Irak
Moqtada Sadr déclaré hors-la-loi
(Photo AFP)
Les appels au calme lancés par la plus haute autorité chiite d’Irak, l’ayatollah Ali Sistani, sont restés vains. Le vieux chef religieux, pourtant très respecté par sa communauté, n’a en effet pas réussi à apaiser la colère des milliers de partisans du jeune Moqtada Sadr, violemment opposés depuis des mois à la présence américaine en Irak. L’ayatollah Ali Sistani a pourtant reconnu que «les revendications des manifestants étaient légitimes». Il a également «condamné les actes perpétrés par les forces d’occupation et proclamé son soutien aux familles des victimes». Mais ces appels au calme et à la négociation n’ont semble-t-il pas convaincu une jeunesse survoltée car laissée pour compte dans l’Irak de l’après-Saddam et qui apparaît aujourd’hui visiblement plus séduite pas les propos belliqueux du jeune Moqtada Sadr. Ce chef radical a en effet appelé dès dimanche ses partisans à «terroriser leurs ennemis» des forces de la coalition. «Je vous demande de ne plus manifester car les manifestations sont devenues inutiles à partir du moment où votre ennemi aime terroriser, faire taire les opinions et mépriser les peuples», leur avait-il lancé les invitant à «trouver d’autres voies et d’autres formes d’action».
La situation quasi-insurrectionnelle qui prévaut depuis dimanche dans les quartiers chiites de la capitale mais aussi dans plusieurs villes du sud du pays, comme Amara, Kerbala ou Najaf, place l’administration américaine dans une position des plus délicates. Son représentant en Irak, Paul Bremer, a d’ailleurs reconnu que la situation sécuritaire était «difficile». «Nous avons un groupe mené par Moqtada Sadr qui s’est placé de fait en dehors de la légalité de la coalition et des responsables irakiens», a-t-il déclaré en précisant que le jeune chef radical était «en train d’essayer d’installer son autorité à la place de l’autorité légitime». Ses partisans ont en effet pris le contrôle de plusieurs bâtiments officiels. Ils occupent notamment la résidence du gouverneur de Bassorah, la plus grande ville du sud et contrôlent deux des lieux les plus saints du chiisme, le mausolée d’Ali à Najaf et celui de Koufa où ce gendre du prophète Mahomet fut mortellement blessé en 661. «Nous ne tolérerons pas cette situation. Nous réinstallerons la loi et l’ordre que les Irakiens attendent», a ainsi affirmé Paul Bremer, se voulant rassurant mais aussi ferme.
«Fier» d’être hors-la-loi
Officiellement le bureau de Moqtada Sadr a appelé au calme et à la retenue. «Nous allons poursuivre la résistance par des moyens pacifiques et ne ferons rien qui puisse violer la loi. Nous recourrons aux grèves et autres actions pacifiques qui terrorisent les Américains», a ainsi affirmé l’un des proches du jeune chef religieux. Mais les affrontements ne se sont pas interrompus pour autant. Retranché dans la mosquée de Koufa où il observe un sit-in, Moqtada Sadr a jeté lundi de l’huile sur le feu en se déclarant «fier» d’être déclaré hors-la-loi par l’administrateur américain. «Je suis accusé par un des dirigeants du Mal, Bremer, d'être un hors-la-loi. Si cela signifie enfreindre la loi de la tyrannie américaine et son abominable constitution, j'en suis fier et c'est pourquoi je me révolte», a-t-il ainsi rétorqué dans un communiqué. Le mandat d’arrêt lancé à son encontre par la coalition ne devrait pas dans ce contexte apaiser la situation.
Le jeune imam, connu pour ses positions radicales, sait en effet qu’il peut compter sur plusieurs centaines de miliciens tous appartenant à «l’armée du Mehdi», un mouvement qui a lui-même constitué et qui lui est fidèle. Fort de la radicalisation de la situation et de la mobilisation de ses proches, il n’a pas hésité à exiger la satisfaction de ses revendications avant un peu probable retour au calme. Il a ainsi réclamé la réouverture du journal al-Hawza, fermé la semaine dernière pour incitation à la violence anti-américaine, «la libération des détenus qui n’ont commis aucun crime et la fin des campagnes de terreur et d’arrestations arbitraires». Il a en outre demandé que soient dévoilés les «crimes perpétrés par les forces d’occupation» et que soient jugés leurs responsables. Se considérant visiblement en position de force, Moqtada Sadr, a également réclamé des garanties pour le départ de la coalition d’Irak.
Cette nouvelle donne irakienne inquiète visiblement l’administration américaine au point où George Bush, en retrait ces dernières semaines sur le dossier irakien, est intervenu pour condamner les violences de ces dernières vingt-quatre heures. «Nous ne serons pas ébranlés par des bandits et des terroristes», a-t-il également affirmé lors d’un discours prononcé en Caroline du Nord. «Ces tueurs n’ont pas de valeurs», a-t-il lancé en s’engageant à poursuivre l’objectif d’établir un régime démocratique en Irak, une «action difficile» a-t-il toutefois reconnu.
par Mounia Daoudi
Article publié le 05/04/2004 Dernière mise à jour le 05/04/2004 à 16:00 TU