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Le ras-le-bol des kiosquiers

La loi Bichet de 1947 permet en France à tous les titres d’être: les kiosquiers n’ont pas le droit de refuser la marchandise, et se retrouvent ainsi submergés par des centaines de titres. 

		(Photo: AFP)
La loi Bichet de 1947 permet en France à tous les titres d’être: les kiosquiers n’ont pas le droit de refuser la marchandise, et se retrouvent ainsi submergés par des centaines de titres.
(Photo: AFP)
Les kiosquiers sont en colère: victimes d’enjeux économiques qui se trament autour des publications, ils demandent une révision de leur rémunération. Leurs conditions de travail sont très contraignantes et peu confortables, leur métier précaire n’est pas lucratif et est menacé de disparition.

«Je fais comme les putes: je travaille sur le trottoir 90 heures par semaine, je manipule beaucoup d’argent mais je n’ai pas un sou en poche» déclare, amère, Catherine Collin, qui gère un kiosque depuis 23 ans à Paris. A cette remarque qui résume la situation financière, s’ajoutent les doléances de confrères: «je commence à 5 heures, je termine à 20H30», ou bien «j’en ai assez de pisser dans une bouteille quand je suis coincé dans mon kiosque, de subir les grands frimas ou la canicule, et de me crever à manipuler des kilos de journaux». Et, en dépit des quintaux de journaux imprimés manipulés, ils tirent la sonnette d’alarme: «On le redit, on meurt».

Les guérites, aussi exiguës soient elles, sont louées –même si, depuis deux ans, la Ville de Paris, consciente des difficultés des kiosquiers, a réduit ses loyers de moitié. Et, pour ces travailleurs indépendants, employant rarement un employé, les conditions de travail se dégradent du fait d’une législation qui les soumet aux gros groupes de l’édition (et des messageries qui en dépendent). Les kiosquiers sont payés à la «remise» (ou commission) sur les ventes: celle-ci s’élève à 17% sur la vente des quotidiens, de 18,20% sur la vente des publications (hebdomadaires et magazines), alors qu’elle est de 30% dans les Relay des gares, et autour de 25% partout ailleurs en Europe.

Au final, certains de ces kiosquiers ne parviennent même pas à gagner le smic (salaire minimum interprofessionnel de croissance), sans compter qu’ils subissent aussi la concurrence des grandes surfaces, et celle des feuilles de choux quotidiennes, distribuées gratuitement aux bouches du métro parisien: d’ailleurs, ne cherchez pas 20 minutes ou Métro à l’entrée de la station Barbès-Rochechouart, le kiosquier y protège tacitement son commerce.

La loi Bichet de 1947 permet en France à tous les titres, même les plus improbables, d’être distribués et certains éditeurs en abusent: les kiosquiers n’ont pas le droit de refuser la marchandise, et se retrouvent ainsi submergés par des centaines de titres de journaux et de magazines, de numéraux spéciaux et dérivés (opérations cassettes et DVD). Pourtant, aucune étude de marché n’étant prise en compte certains, à l’instar d’Eric Travert, qui s'est confié au journal Libération, peuvent déplorer: «on me refile des trucs de cul alors que je suis à côté des intégristes de Saint-Nicolas-du-Chardonnet où franchement j’ai plus de chance de vendre un cercueil à deux places ! » ou «j’ai tous les titres pour enfants, alors qu’il n’y a pas de mômes dans mon quartier».

Des quintaux d’invendus

Au final, alors que d’un côté les éditeurs ne cessent de multiplier les produits dans la concurrence (un flux augmenté de 41% en six ans), les distributeurs enregistrent quant à eux quelquefois jusqu’à 90% d’invendus, et les messageries n’ont cure des réclamations. C’est pour cette raison que, outre l’augmentation de leur marge, les kiosquiers revendiquent «la baisse des livraisons de marchandises invendables». Car, pour ajouter à ce sombre tableau, il faut savoir que les invendus sont remboursés, mais qu’en attendant les kiosquiers ont du faire une avance sur la trésorerie, ce qui conduit certains d’entre eux à s’endetter: «nous vivons tous sur nos règlements différés. J’ai à mon actif 8 100 euros de différés, et j’ai en plus tous les quinze jours une facturation à payer, déclare Catherine Collin. Autant dire que ces différés sont l’équivalent d’un endettement sur lequel les diffuseurs de presse n’ont pas droit de regard».

Le 11 mai dernier, les kiosquiers ont affiché leur colère, manifesté dans la rue pour la première fois, et demandé l’appui de la Ville de Paris pour se faire entendre, et alerter les autorités car actuellement, sur les 372 kiosques implantés sur la voie publique à Paris, 296 restent ouverts. Alain Renault, représentant du syndicat national de la presse et de la librairie (SNDP), interrogé par l’AFP, avait alors fait savoir qu’il demandait aux députés d’interpeller le gouvernement à l’Assemblée nationale sur la commission, et avait transmis à Christian Sautter 276 pétitions pour demander la tenue de la commission professionnelle des kiosques, qui gère leur carrière.

Sans réforme, un déclin inexorable des kiosquiers

Les délégués avaient été reçus à l’Hôtel de Ville par Christian Sautter, adjoint PS aux Finances du maire de Paris Bertrand Delanoë, et ce dernier avait estimé leurs revendications légitimes: «si on reste dans le statu quo, le déclin des kiosquiers est inexorable (…) s’il y avait une solution d’ensemble, la Ville serait prête à faire un effort au-delà des 300 000 euros par an déjà consentis (correspondant à la baisse de la redevance due par les kiosquiers). Il faut chercher une solution tous ensemble qui apporte de l’argent supplémentaire, sans toucher à l’indépendance des kiosquiers».

Pour faire entendre leur colère, et n’estimant n’avoir rien obtenu depuis mai dernier, kiosquiers et diffuseurs de presse parisiens avaient ensuite bloqué, depuis jeudi dernier,  4 dépôts de presse afin de retarder la sortie des quotidiens. Etaient bloqués les dépôts de Clichy (Hauts de Seine), Bobigny (Seine-Saint-Denis), Chevilly-Larue (Val-de-Marne) et le centre du boulevard Mac Donald (Paris 19e).  Ils ont mis fin, le 10 juin, à leur action. Pourtant, «il n’y a pour l’instant aucune avancée», affirme Gisèle Duchamp du SNDP.

Ghislain Le Leu, directeur général des Nouvelles Messageries de la presse parisienne a, quant à lui, évoqué «le contexte économique difficile pour les NMPP (…), soulignant par ailleurs que: la vente au numéro des quotidiens a baissé en valeur de 4,4% pour les quotidiens mais augmenté de 2,8% pour les publications et de 10,2% pour les produits hors-presse». Il a reconnu que ces messageries étaient «pleinement impliquées», mais il a considéré comme essentiel «que la profession redéfinisse des règles du jeu sachant que ce sont aux éditeurs de décider de ces règles». Ce faisant, il a préconisé d’informatiser encore plus les points de vente, pour «mieux connaître les ventes, de développer un outil permanent pour déclencher du réassort et limiter les ruptures de stocks».

Les kiosquiers parisiens, de leur côté, ont obtenu de la Mairie de Paris que la commission professionnelle -qui régit l’attribution des kiosques dans la capitale- se réunisse le 23 juillet prochain. Par ailleurs, un groupe de travail restreint du conseil supérieur des Messageries de presse, qui étudie le dossier depuis janvier dernier pour proposer une réforme, doit recevoir les syndicats de diffuseurs mercredi 16 juin.



par Dominique  Raizon

Article publié le 11/06/2004 Dernière mise à jour le 11/06/2004 à 16:01 TU