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République démocratique du Congo

Déclaration de guerre

Laurent Nkunda: «<I>je ne sais pas si Kigali sera notre allié</I>». 

		(Photo: AFP)
Laurent Nkunda: «je ne sais pas si Kigali sera notre allié».
(Photo: AFP)
Après avoir évacué Bukavu le 9 juin, le général Laurent Nkunda menace Kinshasa de «libérer l’Est du Congo» si des mesures ne sont pas prises pour protéger la communauté des Banyamulenge à laquelle il appartient. Au Sud Kivu, près de Kamanyola, son frère d’armes, lui aussi replié de Bukavu, le colonel Mutebusi se bat contre des renforts de l’armée régulière dépêchés sur place par Kinshasa. Leur action pourrait fragiliser l’aile politique du Rassemblement pour la démocratie au Congo (RCD) auxquels ils appartiennent. De son côté, le régime Kabila reste discret sur la tentative de coup d’Etat qui aurait selon lui visé la transition le 11 juin. La semaine précédente, des manifestations durement réprimées avaient dénoncé l’impuissance de la Mission des Nations unies au Congo (Monuc) et l’inaction des partenaires de la transition face à la crise du Kivu.

Le général Nkunda se fâche : «du moment que les forces du côté adverse ne veulent pas respecter ce qu'il (le gouvernement) s'est engagé de faire, de protéger tout le monde, alors que les Banyamulenge continuent à fuir et que Mutebusi, que j'avais laissé à Bukavu, a été chassé de la ville, je pense que nous allons prendre la responsabilité d'aller remettre de l'ordre». Pour preuve des menaces pesant sur les Banyamulenge, il évoque les milliers de réfugiés au Rwanda et au Burundi. Mais avant de repasser à l’offensive, il attend que le vice-président issu du RCD, Azarias Ruberwa, mué en médiateur, lui «donne son dernier mot, sinon je recommence la mobilisation et on va en découdre avec Kinshasa». «On ne va quand même pas mourir à genoux», poursuit-il, promettant de reprendre Bukavu où s’est installé le 11 juin le nouveau gouverneur de la province du Sud-Kivu, Augustin Bulaimu, un diplomate de carrière, issu de la mouvance Kabila, conformément aux accords de partage du pouvoir dans les institutions de la transition.

Pendant ce temps, à Kinshasa, rien ne filtre sur le major Eric Lenge, un membre du Groupe spécial de la sécurité présidentielle, donné comme étant encerclé après son intervention intempestive sur la radio-télévision nationale, vendredi, vers deux heures du matin, pour annoncer la «suspension de toutes les institutions» de la transition. Quelques heures plus tard, Joseph Kabila était à son tour monté au créneau médiatique pour montrer qu’il n’avait pas subi la moindre égratignure, assurer qu’il contrôlait totalement la situation et expliquer qu’une douzaine de personnes décidée à semer «la confusion» avait été arrêtée. En même temps, le chef d’état-major, l'amiral Liwanga Mata-Nyamunyobo, avait promis de présenter les captifs à la population, déplorant toutefois que le major Lenge soit «toujours en cavale avec quelques uns de ses hommes». Le RCD avait alors pour sa part exprimé sa solidarité dans la transition, se félicitant que «la situation soit sous contrôle». La Monuc avait condamné «énergiquement la tentative de coup de force». Désabusés, certains Congolais ont pour leur part perçu le récit officiel de la rocambolesque aventure comme une opération de diversion, au lendemain de manifestations de défiance populaire à Kinshasa et dans plusieurs métropoles provinciales.

La Monuc assure qu’elle a «intensifié ses patrouilles» à Kinshasa et «renforcé son dispositif» autour des résidences du président de la République et de ses quatre vice-présidents, ce qui révèle surtout l’incapacité des partenaires de la transition à assurer leur propre sécurité. Après l’alerte d’avril, où des assaillants non identifiés auraient tenté un coup à partir de Brazzaville, l’équipée du 11 juin fait ressortir s’il en était besoin la fragilité d’une transition en forme de foire d’empoigne ou effectivement de nouveaux venus pourraient être tentés de s’incruster tandis que d’autres ne voient nul intérêt à une normalisation qui finirait par les déloger de leurs fiefs petits ou grands. Dans le Kivu, toujours sillonné par des rebelles rwandais contre qui Kigali pourrait finalement décider d’intervenir, directement ou par nouveaux alliés interposés, le chaos qui perdure ne semble finalement pas vraiment indisposer la mouvance Kabila. Il est en revanche de nature à discréditer les membres des institutions de transition issus du RCD, le vice-président Azarias Ruberwa ou le chef d'Etat major des forces terrestres de la nouvelle armée nationale, le général-major Sylvain Buki.

Discours venimeux

La transition reste soumise aux lignes de failles qui opposent ses composantes, mais aussi aux fractures qui apparaissent à l’intérieur d’entre elles. Ainsi en va-t-il de l’insubordination présumée des gardes présidentiels de Joseph Kabila à Kinshasa vendredi comme de celle du général Nkunda et du colonel Mutebusi dans l’Est congolais. La mouvance Kabila a saisi l’occasion pour jeter de l’huile sur le feu kivutien, à grand renfort de discours venimeux radiodiffusés. Elle n’a en revanche jamais dénoncé et encore moins tenté de neutraliser la rébellion rwandaise qui lui a servi de fer de lance tout au long de la guerre et qui entretient la discorde avec Kigali immédiatement accusé d’être impliqué dans les affrontements de Bukavu. Pour sa part, le général Nkunda se garde bien de réfuter les évidences stratégiques. «Avec Kigali, nous sommes dans une communauté d'intérêts régionale», susurre-t-il, et plus si affinités en cas de guerre, car «je ne sais pas si Kigali sera notre allié».

«Kinshasa n'a aucune volonté de négocier, et l'entourage du président Kabila n'adopte qu'une logique de guerre, poussant les dissidents dans une position jusqu'au-boutiste», observe le général récalcitrant. Mais Nkunda lui-même refuse d’enterrer la hache de guerre tout en assurant qu’il ne veut pas la partition de l’Est congolais. Il se déclare «fédéraliste», comme la majorité des Congolais qui s’était prononcée dans ce sens pendant la conférence nationale de 1991. Mais en attendant l’avènement d’un Etat fédéré doté de dirigeants enfin sortis des urnes, c’est un Congo balkanisé qui continue de se disloquer au Kivu.



par Monique  Mas

Article publié le 14/06/2004 Dernière mise à jour le 14/06/2004 à 14:09 TU

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