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Burundi

Dar Es Salaam contourne l’obstacle

Le 17 août 2004, le personnel de l'ONU recouvre la fosse commune où sont inhumés les quelque 160 morts de Gatumba. 

		(Photo : AFP)
Le 17 août 2004, le personnel de l'ONU recouvre la fosse commune où sont inhumés les quelque 160 morts de Gatumba.
(Photo : AFP)
Le 18 août, à Dar Es Salaam, les présidents sud-africain (Thabo Mbeki), zambien (Levi Mwanawasa), mozambicain (Joachim Chissano), tanzanien (Benjamin Mkapa), et même le Congolais, Joseph Kabila, ont contresigné, avec le président hutu de la transition burundaise, Domitien Ndayizeye, l’accord de partage du pouvoir rejeté le 6 août dernier par les formations politiques qui se réclament de la communauté tutsi et par la rébellion des Forces nationales de libération (FNL). Celle-ci a revendiqué le 13 août le massacre des Congolais banyamulenge réfugiés dans le camp burundais de Gatumba et les six chefs d’Etat l’ont exclue du jeu politique, comme «organisation terroriste». Ils ont annoncé un calendrier pour mettre la transition burundaise sur le rail électoral, tandis que le Conseil de sécurité des Nations unies convoquait une réunion d’urgence en réponse aux nouvelles menaces d’embrasement régional.

Avec Gatumba en filigrane, les six réunis à Dar Es Salaam ont «décidé de qualifier le Palipehutu-FNL d'organisation terroriste»Et cela, explique le communiqué final «à la lumière du récent incident, de son refus d'arrêter la violence et de se joindre activement au processus de paix». Des mesures conjointes de rétorsion contre la dernière rébellion burundaise sont en discussion dans la région. De son côté, l’Onu a annulé ses rendez-vous de médiation avec les FN. Celles-ci tentent de faire croire, dans un communiqué publié le 15 août, que les Banyamulenge assassinés dans le camp de réfugiés de Gatumba seraient morts, en quelque sorte au combat, femmes et enfants brûlés compris, après s’être «transformés en une armée de secours aux militaires burundais» cible de l’offensive rebelle . Cette thèse révèle surtout une rébellion politiquement invertébrée. Mais rien sinon l’impotence internationale ne devrait pour autant lui éviter des représailles, sinon militaires, au moins politiques et policières.

«Compromis approprié»

Bujumbura a lancé hier un mandat d’arrêt international aux trousses du chef des FNL, Agathon Rwasa, et de leur porte-parole, Pasteur Habimana. Les FNL et leur branche politique du Palipehutu (Parti pour la libération du peuple hutu) mises au ban du partage du pouvoir inter burundais, les six ont approuvé le texte présenté à Pretoria le 6 août dernier, estimant qu’il «constitue un compromis approprié…pour assurer l'équilibre ethnique». Il n’en a pas moins été rejeté une fois de plus par l’ancien parti unique, l’Uprona du major Buyoya, par la formation politique de l’ancien président Jean-Baptiste Bagaza, comme par l’ensemble du G10 (groupe des dix), se réclamant de la défense des intérêts tutsi. Comme tous les autres acteurs politico-militaires des conflits des Grands lacs, le G10 est d’ailleurs immédiatement monté au créneau de Gatumba. Un communiqué marquant les actes de génocide comme une occasion de dénoncer le partage du pouvoir consacré à Dar Es Salaam. Pour sa part, l’ancienne rébellion armée du Conseil national de défense de la République (CNDD) était absente de Pretoria le 6 août.

Les principaux partis burundais ne sont pas «ethniquement» homogènes. En perte de vitesse politique, l’Uprona et ses satellites se déclarent néanmoins aujourd’hui tutsi. Ils exigent que les Tutsi appartenant aux formations adverses (pas si Hutu que cela donc) ne soient pas comptabilisés dans les 40% attribués aux Tutsi par l‘accord de partage ethnique du pouvoir. Passant outre ces revendications, Dar Es Salaam a décidé que «les dispositions de l'accord» du 6 août seront «incorporées dans la constitution du Burundi», qui doit théoriquement entrer en vigueur le 1er novembre, à l’issue de la transition. «Une commission électorale indépendante doit être mise en place d'ici le 29 août», poursuit le communiqué final de Dar Es Salaam qui précise que trois semaines plus tard, soit le 19 septembre, «l'Assemblée nationale du Burundi doit s'entendre sur le projet de constitution».

Aménagements de procédure

Les premiers scrutins, communaux et parlementaires devraient être programmés avant le 31 octobre. Mais entre temps, des aménagements de procédure et peut-être de calendrier sont dûment prévus. A défaut des députés, c’est le président Ndayizeye qui pourrait «signer le projet de constitution pour le soumettre à référendum ou à la commission de suivi» qui veille à l’application de l’accord de paix signé en août 2000 à Arusha (Tanzanie). En quatre ans, les protagonistes du conflit burundais ne sont toutefois encore jamais parvenus à s’entendre définitivement. L’avenir du Burundi reste hypothéqué et le massacre de Gatumba vient de relancer la foire d’empoigne régionale.

Consacré à Dar Es Salaam comme le bon élève de la transition burundaise, le président Ndayizeye a vu une coalition entre FNL, rebelles rwandais et Maï-Maï congolais à Gatumba. Bujumbura menace d’intervenir militairement en RDC. Kigali aussi qui dénonce une opération des soldats et miliciens de l’ancien régime. De son côté, Azarias Ruberwa, le chef politique de l’ancienne rébellion congolaise du rassemblement pour la démocratie au Congo (RCD) demande l’arrêt de la transition où il occupe l’une des quatre vice-présidences de Joseph Kabila. Ce faisant, il tente de restaurer son autorité à Goma où il avait perdu la main face à la hiérarchie militaire du RCD. Et s’il était besoin de surenchérir, le 17 août, l’un des chefs des soldats dissidents qui se sont illustrés à Bukavu en mai et juin dernier, le général Laurent Nkunda, menace «dans les jours prochains» d’agir en sorte que Joseph Kabila «débarrasse le plancher».

On pourrait ajouter parmi les très nombreux effets négatifs de Gatumba la cristallisation de l’image de Tutsi fauteurs de guerre au Congo plus que jamais accolée aux Banyamulenge par des commentaires qui réduisent les conflits des Grands lacs à une présumée rivalité «ancestrale» entre Hutu et Tutsi. En tout cas, l’attaque qui les a frappé le 13 août avait des allures de «coup». Dès onze heures du soir, certains habitants d’Uvira (côté Congo) étaient au courant. Un témoin rapporte que la fusillade s’entendait de très loin. Elle a duré plus de deux heures sans que ni l'armée burundaise, ni aucun autre secours ne viennent dans cette périphérie de la capitale burundaise. A Gatumba même, un survivant raconte comment les assaillants sont partis dès lors qu’ils ont eu tué tous ceux qui étaient à leur portée dans cette partie de l’immense camp occupée par de Congolais banyamulenge, mais aussi bafulero ou babembe, le reste étant peuplé de nombreux anciens réfugiés burundais de Tanzanie.

«Eteindre le feu attisé au Congo»

Ils n’avaient pas d’uniforme, souvent des vieux manteaux, assure ce même témoin qui les a entendu s’inquiéter d’être reconnus, lui-même faisant le mort. Visiblement, ils n’étaient pas venu piller, explique-t-il. Ils sont partis vers minuit et demi comme ils sont venus. Le lendemain, le survivant a suivi leur piste, à travers les marécages qui séparent Gatumba de la frontière congolaise, à quatre kilomètres de là. De l’autre côté, en RDC, commencent des pâturages, autour de la localité essentiellement bafulero de Kahororo. Dans ce terrain découvert commande le chef maï-maï Nakabaka. Il dirige l’une des quatre brigade de la nouvelle armée nationale congolaise basée à Uvira. Les trois autres commandants militaires sont issus de la mouvance Kabila, du RCD et de l’armée du munyamulenge Masunzu.

Au Congo, chacun se perd en conjectures sur les auteurs et les mobiles du massacre. Mais, «il est urgent d'éteindre le feu attisé en ce moment à l'est du Congo et dans la région», déclare l’Onu. Les transitions burundaises et congolaises sont en effet menacées. Le Conseil de sécurité en discutera jeudi.



par Monique  Mas

Article publié le 19/08/2004 Dernière mise à jour le 19/08/2004 à 15:34 TU

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Jean-Marie Guéhenno

Secrétaire général adjoint de l'ONU

«La communauté internationale a une responsabilité face à la tragédie des Grands Lacs.»

[19/08/2004]

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