Irak
Washington renonce à prendre d’assaut Falloujah
(Photo : AFP)
Le fragile cessez-le-feu semble encore pour l’instant tenir à Falloujah où les marines américains sont confrontés à une féroce résistance de la part des combattants sunnites retranchés depuis trois semaines dans cette ville située à une centaine de kilomètres au nord de Bagdad. La trêve est toutefois régulièrement malmenée par des échanges de tirs qui apportent chaque jour leurs lots de victimes. Les autorités américaines, qui dans un premier temps avaient pensé reprendre par la force ce bastion de la résistance sunnite, semblent avoir renoncé à cette option.
Les difficultés rencontrées par les forces de la coalition en Irak, où aucune région n’est désormais épargnée par les attaques, semblent avoir convaincu l’administration américaine des dangers que pourraient représenter une vaste offensive contre la ville de Falloujah. Les plans étaient pourtant prêts pour une attaque majeure contre cette cité devenue ces dernières semaines le symbole de la résistance à l’occupation américaine et, selon le New York Times, le président Bush et ses conseillers devaient ce week-end donner leur feu-vert ou non à une telle offensive. Mais une fois n’est pas coutume, la prudence semble avoir cette fois-ci prévalu dans la décision de l’exécutif américain dans la mesure où le fragile cessez-le-feu était toujours en vigueur lundi.
Il est vrai que les mises en garde contre un regain de violence à Falloujah se sont multipliées ces derniers jours. L’envoyé spécial des Nations unies en Irak, l’Algérien Lakhdar Brahimi a ainsi appelé les Etats-Unis à agir avec prudence pour ne pas s’aliéner encore plus la population irakienne de plus en plus hostile à la présence américaine, un an après la chute du régime de Saddam Hussein. «Il y a toujours une meilleure solutionque de se précipiter en tirant n’importe où», a-t-il notamment affirmé en précisant qu’«envoyer des tanks dans une place comme Falloujah n’était pas la bonne chose à faire». «Je pense que les Américains en ont désormais parfaitement conscience», a également souligné le diplomate algérien.
Les hésitations de l’administration américaine, qui outre Falloujah s’est également gardée d’ouvrir le front à Najaf, cette ville sainte du chiisme aux mains des partisans du chef radical Moqtada al-Sadr, en disent long sur les difficultés rencontrées par la coalition à deux mois du transfert de la souveraineté aux Irakiens. Alors que le dossier irakien semble prendre de plus en plus d’importance dans la campagne électorale américaine –un sondage publié dans le Washington Post révèle que pour 23% des Américains l’Irak est le seul dossier important, soit 10% de plus qu’en mars– Washington cherche à tout prix à se désengager en remettant le pouvoir le 30 juin prochain à un gouvernement intérimaire irakien pour lequel les consultations doivent officiellement débuter mardi.
Une «souveraineté limitée»
Arc-boutée sur cette date du 30 juin, l’administration Bush s’est jusqu’à présent bien gardée de spécifier en quoi consisterait ce transfert de pouvoir aux Irakiens. Mais la question commence à faire débat aux Etats-Unis où de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer la définition des prérogatives qui devront être allouées aux futurs dirigeants irakiens. Il semblerait en effet, au vu des récentes déclarations américaines, que Washington ne souhaite pas que le futur gouvernement intérimaire dispose de pouvoirs aussi élargis que ceux d’un régime souverain. Interrogé par le Congrès, le secrétaire d’Etat Colin Powell évoquait ainsi pour la première fois le 8 avril dernier le concept de «souveraineté limitée» laissant entrevoir la mise en place d’une équipe acquise à l’administration américaine. Le chef de la diplomatie avait en outre confirmé le maintien des troupes américaines en Irak, sous commandement américain, après le transfert du pouvoir.
L’envoyé spécial des Nations unies, dont la mission est de mettre au point les détails de la structure du gouvernement intérimaire, a pour sa part démenti que les Irakiens auraient une «souveraineté limitée». Lakhdar Brahimi a toutefois estimé que les pouvoirs du nouvel exécutif irakien seraient «limités». Une subtilité qui pourrait bien monopoliser les débats lors des consultations qui doivent se dérouler à partir de mardi au sein des milieux politiques irakiens pour la formation du gouvernement intérimaire. Ces consultations doivent se tenir en collaboration avec la coalition et les Nations unies.
L’ONU a d’ores et déjà imposé ses vues concernant ce futur gouvernement irakien, Lakhdar Brahimi estimant qu’il devra être «acceptable pour le peuple irakien».Il a notamment fait valoir que l’organisation internationale «insistait sur la crédibilité, l’honnêteté et l’expertise professionnelle» de ce qui devront constituer la nouvelle équipe dirigeante. Le diplomate algérien a en outre estimé que les responsables liés à des partis politiques devraient se consacrer aux élections de 2005 et demeurer en dehors du gouvernement intérimaire qui devrait selon lui être composé de technocrates «représentant largement la diversité de l’Irak».
Ces déclarations n’ont, bien sûr, pas été du goût du principal allié du Pentagone à Bagdad, le très controversé Ahmed Chalabi qui dirige le Congrès national irakien. Il est vrai qu’elles ne faisaient que confirmer des informations parues samedi dans le Washington Post selon lesquelles l’ONU et les Etats-Unis auraient décidé d’exclure la plupart des hommes politiques irakiens sur lesquels s’est appuyée la coalition depuis un an du futur gouvernement. Ces hommes politiques venus pour la plupart dans les bagages de l’armée américaine ne jouissent en effet que d’une popularité limitée en Irak.
par Mounia Daoudi
Article publié le 26/04/2004 Dernière mise à jour le 26/04/2004 à 14:26 TU