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Irak

Les chiites réclament des élections libres

Après des mois de retenue, les chiites sont entrés dans le jeu politique irakien en réclamant par la voie du grand ayatollah Ali Sistani, le dignitaire religieux le plus respecté de cette communauté qui représente quelque 60% de la population, la tenue rapide d’élections générales en vue du transfert du pouvoir aux Irakiens prévus dans six mois. L’administrateur américain Paul Bremer, largement soutenu par le Conseil de gouvernement irakien, s’est déclaré opposé à un tel scrutin, selon lui impossible à organiser dans des délais aussi brefs. Mais soucieux de ne pas s’aliéner une communauté qui pour le moment ne s’est pas opposée à la présence américaine en Irak, il multiplie vers elle les gestes de conciliation.
L’épreuve de force entre chiites et forces d’occupation en Irak aurait-elle débuté ? Une importante manifestation a réuni jeudi à Bassorah plusieurs dizaines de milliers de personnes venues apporter leur soutien à la position du grand ayatollah Ali Sistani qui a exigé la tenue rapide d’élections générales en Irak. La foule qui s’est déplacée de toute la région a scandé des slogans à la gloire de ce chef religieux qui, à 73 ans, s’affirme de plus en plus comme le chef spirituel et politique des chiites d’Irak. «Oui, oui à Sistani, non, non aux désignations», ont crié les manifestants qui contestaient le schéma de passation du pouvoir convenu entre la coalition et l’exécutif provisoire irakien. S’adressant à la foule, le représentant de l’ayatollah Sistani a d’ailleurs dénoncé ce schéma. «Cet accord, élaboré dans la précipitation, n’est pas juste et ne reflète pas la diversité de la société irakienne. Il risque de créer des frictions entre les composantes de notre société», a-t-il notamment déclaré estimant qu’il était possible d’organiser des élections libres.

L’accord signé le 15 novembre dernier entre le Conseil de gouvernement transitoire et la coalition dirigée par les Etats-Unis préconise la désignation d’une «Assemblée nationale transitoire» avant le 31 mai prochain. Composée de notables sélectionnés par une commission de 15 membres –cinq seront nommés par le Conseil, les autres étant désignés par des assemblées régionales–, elle aura en charge la nomination d’un gouvernement provisoire qui deviendra souverain d’ici la fin du mois de juin. Les élections générales ainsi que l’élaboration de la nouvelle constitution ne sont pas prévues avant 2005.

Conscient du poids démographique et politique que représentent les chiites d’Irak, l’ayatollah Ali Sistani qui jusque-là s’était montré plutôt conciliant avec les forces d’occupation est sorti il y a quelques jours de sa réserve. «Nous voulons des élections populaires et libres et non des nominations. Nous voulons que chaque Irakien ait une voix et un avis et qu’il puisse choisir celui qu’il veut pour le représenter dans la future assemblée», a-t-il notamment affirmé. Ses propos, largement diffusés dans un encart publicitaire paru dans l’un des quotidiens les plus lus du pays, sont sans concession pour l’actuel exécutif mis en place par les Américains. «Le pouvoir appartient aux Irakiens et non à ceux venus de l’étranger», a-t-il également insisté soulignant que ces derniers cherchaient «à défigurer les élections, la démocratie et la liberté du peuple». Selon lui, l’assemblée telle que voulue par les forces d’occupation n’aura «aucune légitimité».

Bremer cherche à se montrer conciliant

Cette intransigeance de l’ayatollah Ali Sistani s’est exprimée après que l’administrateur américain Paul Bremer, soutenu par le Conseil de gouvernement irakien, ait rejeté l’idée de toute élection dans les prochains mois. «Le problème est technique avant tout, a estimé le responsable américain. Aujourd’hui il n’y a pas de commission électorale, de loi pour régir les élections, d’inscription sur les listes. Il n’y a rien qui puisse contribuer à la tenue d’élections correctes dans les six mois». Paul Bremer a en outre défendu avec vigueur le processus consistant à organiser des assemblées régionales d’électeurs sur le modèle des caucus américains. «Cette méthode va permettre de créer un gouvernement représentatif. Ce n’est certes pas aussi bien que des élections mais cela fait partie du retour à la souveraineté nationale», a-t-il justifié.

A cet argumentaire, les proches d’Ali Sistani ont fait valoir que des élections générales pouvaient tout à fait être organisées dans les prochains mois. Ils ont notamment fait valoir la possibilité de faire voter les Irakiens détenteurs de cartes de rationnement utilisées avant la chute de l’ancien régime de Saddam Hussein dans le cadre du programme «pétrole contre nourriture».

Soucieux de ne pas s’aliéner la communauté chiite, les membres du Conseil de gouvernement irakien cherchent à trouver des solutions de compromis. Ils ont notamment proposé l’organisation d’élections dans certaines provinces. «Le mécanisme proposé consiste à organiser, partout où c’est possible, des scrutins partiels», a notamment proposé l’un d’eux. Selon lui, «on pourrait envisager que dans chaque province, un groupe électoral de 100 000 membres élise un délégué et que ces représentants éliront à leur tour en leur sein les membres de la prochaine assemblée». Les Américains eux-même semblent prêts à se ranger à cet avis soulignant notamment qu’ils n’excluaient pas l’idée d’élections locales là où cela serait possible. Le quotidien New York Times a récemment révélé que Washington travaillait activement à «un nouveau plan ouvrant les caucus à davantage de monde et rendant leur travail interne plus transparent».

Déjà mise en difficulté par la résistance irakienne qui poursuit quotidiennement ces attaques contre les forces de la coalition, l’administration Bush veut éviter de s’aliéner la communauté chiite en se montrant la plus conciliante possible. Elle ne ménage d’ailleurs pas ses efforts. Le porte-parole de l’administrateur américain a récemment déclaré que Paul Bremer avait «un grand, grand respect pour l’ayatollah Sistani». «C’est un grand leader, avec une profonde tradition qui représente une grande partie des Irakiens et nous continuerons à l’encourager à jouer un rôle majeur dans son pays comme il l’a fait ces derniers mois», a-t-il insisté.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 15/01/2004