Irak
Les Irakiens officiellement souverains
Photo: AFP
Le transfert de souveraineté aux Irakiens s’est déroulé dans la plus grande sobriété, voire dans une discrétion quasi-absolue. Alors que les Américains avaient pourtant fait du 30 juin la date symbole de la fin de l’occupation, ils ont transmis, presque en catimini, le pouvoir aux Irakiens deux jours avant la date prévue. Paul Bremer a eu beau qualifier le moment d’«historique», l’impression qui demeurera est que l’administrateur américain a mis fin à l’occupation dans la précipitation, vraisemblablement sous la pression de la guérilla irakienne qui a multiplié ces derniers jours les attaques contre les troupes de la coalition et contre tout ce qui symbolise le nouveau pouvoir. La cérémonie, qui s’est déroulée sous très haute sécurité dans un des anciens palais de Saddam Hussein, n’a réuni qu’une trentaine de personnalités parmi lesquelles des ministres du nouveau gouvernement, des diplomates et quelques journalistes. Elle a consisté en un simple échange de documents. Paul Bremer a en outre transmis au Premier ministre Iyad Allaoui une lettre du président Bush dans laquelle ce dernier demande un rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays, rompues après l’invasion du Koweït en 1990.
Ce transfert de pouvoir entériné, l’Autorité provisoire de la coalition a aussitôt été dissoute. Et Paul Bremer qui avait présidé à sa création le 16 mai 2003 et en avait assumé la direction jusqu’à aujourd’hui a immédiatement quitté le pays. Aucun accord n’a cependant été formalisé concernant le statut des forces étrangères, en majorité américaines, qui resteront stationnées en Irak. L’administrateur américain s’était pourtant engagé à signer avant la fin de sa mission, prévue initialement le 30 juin, un décret définissant le statut des troupes de la nouvelle force multinationale et des employés civils travaillant pour elle. «Ce statut, avait-il expliqué, devrait leur accorder des privilèges et l’immunité». La précipitation dans laquelle s’est effectué le transfert de souveraineté n’aura pas permis la finalisation d’un accord allant dans ce sens et au sujet duquel plusieurs membres du gouvernement irakien s’étaient en outre montrés très réticents.
Quoi qu’il en soit, la fin de l’occupation a été applaudie par le nouvel exécutif irakien. «Ce transfert de souveraineté à un gouvernement et au peuple irakiens est une journée historique», a ainsi affirmé le Premier ministre qui a souligné que son équipe et lui-même «avaient travaillé dur avec l’ambassadeur Bremer pour y arriver». Iyad Allaoui a également annoncé que son cabinet allait prendre dans les deux jours une série de mesures d’urgence pour rétablir la sécurité. «La responsabilité de la sécurité est désormais entre nos mains», a-t-il notamment affirmé en s’engageant à tout faire pour lutter contre la violence qui semble avoir décuplé depuis sa prise de fonction au début du mois.
Prendre de court la guérillaJustifiant cette décision d’avancer de quarante-huit heures la fin de l’occupation, le chef de la diplomatie irakienne, présent à Istanbul à l’occasion du sommet de l’OTAN, a affirmé que l’objectif visé était de «prendre de court» les insurgés qui ont multiplié les attaques à l’approche du 30 juin. «Je crois que nous défierons mieux ces forces terroristes, criminelles, saddamistes et antidémocratiques en avançant la date du transfert», a-t-il notamment affirmé à l’issue d’un entretien avec le Premier ministre britannique Tony Blair qui a, de son côté, précisé que l’idée d’avancer la fin de l’occupation revenait aux Irakiens pour qui «déjouer la menace terroriste» était la principale préoccupation. «L’important maintenant est que le peuple irakien voit que des dirigeants irakiens sont au pouvoir à Bagdad», a-t-il insisté.
Mais même si le nouvel exécutif dispose officiellement depuis lundi matin d’une «souveraineté complète» -selon les termes même de la résolution 1546 du Conseil de sécurité des Nations unies- il n’en sera pas moins, dans les faits soumis, à de nombreuses restrictions. Il n’aura ainsi aucun contrôle sur les quelque 150 000 soldats étrangers qui resteront stationnés en Irak même s’il a théoriquement le droit de leur demander de quitter le pays. Les nouvelles autorités irakiennes ont toutefois d’ores et déjà fait savoir qu’elles n’avaient pas l’intention de le faire. Considéré comme une instance intérimaire, le nouveau gouvernement n’est en outre pas autorisé à prendre des décisions qui pourraient avoir des répercussions à long terme. Il ne pourra pas non plus s’engager dans des accords internationaux autre que ceux relatifs à l’établissement de relations diplomatiques, à l’aide et aux prêts internationaux, et à la dette irakienne. Il devra sans doute enfin négocier toutes décisions d’importance avec les Etats-Unis qui gardent une influence considérable en Irak symbolisée notamment par la mise en place de leur plus grosse ambassade dans ce pays. Près d’un millier d’Américains y travailleront sous les ordres de John Negroponte, l’ancien représentant aux Nations unies, récemment nommé premier ambassadeur des Etats-Unis dans l’Irak de l’après-Saddam.
par Mounia Daoudi
Article publié le 28/06/2004 Dernière mise à jour le 29/06/2004 à 09:04 TU