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Syrie-Irak

La frontière qui énerve les Américains

La frontière Irak-Syrie vue par le biais de la caméra de vision thermique d'un blindé américain du 14e régiment de cavalerie, le 16 mars 2004. 

		(Photo: AFP)
La frontière Irak-Syrie vue par le biais de la caméra de vision thermique d'un blindé américain du 14e régiment de cavalerie, le 16 mars 2004.
(Photo: AFP)
Les États-Unis reprochent à Damas de laisser passer vers l’Irak des combattants étrangers. La Syrie dément.
De notre envoyé spécial à Damas

«La Syrie doit mieux contrôler sa frontière avec l’Irak pour empêcher les infiltrations de combattants étrangers.» Ce conseil, en forme d’avertissement, revient comme un leitmotiv dans les propos des responsables de la Maison Blanche, qui agitent à l’occasion le spectre d’éventuelles sanctions contre Damas. Longue de plus de 600 kilomètres, la frontière syro-irakienne est-elle pour autant si poreuse ?

Officiellement, les autorités syriennes affirment contrôler les points de passage routiers, mais n’écartent pas des infiltrations, impossibles à empêcher. La zone frontalière entre les deux pays est en effet un lieu traditionnel de contrebande organisée par les tribus dont les membres habitent en Syrie et en Irak, comme les Chammars, les Tays ou encore les Jbouris.

Dans cette région désertique, la «carte» des routes clandestines se transmet de génération en génération. Même sous Saddam Hussein et sous Hafez Al-Assad, les bédouins savaient tromper la vigilance des gabelous, en leur offrant au besoin un backchich. Des relations commerciales et humaines très anciennes unissent aussi la ville syrienne d’Alep à sa cousine irakienne de Mossoul, qui sont reliées par chemin de fer.

«Si l’Amérique, une superpuissance aussi riche, ne peut empêcher les Mexicains de venir aux Etats-Unis, comment nous, un pays pauvre, pourrions-nous empêcher les Palestiniens d’entrer en Irak» , avait déclaré au Sunday Telegraph il y a quelques mois, Farouk Al-Chara, le ministre syrien des Affaires étrangères.

Les griefs des Américains remontent à l’avant-guerre. Des groupes de combattants arabes (syriens, libanais, palestiniens) s’étaient enrôlés dans les rangs des forces irakiennes pour faire face à l’invasion américaine. Ils avaient rejoint Bagdad à partir de la Syrie. Les autorités de Damas fermant alors les yeux sur ces mouvements. Certains de ces combattants sont rentrés au pays, d’autres sont restés sur place. L’état-major américain les accuse aujourd’hui de participer à la résistance, notamment à Falloujah, bastion du «triangle sunnite».

Dans l’autre sens, «il n’y a pas de «gros poissons» de l’ancien régime de Saddam Hussein sur le sol syrien, mais de nombreux cadres intermédiaire du Baas irakien ont trouvé refuge en Syrie, affirme un ancien baassiste syrien, exilé à Bagdad et rentré à Damas depuis plusieurs mois. Bachar Al-Assad a accepté qu’Elias Farah, un Syrien membre du commandement national du parti Baas irakien, soit autorisé à revenir chez lui à Alep, en raison de son âge avancé et de son état de santé très dégradé.

Accusations non fondées

«Les accusations d’infiltrations de terroriste ne sont pas fondées, affirme cet expert sécuritaire occidental. On fait un mauvais procès aux Syriens. La frontière avec l’Irak est bien tenue, même les militaires américains le reconnaissent en privé. Il peut y avoir des infiltrations, mais elles sont extrêmement marginales». «Les Américains voudraient que les pays voisins de l’Irak jouent le rôle de garde-chiourme et fassent le sale boulot à leur place», ajoute de son côté Janbulat Shikay, correspondant à Damas du quotidien koweitien Al-Raï Al-Aam.

En tout cas, l’armée américaine a renforcé sa présence tout le long de la frontière. Selon le New York Times, la 1ère force expéditionnaire de Marine, qui a relevé le mois dernier la 82e division aéroportée, multiplie les patrouilles 24 heures sur 24. Des drones surveillent la zone et des appareils de détection ont été installés au sol pour repérer les infiltrations.

Malgré de nombreux points de différence, Washington a aussi officiellement demandé l’aide de Damas sur le dossier irakien. A l’occasion de la fête nationale syrienne le 17 avril dernier, Colin Powell, le secrétaire d’Etat américain, a appelé la Syrie à «fournir toute l’assistance possible pour apaiser la situation en Irak». Il y a un an, quasiment jour pour jour, le même Colin Powell, en visite à Damas, dictait ses conditions à une direction syrienne encore sous le choc de la chute de Bagdad et du régime baassiste de Saddam Hussein.

«Les États-Unis se trouvent dans une spirale de l’échec en Irak, analyse Mehdi Dahlala, rédacteur en chef du journal Al-Baas. Après l’Espagne, d’autres pays de la coalition vont eux aussi retirer leurs troupes. Avec le temps, les problèmes vont se multiplier, même s’il y aura de temps en temps des trêves dans la violence. Washington a aujourd’hui besoin de Damas qui possède une influence en Irak.»

Autant la rue syrienne est chauffée à blanc contres les États-Unis et prête à soutenir la résistance irakienne, autant les autorités syriennes ne mettent pas de l’huile sur le feu. La direction syrienne «ne souhaite pas la réussite de l’expérience américaine en Irak, analyse un observateur local, mais elle sait aussi qu’à l’instar de son voisin oriental, la Syrie est une mosaïque communautaire et confessionnelle, qui pourrait être déstabilisée, si la situation en Irak devenait complètement incontrôlable etfaisait tâche d’huile dans la région».

par Christian  Chesnot

Article publié le 23/04/2004 Dernière mise à jour le 23/04/2004 à 13:12 TU