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Irak

Moqtada al-Sadr ou le martyre au service de l’islam

Des manifestants brandissent le portrait de Moqtada al-Sadr, le 28 mars 2004 à Bagdad. 

		(Photo: AFP)
Des manifestants brandissent le portrait de Moqtada al-Sadr, le 28 mars 2004 à Bagdad.
(Photo: AFP)
A l’origine des violents affrontements qui en quarante-huit heures ont coûté la vie à une centaine de civils irakiens et à une quinzaine de soldats de la coalition, le chef radical chiite, Moqtada Sadr, est officiellement depuis lundi dans la ligne de mire des forces d’occupation. Ce jeune imam de trente ans qui s’était retranché dans une mosquée de Koufa, au sud de Bagdad, a finalement choisi de se rendre dans la ville sainte de Najaf afin, a-t-il dit, «d’éviter un bain de sang». Ce dirigeant contestataire n’entend toutefois pas rentrer dans le rang. «Je continue sur la même voie», a-t-il lancé en guise de menace aux forces de la coalition soulignant qu’il n’était «pas possible de se taire ou d’accepter les agressions perpétrées par l’occupant» contre le peuple irakien.

Le visage rond, l’oeil halluciné, le verbe enflammé, Moqtada Sadr n’a pas attendu pour faire de l’Amérique l’ennemi juré du peuple irakien. Deux semaines à peine après la chute du régime de Saddam Hussein, le jeune imam transformait la mosquée de Koufa en tribune d’opposition à l’occupation américaine. Malgré son jeune âge, l’homme a su asseoir son autorité au sein d’une communauté où la sagesse et surtout la connaissance –Moqtada Sadr n’a même pas le grade de hodjatoleslam et encore moins celui d’ayatollah qui lui permet d’interpréter les textes sacrés– sont pourtant des valeurs incontournables. Il peut d’ores et déjà compter sur le soutien de milliers de partisans, la plupart enrôlé dans une structure paramilitaire, «l’armée du Mehdi». La dégradation du niveau de vie des chiites lui vaut en outre le soutien de dizaines de milliers de sympathisants.

Moqtada al-Sadr tire largement sa légitimité de son père, l’ayatollah Mohamed Sadeq al-Sadr –très respecté au sein de la communauté chiite, il a été assassiné en 1999 par les sbires de Saddam Hussein– et surtout de son grand-oncle, le grand ayatollah Mohamed Baqer al-Sadr. Cet alter ego arabe et irakien de Ruholla Khomeyni est en effet à l’origine du concept du «velayat i-faqih» qui prône la mainmise directe des religieux sur le pouvoir politique. Il a lui aussi été assassiné en avril 1980 par les miliciens du pouvoir baasiste et son corps a même été traîné par un tracteur dans les rues de la ville sainte de Najaf où il résidait. Contrairement aux autres dignitaires religieux chiites qui préconisent un simple rôle de référence du religieux pour le politique, la lignée des al-Sadr a incarné un courant nationaliste au sein du clergé chiite. Moqtada al-Sadr est donc à ce titre bien plus un politique qu’un religieux.

Dès la chute du régime de Saddam Hussein, le jeune imam a installé son pouvoir dans l’immense banlieue chiite de Bagdad renommé Sadr-City. Ces partisans ont rapidement pris le contrôle des hôpitaux et transformé les mosquées de ce quartier déshérité où s’entassent quelque 800 000 personnes en pouvoirs locaux. Des tribunaux ont même été mis en place pour gérer le quotidien de la population.

Une aura de violence entoure Moqtada al-Sadr

Ouvertement hostile à la présence américaine en Irak, le mouvement de Moqtada al-Sadr a été écarté du gouvernement provisoire irakien mis en place par l’administration de la coalition. Le jeune imam a menacé à plusieurs reprises de mettre en place un pouvoir parallèle. Mais faute d’appui populaire, il a du renoncer à son projet. Son activisme radical tranche singulièrement avec les positions plus mesurées de l’ayatollah Ali Sistani, le chef spirituel le plus respecté de la communauté chiite. Le clergé de Najaf lui a reproché d’ailleurs d’avoir lancé ses partisans aux trousses des militants baasistes ou des membres des services de sécurité de Saddam Hussein.

Accusé d’avoir ordonné la liquidation du meurtrier de son père, Moqtada al-Sadr est également soupçonné d’être à l’origine de l’assassinat en avril 2003 à Najaf du chef chiite libéral Abdel Majid al-Khoï. Ce dignitaire religieux, lui-même descendant d’une grande lignée d’ayatollahs –il était le fils d'Abdoul Kassem al-Khoï qui a formé la majorité des dirigeants chiites actuels à travers le monde–, était réfugié en Grande-Bretagne où il a milité des années durant contre le régime de Saddam Hussein. Il était revenu dans son pays dès la chute du dictateur mais avait été poignardé quelques jours après dans le mausolée d'Ali.

C’est justement dans le cadre de l’enquête sur sa mort qu’un mandat d’arrêt a été lancé à l’encontre de Moqtada al-Sadr et de plusieurs de ses partisans. L’arrestation de l’un d’eux, Moustafa Yaacoubi, est d’ailleurs à l’origine des manifestations qui ont précédé les affrontements de ces dernières quarante-huit heures qui ont fait plus de cent morts côté irakien. Pour protéger leur chef, des centaines de jeunes chiites se sont succédé lundi dans la mosquée de Koufa où il s’était retranché pour jouer les boucliers humains. Moqtada al-Sadr a depuis regagné son quartier général à Najaf. Mais ses milliers de miliciens, galvanisés par les affrontements avec les troupes de la coalition, continuent d’occuper dans plusieurs villes chiites des bâtiments publics et des postes de police.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 06/04/2004 Dernière mise à jour le 21/06/2004 à 07:04 TU