Liban
Le Sud s’embrase après l’assassinat d’un cadre du Hezbollah
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Beyrouth
En l’espace de 24 heures, tous les mauvais souvenirs des Libanais ont brusquement resurgi. Le vrombissement des chasseurs-bombardiers israéliens volant à basse altitude, les terrifiants «bangs» provoqués par les avions franchissant le mur du son, les duels d’artillerie, qu’ils croyaient avoir oubliés, ont refait leur apparition dans leur quotidien.
Tout a commencé lundi matin lorsqu’un haut responsable militaire du parti islamiste est tué dans l’explosion de sa voiture. L’assassinat de Ghaleb Mohammed Awali est un revers d’autant plus grave pour le Hezbollah qu’il s’est produit au cœur même de la banlieue sud de Beyrouth, fief réputé imprenable et impénétrable de la formation proche de la Syrie et de l’Iran. Et ce n’est pas tout. Awali, âgé de 41 ans, était certes un cadre supérieur de la formation, mais il ne faisait partie d’aucun organigramme. Sa mission était entourée du plus grand secret. Il occupait la fonction d’officier de liaison entre le Hezbollah et les Brigades d’Al-Aqsa, proches du Fatah de Yasser Arafat et d’autres organisations palestiniennes.
Très prudent de nature, il inspectait soigneusement sa voiture tous les matins avant d’y prendre place. Visiblement, les auteurs de l’attentat l’avaient soigneusement surveillé, bien qu’il ne soit installé dans ce nouvel appartement que depuis trois semaines. C’est sans doute pour cette raison qu’ils ont actionné l’explosion à distance avant qu’il ne commence son inspection quotidienne. C’est un travail de professionnels.
Nasrallah accuse Israël
Avant même d’attendre les résultats de l’enquête, le chef du Hezbollah a immédiatement accusé Israël d’être derrière l’attentat et, à Beyrouth, personne n’a pris au sérieux la revendication signée d’une obscure organisation intégriste sunnite, «Jund el-Cham», qui vient tout juste de faire son apparition dans le camp palestinien d’Ain el-Héloué (à 45 kilomètres au sud de Beyrouth). Selon cheikh Hassan Nasrallah, l’attentat porte sans l’ombre d’un doute l’empreinte de l’Etat hébreu. D’abord, de par le choix de la cible : un cadre militaire chargé de la coordination avec l’Intifada palestinienne. Ensuite, de par la méthode choisie : il y a à peu près un an, un autre responsable du Hezbollah, Ali Saleh, également officier de liaison avec les Brigades d’Al-Aqsa, était tué de la même manière, presque dans la même région.
Enfin, l’Etat hébreu n’a jamais caché son intention de liquider physiquement les chefs de la formation islamiste dans le cadre des guerres secrète et déclarée que se livrent les deux parties. Il y a une semaine à peine, le Hezbollah annonçait le démantèlement d’un réseau d’agents pro-israéliens au Sud-Liban. Le quotidien israélien Haaretz, lui, écrivait que le parti chiite essayait d’introduire des armes à destination des organisations palestiniennes en Cisjordanie via la Jordanie.
Couverture politique?
La mort de Ghaleb Awali est une grosse perte pour le Hezbollah. Il suffisait de voir un Hassan Nasrallah furieux, quelques heures après l’assassinat, pour s’en laisser convaincre. Le chef du Hezbollah a non seulement accusé Israël d’être derrière l’attentat, mais il a dénoncé sans les nommer certains hommes politiques et «chefs religieux» libanais de «couvrir les agents pro-israéliens», notamment en intervenant auprès du tribunal militaire pour obtenir un allègement des peines. Nasrallah, qui s’exprimait devant des milliers de partisans lors des funérailles d’Awali, a juré que l’assassinat du responsable militaire ne resterait pas impuni.
Quelques heures plus tard, le Sud-Liban s’embrasait. Un échange de tirs entre hélicoptères et tanks israéliens et des positions du Hezbollah a provoqué la mort de deux soldats israéliens et d'un combattant du parti chiite. Deux hélicoptères ont tiré des roquettes sur des positions du Hezbollah, près du village de Aïta Chaab, à 250 mètres de la frontière. Un char israélien a également fait feu, dans la même zone, tuant un combattant du Hezbollah. Le duel d’artillerie a duré plusieurs heures. Lors des affrontements, deux militaires israéliens ont été tués par les tirs d’un franc-tireur. En début de soirée des avions israéliens ont franchi le mur du son au-dessus de Beyrouth et d'une base d'un mouvement palestinien sur les collines de Naamé, à environ huit kilomètres au sud de la capitale.
En procédant à cette escalade, le Hezbollah a voulu redonner confiance à sa base et à ses militants, affectés par l’assassinat dans leur principal fief de l’un de leurs cadres supérieurs. Mais le parti sait pertinemment que la mort de deux militaires israéliens ne remplace pas la perte de Ghaleb Awali. «La vraie riposte viendra ailleurs et en temps voulu», a déclaré à RFI une source responsable de la formation islamiste. C’est peut-être pour dissuader le parti de recourir à une escalade qualitative que le chef de la région nord d’Israël a haussé le ton. «Nous assènerons à Damas une frappe douloureuse», a-t-il dit. Devant la gravité de la situation, Washington est intervenue appelant toutes les parties à la retenue. L’ouverture d’un nouveau front au Proche-Orient, après celui de l’Irak, embarrasserait une administration américaine en pleine campagne électorale.
par Paul Khalifeh
Article publié le 21/07/2004 Dernière mise à jour le 21/07/2004 à 10:11 TU