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Patrimoine

L’Ivoire dans tous ses états

Vierge à l'Enfant, (vers 1260-1270), ivoire d'éléphant. Musée du Louvre, département des Objets d'art. 

		©Musée du Louvre
Vierge à l'Enfant, (vers 1260-1270), ivoire d'éléphant. Musée du Louvre, département des Objets d'art.
©Musée du Louvre
L’exposition, petite mais de belle qualité, présente l’essentiel des chefs d’œuvre en ivoire du grand musée parisien. Le but est de sensibiliser le visiteur aux techniques de travail de ce matériau, tout en soulignant «la continuité des savoir-faire depuis la plus haute antiquité jusqu’au XIXe siècle».

Première d’une série d’expositions consacrées aux «dessous» de la création, celle sur les Ivoires retrace l’histoire du travail de ce matériau, et des créations auxquelles il a donné lieu depuis l’Egypte et l’Orient ancien jusqu’aux Temps modernes. Le visiteur est tout de suite avisé de la nuance à établir entre ivoire et ivoires: «Avec l’ivoire, il s’agit d’abord de matière. Puis, une fois qu’il est ouvré, que des objets en sont tirés, il s’agit de formes et ce sont des ivoires. Le passage du singulier ivoire au pluriel ivoires, accompagne et marque bien le passage du monde de la matière à l’univers des formes», souligne François Poplin, maître de conférences (Laboratoire d’anatomie comparée, Museum national d’Histoire naturelle).

Qu’ils soient simplement décoratifs ou à vocation utilitaire, la liste des objets présentée est extrêmement longue et non exhaustive: sont exposés des dés à jouer, dé à coudre, figurines, statuettes, amulettes pendentifs, appliques de meubles, manches de miroir, tête d’épingle, tablettes à écrire, olifant, boîte à fards ou étui à kohol, bras de croix, ustensiles domestiques comme cuiller ou couteau, coffret, fuseau avec sa fusaïole, bouterolle de poignard … Tous ces objets ont en commun un travail d’une précision et d’un raffinement extraordinaires.

Autre précision faite dès l’entrée de la visite: il existe plusieurs qualités d’ivoire. «Dans cette conception si profondément ancrée qu’elle s’exprime dans le langage, l’ivoire - matière semble unique; il apparaît comme une espèce en soi, pure de tout mélange, comme l’or ; (…) et laisser entendre qu’il existe plusieurs variétés d’ivoire comme il y a différentes essences de bois est presque inconvenant. L’ivoire fait l’objet d’une idéalisation. On ne veut pas connaître sa pluralité». Pourtant, c’est un large éventail de matériaux qui sont utilisés. Tous les supports ont été appréciés pour leur beauté, travaillés, et magnifiés par les artistes depuis la nuit des temps et sur les cinq continents: «Les chasseurs paléolithiques en ont tiré des armes, des outils, des objets de parure. En Egypte, au Proche Orient ancien, en Grèce comme à Rome, ils ont servi à faire des œuvres destinées aux élites; leur décor illustre les idéologies, l’affirmation du pouvoir royal, la profession de croyances», explique Henri Loyrette, président directeur du musée du Louvre.

La première salle est consacrée à la nature des ivoires. Leur taille, leur forme et leur couleur sont autant de contraintes : «la présence de la cavité [dans la corne ou dans la défense], la forme et le volume de chaque type de défense brident la liberté de l’artiste qui devra négocier, non pas avec une matière amorphe, comme le serait l’argile, mais avec un matériau ayant une personnalité propre et qui lui présente un véritable défi», expliquent les commissaires à l’exposition. Il existe des ivoires d’origine d’espèces animales terrestres, et d’autres d’espèces animales maritimes comme le cachalot, le morse, le narval (mammifère des mers arctiques) ou le dugong (vulgairement appelé vache maritime).


Maîtresse des animaux, couvercle de boîte à fards en ivoire d'éléphant, Ougarit (Syrie), 
XIIIe siècle avant J.-C., musée du Louvre. 

		© R.M.N
Maîtresse des animaux, couvercle de boîte à fards en ivoire d'éléphant, Ougarit (Syrie), XIIIe siècle avant J.-C., musée du Louvre.
© R.M.N

Chaque sorte d'ivoire dicte ses contraintes

Mais il faut ajouter à ces ivoires bien d’autres matières dures d’origine, elles aussi, animales comme l’os, la coquille, l’écaille et le corail. C’est ainsi qu’une paire de défenses d’éléphant montée, est présentée aux côtés d’une défense de narval, d’une défense de sanglier, d’un morceau de crâne et de dents d’hippopotame, de bois de cervidés, d’une dent enchâssée de cachalot, ou bien encore de coquilles de mollusques.

 

Le travail de tel ou tel matériau est donc fonction des lieux et des époques -l’ivoire de mammouth n’intéresse par exemple que les périodes paléolithiques: tout dépend de la présence locale ou non de l’espèce animale concernée, et des échanges établis entre telle et telle contrée. Ainsi, «le commerce maritime en Méditerranée et le mouvement d’expansion des Phéniciens, puis des colonies grecques ont produit le ‘phénomène orientalisant’ qui diffuse jusque en Italie et en Espagne des formes décoratives métissant des traditions grecques et orientales» soulignent les commissaires à l’exposition, Annie Caubet et Danièle Gaborit-Chopin.

 

Là où s’épanouit une civilisation palatiale, les arts de luxe deviennent florissants:  les coquilles d’œuf d’autruche, les nacres, les écailles, les coraux ont été largement sollicités par les artisans pour leur beauté et leur caractère exotique, pour leur rareté et leur préciosité, dans l’art de l’Orient ancien, mais aussi en Europe dès la période médiévale, puis à la Renaissance et avec de plus en plus de succès de la Renaissance à nos jours. Avec les grandes découvertes, les voyages et les échanges entre les contrées, les rois les princes et les personnes fortunées ont incontestablement contribué à la circulation de ces matériaux recherchés pour leur beauté, et à l’essor de l’orfèvrerie et du travail d’art.

 

Les autres salles présentent un panorama des créations à travers les âges. Les pratiques culturelles ont divergé selon les périodes historiques. Depuis le milieu du IVe millénaire et durant tout le IIIe millénaire, on distingue deux pratiques culturelles bien différentes en ce qui concerne l’emploi des matériaux d’origine: à titre d’exemple, «au Levant sud, la tradition de l’ivoire d’hippopotame est marquée par l’apparition des premières cités, tandis qu’à la même époque, en Mésopotamie, en Syrie intérieure et en Iran du Sud-ouest, c’est le travail de coquille marine qui domine»; ce sont alors les flancs des grands gastéropodes qui sont découpés pour obtenir les éléments bombés sculptés en bas-relief.

 

Outre la virtuosité technique remarquable, tous ces ivoires, combinés ou non à d’autres matériaux comme le bronze, les pierres précieuses, le bois, le fil d’étain, le corail ou l’écaille de tortue, apportent d’autres renseignements, relatifs aux brassages culturels, aux métissages des sensibilités. Ainsi, au Xe siècle, dans le monde islamique médiéval, on voit apparaître une floraison éblouissante de décors où domine le végétal qui s’organisent en médaillons sur des boîtes ; les œuvres du Bas-Empire «sont encore ancrées dans la tradition de l’Antiquité classique (…) avec un système d’incrustations de perles ou d’éléments colorés qui persistera jusqu’à l’époque romane». En ce qui concerne la Perse et la Grèce, «après la conquête d’Alexandre, l’ouverture de l’Inde favorise l’épanouissement de l’ivoirerie dans les royaumes hellénisés d’Asie, tandis que l’os prédomine en Méditerranée».

 

Si l’exposition rassemble de forts jolies pièces, on peut toutefois regretter que l’annonce d’universalité du travail de ce matériau ne soit pas représentée. L’Extrême –Orient est absent de l’exposition, essentiellement centrée sur l’Egypte, l’Orient, la Perse, la Grèce, Rome, Byzance. L’expression plus tardive est par ailleurs proportionnellement allusive. Le visiteur gourmand aurait souhaité voir plus d’œuvres contemporaines même s’il repart fasciné par la finesse d’exécution de l’éventail de Louis XVI rétablissant le Parlement (1774) , et par le Saint-Michel terrassant les démons d’un sculpteur germanique actif à Naples ( ?),  ébloui par la délicatesse de Mademoiselle Rachel (de Jean-Auguste Barre, 1811-1896)-une œuvre en ivoire d’éléphant et bronze doré-, celle du médaillon de Sarah Bernardt (René Lalique, 1896), et celle de Salammbô chez Mathô, je t’aime, je t’aime  (Théodore Rivière, 1895).

 

www.louvre.fr

par Dominique  Raizon

Article publié le 17/07/2004 Dernière mise à jour le 17/07/2004 à 09:21 TU