Irak
Moqtada al-Sadr ou le martyre au service de l’islam
(Photo: AFP)
Le visage rond, l’oeil halluciné, le verbe enflammé, Moqtada Sadr n’a pas attendu pour faire de l’Amérique l’ennemi juré du peuple irakien. Deux semaines à peine après la chute du régime de Saddam Hussein, le jeune imam transformait la mosquée de Koufa en tribune d’opposition à l’occupation américaine. Malgré son jeune âge, l’homme a su asseoir son autorité au sein d’une communauté où la sagesse et surtout la connaissance –Moqtada Sadr n’a même pas le grade de hodjatoleslam et encore moins celui d’ayatollah qui lui permet d’interpréter les textes sacrés– sont pourtant des valeurs incontournables. Il peut d’ores et déjà compter sur le soutien de milliers de partisans, la plupart enrôlé dans une structure paramilitaire, «l’armée du Mehdi». La dégradation du niveau de vie des chiites lui vaut en outre le soutien de dizaines de milliers de sympathisants.
Moqtada al-Sadr tire largement sa légitimité de son père, l’ayatollah Mohamed Sadeq al-Sadr –très respecté au sein de la communauté chiite, il a été assassiné en 1999 par les sbires de Saddam Hussein– et surtout de son grand-oncle, le grand ayatollah Mohamed Baqer al-Sadr. Cet alter ego arabe et irakien de Ruholla Khomeyni est en effet à l’origine du concept du «velayat i-faqih» qui prône la mainmise directe des religieux sur le pouvoir politique. Il a lui aussi été assassiné en avril 1980 par les miliciens du pouvoir baasiste et son corps a même été traîné par un tracteur dans les rues de la ville sainte de Najaf où il résidait. Contrairement aux autres dignitaires religieux chiites qui préconisent un simple rôle de référence du religieux pour le politique, la lignée des al-Sadr a incarné un courant nationaliste au sein du clergé chiite. Moqtada al-Sadr est donc à ce titre bien plus un politique qu’un religieux.
Dès la chute du régime de Saddam Hussein, le jeune imam a installé son pouvoir dans l’immense banlieue chiite de Bagdad renommé Sadr-City. Ces partisans ont rapidement pris le contrôle des hôpitaux et transformé les mosquées de ce quartier déshérité où s’entassent quelque 800 000 personnes en pouvoirs locaux. Des tribunaux ont même été mis en place pour gérer le quotidien de la population.
Une aura de violence entoure Moqtada al-Sadr
Ouvertement hostile à la présence américaine en Irak, le mouvement de Moqtada al-Sadr a été écarté du gouvernement provisoire irakien mis en place par l’administration de la coalition. Le jeune imam a menacé à plusieurs reprises de mettre en place un pouvoir parallèle. Mais faute d’appui populaire, il a du renoncer à son projet. Son activisme radical tranche singulièrement avec les positions plus mesurées de l’ayatollah Ali Sistani, le chef spirituel le plus respecté de la communauté chiite. Le clergé de Najaf lui a reproché d’ailleurs d’avoir lancé ses partisans aux trousses des militants baasistes ou des membres des services de sécurité de Saddam Hussein.
Accusé d’avoir ordonné la liquidation du meurtrier de son père, Moqtada al-Sadr est également soupçonné d’être à l’origine de l’assassinat en avril 2003 à Najaf du chef chiite libéral Abdel Majid al-Khoï. Ce dignitaire religieux, lui-même descendant d’une grande lignée d’ayatollahs –il était le fils d'Abdoul Kassem al-Khoï qui a formé la majorité des dirigeants chiites actuels à travers le monde–, était réfugié en Grande-Bretagne où il a milité des années durant contre le régime de Saddam Hussein. Il était revenu dans son pays dès la chute du dictateur mais avait été poignardé quelques jours après dans le mausolée d'Ali.
C’est justement dans le cadre de l’enquête sur sa mort qu’un mandat d’arrêt a été lancé à l’encontre de Moqtada al-Sadr et de plusieurs de ses partisans. L’arrestation de l’un d’eux, Moustafa Yaacoubi, est d’ailleurs à l’origine des manifestations qui ont précédé les affrontements de ces dernières quarante-huit heures qui ont fait plus de cent morts côté irakien. Pour protéger leur chef, des centaines de jeunes chiites se sont succédé lundi dans la mosquée de Koufa où il s’était retranché pour jouer les boucliers humains. Moqtada al-Sadr a depuis regagné son quartier général à Najaf. Mais ses milliers de miliciens, galvanisés par les affrontements avec les troupes de la coalition, continuent d’occuper dans plusieurs villes chiites des bâtiments publics et des postes de police.
par Mounia Daoudi
Article publié le 06/04/2004 Dernière mise à jour le 21/06/2004 à 07:04 TU