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Politique française

Alain Juppé condamné

Le président du parti présidentiel Union pour un Mouvement Populaire (UMP) a été condamné en début d’après-midi par le tribunal de Nanterre à 18 mois de prison avec sursis pour «prise illégale d’intérêt». Ce jugement provoquerait son inéligibilité si son avocat n’avait annoncé son intention de faire appel, décision qui entraîne la suspension du jugement. Il faudra donc attendre l'issue du procès en appel pour connaître l’avenir politique de celui qui passe pour le «dauphin» de Jacques Chirac.
Le condamné n’a fait aucune déclaration à l’énoncé du jugement, accueilli dans un silence impressionnant, vendredi au tribunal de Nanterre. Il a quitté la salle d’audience, le visage fermé. Dès l’annonce de la condamnation d’Alain Juppé, les commentateurs de la vie politique française s’accordaient pour souligner la sévérité du jugement. «Je la trouve blâmable», a commenté son avocat, maître Francis Szpiner.

En effet, le tribunal est allé au-delà des réquisitions du parquet qui avait réclamé huit mois de prison avec sursis, au mois d’octobre dernier. Celui-ci avait également demandé aux juges d’épargner l’inéligibilité à M. Juppé, estimant en substance que cette prise de sanction relevait davantage de la souveraineté du peuple français, dans les urnes, qu’à la justice.

Ce jugement porte un préjudice considérable à la carrière politique de celui qui était jusqu’à présent considéré comme l’héritier politique du président de la République, probable candidat à la succession de celui-ci en 2007. La condamnation d’Alain Juppé, inscrite au casier judiciaire, entraînerait son inéligibilité automatique pour une période de dix ans.

Cependant son avenir politique n’est pas encore joué en raison de l’appel interjeté par son avocat à l’issue de l’énoncé du jugement. L’appel est suspensif et ce n’est qu’à l’issue de l’arrêt de la cour d’appel, qui n’est pas attendu avant plusieurs mois, voire un an, que le président de l’UMP sera fixé sur ce point. M. Juppé avait annoncé qu’une condamnation entraînerait son retrait de la vie politique. En l’état du dossier, il conserve donc ses mandats de député et de maire de la ville de Bordeaux.

Alain Juppé a donc été reconnu coupable par le tribunal de Nanterre de «prise illégale d’intérêt» à la fois comme ex-secrétaire général du parti RPR (entre 1988 et 1995) et adjoint aux finances à la mairie de Paris (entre 1983 et 1995). Concrètement, il était accusé d’avoir financé sur les deniers publics de la mairie de Paris, dont il avait la charge, les salaires de sept permanents du parti présidentiel RPR (Rassemblement pour la République) entre 1988 et 1995.

La droite menacée de zizanie ?
Le tribunal est sévère. Il estime dans son jugement écrit que «la nature des faits commis est insupportable au corps social comme contraire à la volonté générale exprimée par la loi». Il souligne qu’«agissant ainsi, Alain Juppé a, alors qu’il était investi d’un mandat électif public, trompé la confiance du peuple souverain». «Les valeurs de la République et les valeurs du service public constituent le cœur de l’enseignement dispensé dans les grandes écoles de la République» et «Alain Juppé a précisément été formé dans celles-ci», notent les juges dans leurs attendus.

Dans cette affaire, M. Juppé paie chèrement une responsabilité partagée car il est de notoriété publique qu’il n’est qu’un maillon d’un système qui remonte au plus haut niveau de la hiérarchie du RPR, comme l’a démontré l’instruction et les témoignages recueillis auprès de ses quelque 26 co-inculpés dans cette affaire, dont 20 chefs d’entreprise, parmi lesquels 6 ont été relaxés. Un système «connu de tous» (au sein de la direction du RPR) avait expliqué son ex-directeur de cabinet, Yves Cabana, tandis que l’ex-banquière occulte du système en question, Yvonne Casetta (14 mois de prison avec sursis), avait déclaré l’avoir organisé sur les ordres de sa hiérarchie à la tête de laquelle on retrouve le maire de Paris et président du RPR à l’époque des faits, Jacques Chirac. En raison de l’immunité accordé au président de la République, ce dernier ne peut actuellement être entendu par la justice en dépit d’un document qui semble indiquer sa parfait connaissance du système qui prévalait dans l’attribution de rémunération fictive à des permanents de son parti par la mairie de Paris. L’année 2007, avec la fin du mandat présidentiel, pourrait apporter de nouveaux rebondissements.

Bien que cette affaire ne soit pas encore terminée, elle est déjà de nature à bouleverser l’échiquier politique français. La menace qui pèse sur le dauphin désigné du président Chirac, «le meilleur d’entre nous» selon ce dernier, va révéler des ambitions qui, jusqu’à présent, s’affichaient avec prudence au sein de son propre camp. On pense évidemment au turbulent ministre de l’Intérieur qui avouait récemment qu’il envisageait lui aussi d’accéder à la magistrature suprême. Profitant de la brèche ouverte par cet épisode, d’autres barons du gaullisme pourraient à leur tour manifester leurs légitimes prétentions.

De son côté l’opposition semble adopter un profil modeste et le commentaire était rare, vendredi. Non pas que la zizanie prévisible au sein de l’actuel principal parti de France ne soit pas de nature à la satisfaire, mais elle est a eu elle-même à affronter ses propres affaires de corruption et préfère vraisemblablement ne pas s’engager sur ce terrain pour le moins glissant.



par Georges  Abou

Article publié le 30/01/2004