Irak
Le dilemme de Najaf
(Photo : AFP)
Quelque 2 500 marines, appuyés par des tanks et d’importantes forces d’artillerie, sont stationnés depuis mardi aux portes de Najaf dans l’attente d’un feu vert du commandement central américain. Leur mission est on ne peut plus claire, «tuer ou capturer Moqtada al-Sadr». Le général John Abizaïd, qui commande les forces américaines en Irak, l’avait dès lundi ouvertement précisé. Il avait même souligné que l’armée du Mehdi, la milice du jeune imam, devait être détruite. En visite à Manama, le chef d’état-major interarmes américain, Richard Myers, l’a appuyé en s’engageant à «faire comparaître devant la justice» le jeune imam. «L’histoire n’est pas terminée. Nous nous occuperons de Moqtada a-Sadr et ce problème sera vite résolu», a-t-il insisté. Mais si les responsables militaires de la coalition multiplient les menaces envers le jeune imam et ses proches, ils semblent également mesurer l’impact qu’aurait une offensive sur l’une des cités les plus saintes du chiisme. L’arrestation mardi, quelques heures durant, du représentant de Moqtada al-Sadr à Bagdad puis sa libération avec les excuses des militaires américains en disent long sur le malaise de l’administration de la coalition qui, derrière un discours ferme, n’en cherche pas moins à désamorcer la situation.
A Najaf où il s’est réfugié la semaine dernière, Moqtada al-Sadr souffle le chaud et le froid. Provocant, il se dit «prêt à se sacrifier et à mourir» pour chasser l’occupant de son pays et appelle le peuple irakien à rester mobiliser. «J’invite les Irakiens à ne pas permettre que ma mort n’entraîne l’effondrement de la lutte pour la liberté et la fin de l’occupation», a-t-il ainsi récemment encore déclaré. Mais le jeune imam sait également se montrer plus conciliant. Il a notamment affirmé mardi être favorable à une médiation menée sous la supervision de la Marjaiya, cette instance qui regroupe les plus hauts dignitaires religieux chiites et dont le plus prestigieux d’entre eux est le modéré ayatollah Ali Sistani. Et après avoir imposé ses revendications, parmi lesquelles le retrait des troupes de la coalition des villes saintes chiites ou encore la libération de ses proches, le jeune imam a finalement annoncé mercredi qu’il renonçait à toutes ses conditions dans les négociations avec la coalition et qu’il s'en remettait à la Marjaiya qui a choisi une délégation pour négocier avec les autorités de la coalition. Le renforcement de la présence américaine aux portes de Najaf n’est sans doute pas étranger à l’attitude plus conciliante de Moqtada al-Sadr qui sait qu’il risque beaucoup à se montrer intransigeant avec les forces d’occupation qui l’ont déclaré hors-la-loi.
Médiation iranienne
La perspective d’une offensive contre la ville sainte de Najaf, qui abrite le mausolée du père fondateur du chiisme, semble avoir galvanisé les volontés de trouver une solution pacifique à la crise qui oppose les partisans de Moqtada al-Sadr et l’administration civile américaine. Une telle attaque risque en effet d’enflammer la communauté chiite bien au-delà des frontières irakiennes. On comprend mieux dans ce contexte l’intervention de l’Iran dans ce dossier. Le régime de Téhéran avait certes très sévèrement critiqué la politique américaine en Irak et dénoncé «l’occupation» du pays mais il s’était bien gardé de soutenir officiellement la révolte des miliciens de Moqtada al-Sadr, sans doute dans le souci de ne pas apparaître comme étant son instigateur.
Aujourd’hui les autorités iraniennes affirment avoir été sollicitées par les Etats-Unis pour intervenir dans cet épineux dossier. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Kamal Kharazi, a ainsi déclaré que Washington avait réclamé l'aide de son pays pour tenter de régler la crise en Irak, ajoutant que Téhéran menait actuellement des efforts dans ce sens. Il a même précisé que l’ambassade suisse, qui représente les intérêts américains en Iran, jouait le rôle d'«intermédiaire» entre l’Iran et les Etats-Unis qui ont rompu leurs relations depuis la révolution islamique de 1979 et la prise en otages de l'ambassade américaine à Téhéran. Washington n’a pour le moment pas démenti l’information.
Une délégation du ministère iranien des Affaires étrangères, avec à sa tête le directeur pour la région du Golfe, Hossein Sadeghi, est donc arrivée mercredi en Irak pour «trouver les moyens de sortie de la crise». «L'Iran, qui est un pays voisin, a toujours été concerné par les développements négatifs en Irak. Le feu dans la maison d'un voisin est un sujet d'inquiétude pour tous les voisins», a affirmé à son arrivée le responsable iranien. Et même s’il a déclaré qu’il ne s’était rendu en Irak que «pour avoir une idée claire de la situation et une meilleure compréhension de ce qui se passe», il ne fait vraisemblablement aucun doute que ses entretiens se situeront à très haut niveau. Un communiqué du ministère des Affaires étrangères iranien a d’ailleurs affirmé que M. Sadeghi a été dépêché à Bagdad pour rencontrer les dignitaires religieux et politiques et des responsables du Conseil de gouvernement transitoire.
par Mounia Daoudi
Article publié le 14/04/2004 Dernière mise à jour le 14/04/2004 à 16:55 TU