Justice
Juppé joue sa carrière politique en appel
(Photo : AFP)
Alain Juppé n’a certainement pas digéré sa condamnation en première instance. Mais il a, semble-t-il, pris le recul nécessaire pour aborder le procès en appel qui s’ouvre aujourd’hui avec sérénité. Et pourtant, il joue gros. Car si les juges de la cour d’appel de Versailles qui vont examiner sa requête confirment ou aggravent sa condamnation, c’en est fini pour lui de la vie politique. Il lui faudra abandonner tous ses mandats, y compris celui de maire de Bordeaux qu’il a tenu à conserver jusqu’à la décision finale, alors qu’il a renoncé dès juillet à la présidence de l’UMP, et annoncé l’abandon de son siège de député de Gironde avant la rentrée parlementaire. Comme pour faire place nette avant l’examen de son appel.
L’état d’esprit et la pugnacité d’Alain Juppé font aujourd’hui l’objet de beaucoup d’attention. Et pour cause, lui qui était apparu «arrogant» lors du procès en première instance a tout intérêt à changer de stratégie de défense devant ses nouveaux juges, s’il veut obtenir un allègement de sa condamnation. L’arrivée à ses côtés d’un nouveau défenseur, maître Jean-René Farthouat, est d’ailleurs un signe du désir d’Alain Juppé de tirer les enseignements de la douloureuse expérience vécue en janvier dernier, au terme de laquelle les juges avaient eu des mots très durs pour justifier leur décision de le condamner à 18 mois de prison avec sursis et, du coup, de le radier des listes électorales pour 5 ans et de le rendre inéligible pour 10 ans. Ils avaient, par exemple, estimé qu’Alain Juppé «investi d’un mandat électif, avait trompé la confiance du peuple souverain».
«Des erreurs, voire des fautes par négligence»
L’un des principaux reproches formulés à l’égard de l’ancien président de l’UMP portait sur son refus d’admettre les faits concernant les emplois fictifs de la mairie de Paris, alors que ses proches, comme Yves Cabana, son directeur de cabinet de 1988 à 1991, avaient affirmé que «tout le monde» connaissait l’existence de ce système au RPR, l'ancien parti chiraquien. Alain Juppé et ses défenseurs vont donc tenter de convaincre les magistrats de la cour d’appel de la bonne foi de l’ancien Premier ministre qui affirme que les sept personnes rémunérées par la mairie de Paris, en question dans l’affaire, travaillaient bien pour la ville, même si elles étaient physiquement présentes au siège du parti chiraquien. Alain Juppé, à l’époque des faits à la fois secrétaire général du RPR et adjoint aux Finances de la mairie de Paris, donc en première ligne, devrait ainsi maintenir ses affirmations mais en adoptant un profil bas. C’est-à-dire en donnant toutes les explications que les juges lui demanderont dans le but de les persuader qu’il a peut-être commis des «erreurs, voire des fautes par négligence» mais sans «intention de violer les lois de la République». Une manière d’affirmer que ses actes ne méritaient pas une sanction aussi dure que celle qui a été prononcée en première instance.
La tâche des défenseurs d’Alain Juppé ne sera pas facile. Car ils auront en face d’eux une équipe de magistrats rompus aux affaires politico-financières dirigée par Martine Ract-Madoux, qui n’est pas réputée pour sa clémence. C’est d’ailleurs devant sa cour que l’une des cinq personnes qui comparaissent en même temps qu’Alain Juppé, Louise-Yvonne Casetta, a été condamnée en appel en 2001 dans une autre affaire concernant le financement du RPR, alors qu’elle avait été relaxée en première instance. Même si le risque que la peine infligée à Alain Juppé en janvier dernier, qui avait été jugée sévère, soit alourdie est minime, il existe donc. Malgré tout, l’ancien Premier ministre peut espérer un jugement plus favorable. Dans ce cas, plusieurs hypothèses sont envisageables. Les juges peuvent décider de ne pas inscrire la peine au casier judiciaire d’Alain Juppé. Il ne serait alors ni radié des listes électorales, ni inéligible. La cour peut aussi choisir de prononcer une peine d’inéligibilité temporaire, de deux ans par exemple, comme cela avait été le cas pour Henri Emmanuelli condamné dans l’affaire Urba sur le financement du Parti socialiste. Même si les juges ont aussi la possibilité d’accorder une relaxe, qui laverait l'honneur d'Alain Juppé qu'il juge souillé, cette hypothèse semble tout de même la moins probable.
Et si Juppé revenait ?
Le procès en appel s’ouvre tout de même sous des auspices plus favorables que prévu. Car l’affaire des écoutes et des tentatives de pression supposées sur les magistrats chargés du procès en première instance, qui avait provoqué à l’époque une vive polémique, est aujourd’hui apaisée. Les enquêtes menées pour déterminer si les fouilles et les mises sur écoutes dénoncées par les magistrats avaient influencé le jugement, ont conclu que ce n’était pas le cas. La mission d’enquête administrative et le Conseil supérieur de la magistrature ont expliqué qu’à supposer que les faits (écoutes, fouilles de bureaux) soient établis, il n’y avait eu, au plus, qu’une tentative pour avoir les éléments du jugement par anticipation et non des pressions sur les magistrats. Une troisième enquête, judiciaire, se poursuit. Mais aucun élément ne semble être de nature à la faire aboutir à une conclusion différente.
Le jugement qui sera rendu le 29 octobre par la cour d’appel de Versailles est donc très attendu. Par Alain Juppé, évidemment, puisque son avenir en dépend. Mais aussi par la classe politique française et surtout par ses amis de l’UMP. Car le premier choc du risque d’inéligibilité passé, et maintenant que toutes les dispositions ont été prises pour gérer son éventuel retrait de la vie politique, notamment en ouvrant la voix à l’arrivée à la tête de l’UMP de son frère ennemi de la chiraquie, l’actuel ministre des Finances, Nicolas Sarkozy, un jugement qui rendrait possible un retour au premier plan d’Alain Juppé ne serait pas sans provoquer quelques nouveaux bouleversements. Par exemple, dans la hiérarchie des ministrables et des présidentiables.par Valérie Gas
Article publié le 13/10/2004 Dernière mise à jour le 13/10/2004 à 15:48 TU