Irak
Le réveil des chiites
Les menaces proférées par la communauté chiite, qui se dit prête à multiplier manifestations, grèves et appels à la désobéissance civile si sa revendication pour la tenue rapide d’élections libres n’est pas satisfaite, embarrassent au plus haut point l’administration américaine. Les forces de la coalition, qui peinent toujours à rétablir la sécurité en Irak –un attentat a encore fait 25 mort dimanche devant l’entrée du quartier général américain à Bagdad–, cherchent en effet à éviter l’émergence d’un nouveau front avec les chiites qui, par leur intransigeance, se révèlent aujourd’hui une force politique difficile à marginaliser.
Opprimés pendant trois décennies par le régime de Saddam Hussein qui les a systématiquement tenus à l’écart du pouvoir, les chiites, qui représentent quelque 55% de la population, n’ont pas l’intention aujourd’hui de s’effacer et comptent bien défendre leur place dans le nouvel Irak. Les dernières manifestations en faveur de la tenue rapide d’élections libres ou encore contre le chômage qui frappe très durement le sud du pays ont montré leur capacité de mobilisation. Et s’ils ont, ces derniers mois, respecté les appels de leurs dignitaires religieux à ne pas s’opposer à la présence américaine en Irak, ils pourraient très vite se retourner contre les forces d’occupation si le bras-de-fer qui s’est récemment engagé avec l’administration civile américaine aboutissait à une impasse. Une situation qui explique l’empressement des autorités de la coalition à vouloir trouver un compromis avec le principal chef religieux, l’ayatollah Ali Sistani.
Car si les chiites sont certes loin de former une communauté monolithique, il semblerait qu’ils se soient en majorité ralliés ces dernières semaines aux revendications de ce dignitaire de soixante-treize ans qui apparaît de plus en plus comme leur unique représentant, à la fois religieux et politique. Cette position s’explique sans doute en raison de la faiblesse des partis politiques chiites. Le Conseil supérieur de la révolution islamique d’Irak, le CSRII, a ainsi perdu son leader historique l’ayatollah Baqr al-Hakim, assassiné en août dernier dans un attentat sanglant à Najaf, tandis que le parti Dawaa ne parvient toujours pas à surmonter ses divisions. Les chiites sont certes représentés au sein du Conseil de gouvernement transitoire et certains ministres nommés par cette instance sont issus de cette communauté mais le principal reproche qui leur est fait est de n’avoir aucune assise populaire.
Dans ce contexte, l’influence des grands marjahs –«source d’imitation»– apparaît d’ores et déjà comme décisive pour l’avenir politique de l’Irak. Ils sont quatre à posséder ce titre honorifique qui les place au-dessus de tous les autres dignitaires religieux du pays. L’ayatollah Ali Sistani, qui est d’origine iranienne, est sans conteste le plus respecté et le plus suivi de tous. Les trois autres –Sayed Mohammed Sayef al-Hakeem, Essaq al-Fayed (d’origine afghane) et Bachir Najafi (d’origine pakistanaise)– ont certes moins de poids direct sur la vie politique mais leur aval est indispensable à quiconque prétend représenter les intérêts de la première communauté religieuse du pays.
Revendication d’un pouvoir parallèle
Paradoxalement et malgré le respect qui les entoure, les marjahs, y compris l’ayatollah Ali Sistani, ne sont pas les plus actifs sur le plan politique. Deux autres dignitaires religieux occupent en effet le devant de la scène. Le turbulent ayatollah Moqtada Sadr s’est ainsi autoproclamé représentant des quartiers chiites pauvres notamment de la périphérie de Bagdad. Il tire sa légitimité de son oncle, l’ayatollah Mohamed Baqr Sadr, un marjah assassiné en 1979 par Saddam Hussein. Ce jeune religieux d’une vingtaine d’années, partisan de la résistance armée à l’occupation américaine, est soupçonné d’être à l’origine de plusieurs attaques contre les forces de la coalition. S’il n’a aucune légitimité politique, il possède en revanche une capacité de nuisance certaine. Beaucoup moins radical, Abdelaziz al-Hakim –frère de l’ancien chef du CSRII tué en août à Najaf– est membre du Conseil de gouvernement transitoire. Fidèle à sa communauté, il n’en cherche pas moins à trouver un compromis avec l’Autorité provisoire irakienne dirigée par l’administrateur Paul Bremer.
L’activisme de ces dignitaires religieux s’efface toutefois devant toute initiative prônée par l’ayatollah Ali Sistani, qui se fait pourtant une règle de demeurer en retrait des joutes politiciennes. Le marjah, qui vit reclus dans sa maison de Najaf, protégé par des gardes du corps, se situe en effet dans la tradition de l’école théologique des chiites d’Irak qui s’oppose à la théorie du «velayat e-faqih» prôné par l’ayatollah Ruhollah Khomeyni sur le pouvoir direct des religieux dans le champ politique. Sistani préconise pour sa part un simple rôle de référence pour les dignitaires religieux et ne voit pas la nécessité pour ces derniers de se transformer en hommes politiques. Il s’est d’ailleurs à plusieurs reprises opposé à la mise en place d’une république islamique sur le modèle iranien.
Le chercheur Pierre-Jean Luizard, spécialiste de la question irakienne, souligne ainsi que l’influence de l’ayatollah Ali Sistani est aujourd’hui déterminante pour le choix du futur régime. «Sa force est de s’en tenir à deux convictions essentielles : la supériorité de la religion sur la politique et le droit de la majorité chiite». Selon lui, le marjah «estime que l’inscription de l’islam comme référence suprême dans la Constitution n’est pas négociable. Il ne veut pas non plus d’une république islamique où les oulémas auraient des responsabilités politiques mais il désire voir les religieux exercer une tutelle». Un pouvoir parallèle qui tout en restant flou n’en demeurera pas moins décisif.
Car si les chiites sont certes loin de former une communauté monolithique, il semblerait qu’ils se soient en majorité ralliés ces dernières semaines aux revendications de ce dignitaire de soixante-treize ans qui apparaît de plus en plus comme leur unique représentant, à la fois religieux et politique. Cette position s’explique sans doute en raison de la faiblesse des partis politiques chiites. Le Conseil supérieur de la révolution islamique d’Irak, le CSRII, a ainsi perdu son leader historique l’ayatollah Baqr al-Hakim, assassiné en août dernier dans un attentat sanglant à Najaf, tandis que le parti Dawaa ne parvient toujours pas à surmonter ses divisions. Les chiites sont certes représentés au sein du Conseil de gouvernement transitoire et certains ministres nommés par cette instance sont issus de cette communauté mais le principal reproche qui leur est fait est de n’avoir aucune assise populaire.
Dans ce contexte, l’influence des grands marjahs –«source d’imitation»– apparaît d’ores et déjà comme décisive pour l’avenir politique de l’Irak. Ils sont quatre à posséder ce titre honorifique qui les place au-dessus de tous les autres dignitaires religieux du pays. L’ayatollah Ali Sistani, qui est d’origine iranienne, est sans conteste le plus respecté et le plus suivi de tous. Les trois autres –Sayed Mohammed Sayef al-Hakeem, Essaq al-Fayed (d’origine afghane) et Bachir Najafi (d’origine pakistanaise)– ont certes moins de poids direct sur la vie politique mais leur aval est indispensable à quiconque prétend représenter les intérêts de la première communauté religieuse du pays.
Revendication d’un pouvoir parallèle
Paradoxalement et malgré le respect qui les entoure, les marjahs, y compris l’ayatollah Ali Sistani, ne sont pas les plus actifs sur le plan politique. Deux autres dignitaires religieux occupent en effet le devant de la scène. Le turbulent ayatollah Moqtada Sadr s’est ainsi autoproclamé représentant des quartiers chiites pauvres notamment de la périphérie de Bagdad. Il tire sa légitimité de son oncle, l’ayatollah Mohamed Baqr Sadr, un marjah assassiné en 1979 par Saddam Hussein. Ce jeune religieux d’une vingtaine d’années, partisan de la résistance armée à l’occupation américaine, est soupçonné d’être à l’origine de plusieurs attaques contre les forces de la coalition. S’il n’a aucune légitimité politique, il possède en revanche une capacité de nuisance certaine. Beaucoup moins radical, Abdelaziz al-Hakim –frère de l’ancien chef du CSRII tué en août à Najaf– est membre du Conseil de gouvernement transitoire. Fidèle à sa communauté, il n’en cherche pas moins à trouver un compromis avec l’Autorité provisoire irakienne dirigée par l’administrateur Paul Bremer.
L’activisme de ces dignitaires religieux s’efface toutefois devant toute initiative prônée par l’ayatollah Ali Sistani, qui se fait pourtant une règle de demeurer en retrait des joutes politiciennes. Le marjah, qui vit reclus dans sa maison de Najaf, protégé par des gardes du corps, se situe en effet dans la tradition de l’école théologique des chiites d’Irak qui s’oppose à la théorie du «velayat e-faqih» prôné par l’ayatollah Ruhollah Khomeyni sur le pouvoir direct des religieux dans le champ politique. Sistani préconise pour sa part un simple rôle de référence pour les dignitaires religieux et ne voit pas la nécessité pour ces derniers de se transformer en hommes politiques. Il s’est d’ailleurs à plusieurs reprises opposé à la mise en place d’une république islamique sur le modèle iranien.
Le chercheur Pierre-Jean Luizard, spécialiste de la question irakienne, souligne ainsi que l’influence de l’ayatollah Ali Sistani est aujourd’hui déterminante pour le choix du futur régime. «Sa force est de s’en tenir à deux convictions essentielles : la supériorité de la religion sur la politique et le droit de la majorité chiite». Selon lui, le marjah «estime que l’inscription de l’islam comme référence suprême dans la Constitution n’est pas négociable. Il ne veut pas non plus d’une république islamique où les oulémas auraient des responsabilités politiques mais il désire voir les religieux exercer une tutelle». Un pouvoir parallèle qui tout en restant flou n’en demeurera pas moins décisif.
par Mounia Daoudi
Article publié le 19/01/2004