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Irak

Les mauvais choix de «Saddam Bremer»

L'administrateur américain de l'Irak, Paul Bremer, a quitté le pays le 28 juin dernier à bord d'un avion de l'<i>US Air Force</i>. 

		(Photo: AFP)
L'administrateur américain de l'Irak, Paul Bremer, a quitté le pays le 28 juin dernier à bord d'un avion de l'US Air Force.
(Photo: AFP)
Arrivé le 12 mai 2003 dans un pays fraîchement libéré de la dictature de Saddam Hussein, le proconsul américain Paul Bremer a quitté lundi, presque en catimini, l’Irak après avoir remis dans toutes les apparences de la précipitation le pouvoir au gouvernement d’Iyad Allaoui. Accueilli en sauveur après la brève et calamiteuse gestion du général Jay Garner, ce diplomate néo-conservateur est malgré tout très vite devenu pour bon nombre d’Irakiens le symbole de l’oppression américaine au point de se voir affublé du sobriquet de «Saddam Bremer». Il est vrai que les 414 jours durant lesquels il a présidé aux destinées de l’Irak ont été jalonnés de décisions souvent contre-productives, voire dangereuses pour l’avenir du pays.

Conseillé par les faucons du Pentagone, eux-même largement à l’écoute d’une opposition irakienne pourtant coupée des réalités du pays, Paul Bremer a commis sa première grosse erreur en signant le décret de dissolution de l’armée de Saddam Hussein. Cette première décision, prise contre une institution qui n’avait guère opposé de résistance à l’invasion de l’Irak par les troupes de la coalition menées par les Etats-Unis, va d’entrée de jeu placer la mission de l’ambassadeur américain sous de mauvais auspices, participant largement à la ruine de ses ambitions de pacifier le pays. Car en privant plusieurs centaines de milliers de soldats de leur solde, Paul Bremer a jeté bon nombre d’entre eux dans les bras de la guérilla encore naissante à l’époque. Et pour couronner le tout, ce spécialiste du contre-terrorisme n’a en outre pas hésité à supprimer les services de renseignement de l’ancien régime, privant la coalition de toute source d’information sur la résistance irakienne. Un responsable du nouvel exécutif a d’ailleurs récemment avoué ne pas connaître le nom d’un seul chef de cette guérilla qui harcèle quotidiennement les forces de la coalition et s’attaque à tout ce qui symbolise le nouveau pouvoir.

Suivant les conseils d’Ahmed Chalabi –l’homme du Pentagone aujourd’hui tombé en disgrâce– l’ambassadeur Bremer a par ailleurs lancé une vaste campagne de «débaasification» au sein du service public irakien. Quelque 30 000 fonctionnaires ont ainsi été licenciés pour souvent le seul fait d’appartenir à l’ancien parti au pouvoir, mettant sérieusement à mal le fonctionnement de l’appareil d’Etat déjà fortement entamé par les pillages qui ont suivi la chute du régime de Saddam Hussein. Paul Bremer sera d’ailleurs contraint de faire marche-arrière quelques mois plus tard en réintégrant plus de 12 000 fonctionnaires baasistes qui selon la terminologie en vigueur n’avaient pas «de sang sur les mains». Cette mesure tardive ne contribuera toutefois pas à le rendre plus populaire auprès des Irakiens d’autant plus qu’au même moment l’administrateur américain prônait une riposte de grande ampleur contre la guérilla sunnite basée au nord de Bagdad. Les Marines, qui un mois durant feront le siège de la ville de Falloujah –il s’agissait officiellement de venger l’assassinat et la mutilation atroce de quatre agents de sécurité américains– ne parviendront pas à prendre la cité rebelle. Et les lourdes pertes subies par les populations civiles vont définitivement entacher l’image de Paul Bremer auprès des Irakiens.

Bremer laisse un arsenal juridique

Plus grave encore, l’homme chargé par le président Bush de pacifier l’Irak, condition indispensable pour la relance de l’économie et la reprise des investissements en particulier américains, va ouvrir un nouveau front en jetant dans la dissidence les partisans du chef rebelle chiite Moqtada al-Sadr. En fermant le journal de ce jeune imam, dont la diffusion était pourtant quasi-confidentielle, et en le déclarant hors-la-loi, l’ambassadeur américain a en effet renforcé sa légitimité auprès des populations chiites défavorisées. Et les villes saintes de Najaf et de Kerbala, qui jusque-là coexistaient de manière plutôt pacifique avec les troupes de la coalition, ont été le siège d’affrontements entre les forces d’occupation et les militants chiites radicaux, contribuant un peu plus au désordre général qui règne désormais en Irak.

La dégradation de la sécurité et donc l’incapacité de Paul Bremer à mater la résistance ont sans nul doute largement contribué à la volte-face américaine il y a quelques mois de transférer au plus vite le pouvoir aux Irakiens. Mais avant de quitter l’Irak, le proconsul a toutefois pris soin d’élaborer tout un corpus législatif dont le nouveau pouvoir aura le plus grand mal à se débarrasser. L’homme à l’éternel costume bleu marine, chaussé de bottes militaires, a en effet signé plus de cent décrets dont une majorité bride le nouveau gouvernement. Car si pour les Américains, ces textes sont censés représentés les bases de la démocratie et des institutions libérales, nombreux sont ceux qui estiment que l’Autorité de la coalition de Paul Bremer a largement outrepassé les limites accordées à une force occupante par la convention internationale de La Haye (1907). Ils dénoncent notamment le décret, signé samedi dernier, quarante-huit heures avant son départ par l’administrateur américain, qui met les travailleurs étrangers à l’abri des lois irakiennes le temps de leur mission dans le pays ou encore celui empêchant certains candidats de se présenter aux futures élections.

Alors que la légitimité du nouvel exécutif irakien dépend largement de sa capacité à s’émanciper de la tutelle américaine, l’arsenal législative concocté par Paul Bremer risque d’être un poids pour le nouveau pouvoir de Bagdad.

par Mounia  Daoudi

Article publié le 29/06/2004 Dernière mise à jour le 29/06/2004 à 15:51 TU

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Journaliste, envoyée spéciale de RFI à Badgad

[29/06/2004]

Kais Alazawi

Porte parole du mouvement socialiste arabe et rédacteur en chef du journal irakien «Al Jareda»

«Le gouvernement Allaoui sera légitime quand il sera élu par la population.»

[29/06/2004]

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