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Menacés, les humanitaires fuient Bagdad

La dégradation de la situation sécuritaire en Irak a provoqué le départ de nombreuses organisations humanitaires. 

		(Photo : AFP)
La dégradation de la situation sécuritaire en Irak a provoqué le départ de nombreuses organisations humanitaires.
(Photo : AFP)
Le rapt de deux Italiennes, enlevées en pleine journée dans les bureaux de Bagdad de l’organisation non-gouvernementale qui les employait, a eu un effet dévastateur sur la petite communauté des expatriés travaillant dans le domaine humanitaire en Irak. La dégradation ces derniers mois de la situation sécuritaire à travers tout le pays avait déjà réduit considérablement la présence de ces volontaires. Aujourd’hui les rares ONG opérant encore sur le territoire irakien et principalement à Bagdad envisagent sérieusement de quitter le pays, laissant derrière elles une population qui plus que jamais a besoin de leur soutien.

Impossible de joindre depuis mardi les volontaires travaillant pour les organisations humanitaires internationales en Irak. Le rapt de Simona Torretta et Simona Pari, les deux animatrices de l’association Un pont pour Bagdad, a en effet déclenché un vent de panique sans précédent dans le petit milieu des expatriés qui jusque-là avaient refusé de céder à la peur et quitter le pays. Un homme, Jean-Dominique Bunel, le coordinateur des ONG internationales en Irak, est seul habilité à parler en leur nom. Justifiant leur silence pour des raisons de sécurité, il explique que l’audace des ravisseurs, qui ont opéré en plein jour dans un quartier considéré comme sûr –le bâtiment qui abrite plusieurs sièges d’organisations humanitaires est situé à quelques pâtés de maisons du ministère de l’Intérieur– a provoqué un profond traumatisme chez les humanitaires. «Nous avons été frappés par le sang-froid de ces gens qui avaient parfaitement préparé leur coup en repérant les lieux», a-t-il notamment déclaré. L’opération, ont confirmé plusieurs témoins, n’a en effet duré guère plus de cinq minutes.

Malgré le départ de Bagdad, il y a un peu plus d’un an, des Nations unies et de la Croix-Rouge internationale –toutes deux victimes d’attentats suicide meurtriers qui avaient notamment coûté la vie à l’envoyé spécial de Kofi Annan, le Brésilien Sergio Vieira de Mello– une cinquantaine d’ONG «comptant au moins un expatrié» ont maintenu leur présence en Irak. Il s’agit essentiellement d’associations d’inspiration pacifiste, de la mouvance altermondialiste, qui s’estimaient jusque-là protégées en raison de leurs positions hostiles à la guerre contre le régime de Saddam Hussein. Souvent implantées dans le pays depuis plusieurs années avec au départ l’objectif affiché de tenter d’atténuer les conséquences de l’embargo imposé par l’ONU après l’invasion du Koweït, ces ONG pilotaient un grand nombre de projet de reconstruction dans des domaines aussi variés que la santé, l’éducation ou encore la dépuration de l’eau et la réhabilitation de l’agriculture. Très appréciée de la population, leur action est souvent jugée plus efficace que celle des structures officielles et des entreprises privées trop dépendantes du financement américain.

Un dangereux mélange des genres

Dans ce contexte, et pour des extrémistes qui cherchent par tous les moyens à instaurer le chaos en Irak, ces ONG ne pouvaient que représenter des cibles de choix. L’opération de mardi, au cours de laquelle deux Irakiens ont également été enlevés, a donc sonné le glas pour l’action des rares humanitaires encore présents à Bagdad qui s’estiment désormais en très grand danger. Leur coordinateur, Jean-Dominique Bunel, a d’ailleurs confirmé que «la majorité de ces ONG se préparaient à quitter l’Irak». Impuissantes, les autorités irakiennes se sont contentées de dénoncer «une escalade dangereuse». «Le fait que cet enlèvement se soit produit dans Bagdad signifie que d’autres opérations de ce genre sont susceptibles de se produire partout en Irak», a même reconnu un porte-parole du ministère de l’Intérieur qui s’est déclaré inquiet des conséquences que cela pourrait avoir sur le plan politique et économique. «Le ministère y accorde une importance extrême», a-t-il insisté.

Ce repli des ONG d’Irak ne fait que confirmer la difficulté aujourd’hui pour les humanitaires de travailler dans des zones de conflit. Cibles désignées des Taliban en Afghanistan, plusieurs de ces associations, parmi lesquels Médecins sans frontières, ont dû déserter le pays après plusieurs décennies de présence, abandonnant des populations dans le besoin à leur sort. C’est également le cas dans plusieurs pays du Caucase où les enlèvements de volontaires et les attaques répétées dirigées contre les employés locaux de ces organisations ont justifié le départ des humanitaires.

Cette dégradation des conditions de travail trouve son origine dans l’amalgame qui est désormais fait entre militaire et humanitaire dans l’esprit de nombreuses personnes. Plusieurs ONG dénoncent ainsi depuis des années ce qu’elles qualifient de «dangereux mélange des genres» consécutif, selon elles, aux méthodes employées par les forces militaires dans plusieurs zones de conflit et qui consistent à faire du chantage à l’aide. Ainsi en Afghanistan, l’armée américaine n’a pas hésité à distribuer des tracts dans le sud du pays demandant à la population de communiquer des informations relatives aux Taliban et à al-Qaïda afin de pouvoir «continuer à recevoir de l’aide humanitaire». Ce genre de méthode a fini par entacher le travail des ONG qui sont désormais perçues, que ce soit en Afghanistan ou en Irak, comme servant les ambitions des régimes mis en place par les forces d’occupation américaines et leurs alliés. Dans certains cas, leurs détracteurs n’hésitent pas à les accuser de «faire de l’espionnage, d’être corrompues et de ne pas faire leur travail». Ce qui équivaut ni plus ni moins à une condamnation à mort. 



par Mounia  Daoudi

Article publié le 09/09/2004 Dernière mise à jour le 09/09/2004 à 15:18 TU

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Rony Brauman

Ancien président de Médecins sans frontières

«Le faite d'être -ne serait-ce que symboliquement- tributaire des forces de la coalition, c'est-à-dire des forces d'occupation, vous range mécaniquement dans la situation d'occupant. Même si c'est la dernière chose que vous souhaitez.»

[09/09/2004]

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