyarwanda «le Rwanda a beaucoup souffert, nous devons racheter nos fautes». Dix ans après le génocide, les martyrs de Kigali ont été inhumés au matin, à Gisozi. Ils reposent sous le manteau rouge de leur argile natale. Les endeuillés veillent au stade Amahoro, sous la pluie d’avril qui verdit les collines.
par Monique Mas
Article publié le 08/04/2004 Dernière mise à jour le 08/04/2004 à 11:20 TU