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Proche-Orient

Rafah : après l’intervention israélienne

L'opération «Arc-en-ciel» menée par l'armée israélienne en mai 2004 a fait plusieurs dizaines de tués. 

		(Photo : AFP)
L'opération «Arc-en-ciel» menée par l'armée israélienne en mai 2004 a fait plusieurs dizaines de tués.
(Photo : AFP)
Le porte-parole de l’armée israélienne a annoncé lundi soir la fin de l’opération militaire sur Rafah, dans l’extrême sud de la bande de Gaza. La violence de l’intervention et les nombreuses victimes ont provoqué une vague d’indignation qui n’épargne pas Israël où la presse, notamment, s’interrogeait mardi sur l’impact dévastateur des destructions causées par l’armée. Reportage.

De notre envoyé spécial à Rafah (bande de Gaza).

Un gamin est accroupi dans des gravats au milieu d’une immense rue déserte. Il remue des bouts de câbles électriques dans un feu de brindilles tandis que le roulement des mitrailleuses résonne au loin. Après avoir fait fondre le plastique, Ahmed transformera les fils de cuivre en une boule qu’il ira vendre sur un trottoir pour une poignée de shekels (devise israélienne). Derrière lui, les portes en métal vert des magasins sont toutes verrouillées. Au-dessus, le parpaing des immeubles, encore à nu, est mité d’impact de balles. Un peu plus loin, le coffre d’une Subaru blanche est écrasé, comme s’il était passé sous le pied d’un géant. Sur plusieurs centaines de mètres, le Bloc O, l’un des camps de réfugiés de Rafah situé en lisière de la frontière égyptienne, est un champ de ruines. Des maisons réduites à l’état d’un mille-feuilles par la dynamite, des façades éventrées par les obus, le bitume crevassé par les tanks. Même la mosquée du quartier a été transpercée par les roquettes israéliennes.

L’armée est entrée en action à Rafah le 12 mai dernier. Officiellement comme toujours, la mission des militaires consistait à détruire les fameux tunnels creusés sous la frontière avec l’Egypte qui permettent aux groupes armés d’entretenir leur arsenal avec la complicité de leurs voisins bédouins. Des «autoroutes » selon l’état-major israélien qui se plait à répéter depuis des mois qu’elles pourraient permettre aux Palestiniens de se doter de missiles de type Katyousha ou Stinger. De quoi, dans les pires scénarios serinés par la presse, abattre un hélicoptère en vol ou bien pilonner les villes voisines de la bande de Gaza, comme Ashkelon. A Rafah, ce soupçon présenté sans le moindre début de preuve, fait ricaner les habitants qui voient mal une batterie de missile manœuvrer dans des tunnels souvent hauts d’à peine un mètre. La vraie spécialité de Rafah, ce sont les armes légères. Kalashnikov, M16, mines télécommandées à distance, RPG (lance-roquettes). Quand le flux des tunnels se tarit, ou quand les patrouilles de l’armée font exploser les prix (3 000 $ la kalashnikov actuellement; 30 shekel, soit environ 6 euros, la balle), les militants se servent de force dans les stocks de l’Autorité palestinienne. On dit aussi qu’en échange de drogue, des colons et des soldats n’hésitent pas à ravitailler l’ennemi.

Le 13 mai, la mort de 5 soldats dans l’explosion de leur blindé, touché par une roquette palestinienne, change la donne. D’autant que la veille, 6 soldats avaient été tués à Gaza, dans une embuscade similaire. Confronté au harcèlement permanent des guérilleros de Rafah qui lui rappelle le bourbier libanais, l’état-major israélien décide de frapper un grand coup. Deux bataillons d’infanterie et un de tanks sont mobilisés. Nom de code de l’opération: «arc-en-ciel». Ce sera la plus grosse offensive militaire israélienne depuis «Rempart», la phase de réoccupation des zones autonomes palestiniennes au printemps 2002. L’armée assiège d’abord le quartier de Tel el Sultan. Le choix de la cible laisse perplexe les habitants de Rafah. Avec des dunes de sable et des colonies tout autour, à plus d’un kilomètre de la frontière, il est impossible de creuser des tunnels à Tel el Sultan, disent-ils. Les soldats visiblement ne se posent pas ces questions. Embusqués sur les toits, ils tuent à vue. Plusieurs militants armés tombent sous leurs balles. Des civils, qui bravaient le couvre-feu, sont aussi abattus sans sommation. Le mercredi 19 mai, la manifestation populaire qui tente de briser l’isolement de Tel el Sultan écope du même traitement: un missile, trois obus. Bilan: 10 morts et une cinquantaine de blessés. Dans toute la bande de Gaza, les haut-parleurs des mosquées hurlent au «massacre».

«En quelques minutes, tout a disparu»

Bredouilles à Tel El Sultan, les experts en tunnels de l’armée se déplacent à Hay el Salam, Brazil et Bloc O, trois camps de réfugiés contigus de la frontière. Les bulldozers et les tanks ne changent pas leur méthode d’action: passer partout sauf sur les grands axes et les croisements, de crainte qu’ils soient minés. Ce faisant, ils rasent un zoo, le seul parc d’attraction de toute la bande de Gaza, ils défoncent le muret d’un cimetière et dévastent une mosquée. Sans prévenir, les bulldozers s’attaquent aussi aux maisons des réfugiés. Même celles trop éloignées de la frontière pour dissimuler un tunnel. «Nous habitons à 1 km de la frontière, dit Manal Awad. Cela n’a pas de sens de creuser ici. En quelques minutes pourtant, tout a disparu. Ma mère n’a même pas eu le temps de mettre son voile. Le plus aberrant, c’est que la maison du militant du Djihad qui habite juste en face de chez nous n’a même pas été touchée».

Dans le Bloc O, les rares habitants qui n’ont pas encore fui, ont accroché un drap blanc à leur fenêtre. Pour signaler leur présence aux artilleurs israéliens, d’autres laissent pendre des habits le long d’un balcon. C’est le cas de Fayza Geshta, une solide femme d’une quarantaine d’années, qui parle avec de grands mouvements des mains. Son mari handicapé et ses enfants ont quitté le foyer depuis longtemps, épuisés par les tirs des mitrailleuses qui picorent le mur chaque nuit. Mais Fayza, elle, refuse de partir. «C’est sûr, s’ils viennent détruire ma maison, je mourrai sous les décombres». Elle montre à 300 mètres, le mur d’acier construit par l’armée israélienne le long de la frontière et les miradors d’où les snipers tiennent en joue toute la population. Entre ce mur et sa maison, quatre ou cinq rangées de maisons ont été rasées par l’armée. Officiellement à titre punitif, parce que la maison servait de cachette à des militants. En fait, et l’armée s’en cache de moins en moins, pour élargir le corridor-frontière que le gouvernement d’Ariel Sharon entend conserver même après le retrait annoncé de la bande de Gaza.

De ce point de vue, l’opération Arc-en-ciel est un succès. En dix jours, du 12 au 21 mai, 118 maisons ont été démolies, jetant à la rue 1 500 habitants qui s’ajoutent aux 12 000 réfugiés déjà transformés en sans-abris depuis le début de l’Intifada par les bulldozers israéliens. Durant la même période, 43 palestiniens ont été tués, dont une majorité de civils. Le bilan proprement militaire est beaucoup plus mince. Aucune cache d’armes n’a été découverte et seulement trois tunnels ont été détruits.



par Benjamin  Barthe

Article publié le 25/05/2004 Dernière mise à jour le 25/05/2004 à 13:33 TU