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Politique française

L’«affaire» Juppé peut en cacher une autre

Alain Juppé fera savoir mardi soir les conséquences qu’il tire, pour son avenir politique, de sa condamnation dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris. Toutefois, les révélations de la présidente du tribunal de Nanterre qui l’a condamné, sur les pressions dont auraient fait l’objet les juges, ont ouvert un autre front dans cette crise politique.
Depuis vendredi, date à laquelle il a appris sa condamnation à 18 mois avec sursis et dix ans d’inéligibilité pour prise illégale d’intérêt dans l’affaire des emplois fictifs au RPR, au temps où il était secrétaire général du parti néo-gaulliste, Alain Juppé a beaucoup réfléchi. Il a fait savoir, avec quelque solennité, qu’il annoncerait mardi soir à la télévision s’il quitte ou non la vie politique, comme il s’y était engagé en cas de condamnation. Au sens strict de l’interprétation juridique, le président de l’UMP n’est pas tenu de quitter ses mandats de maire de Bordeaux et de député de Gironde. En effet ayant fait appel le jugement est suspendu jusqu’à l’arrêt de la Cour d’appel qui ne devrait pas intervenir avant la fin de l’année. D’ailleurs les amis politique de Alain Juppé ne manquent pas de lui manifester leur soutien et l’invitent à de ne pas céder à la «Tentation de Venise», allusion à son livre, paru en 1993, où il envisageait déjà de quitter la politique pour se consacrer à d'autres activités.

Jean-Pierre Raffarin, le Premier ministre, a bien souligné que la justice ne s’était pas définitivement prononcée et même son rival éventuel pour l’élection présidentielle de 2007, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, lui a dressé un message d’amitié. Mais l’encouragement le plus appuyé est venu du président de la République, rappelant que la France avait «besoin d’hommes de sa qualité».

La décision du président de l’UMP est donc attendue tant à droite qu’à gauche en raison des bouleversements que son retrait de la compétition politique entraînerait à court et plus long terme. Toutefois un autre aspect de ce procès hautement médiatisé retient l’attention et pourrait avoir des développements lourds de conséquences. Catherine Pierce, présidente du tribunal correctionnel de Nanterre qui a condamné Alain Juppé avait laissé entendre, avant d’énoncer la peine, que le jugement n’avait pas été saisi sur informatique, comme c’est habituellement le cas, pour des raisons de garantie de confidentialité. Le lendemain, la présidente se faisait beaucoup plus claire dans une interview au quotidien Le Parisien évoquant des tentatives de pressions, des visites régulières dans son bureau et celui de ses juges assesseurs et le placement sur écoutes des téléphones des juges.

Une «affaire dans l’affaire»

La police judiciaire a d’ailleurs été saisie d’une enquête sur une lettre de menaces envoyée à la présidente du tribunal à la mi-janvier et une autre investigation concerne une effraction dans le bureau de la magistrate. Le ministre de la Justice, Dominique Perben, a immédiatement réagi en annonçant l’ouverture d’une information judiciaire sur les faits invoqués. Constitutionnellement garant de l’indépendance de la Justice, Jacques Chirac a demandé une mission d’enquête administrative indépendante sur les pressions dont les juges estiment avoir été victimes. Des magistrats de haut rang devront, d’ici la fin du mois, établir la vérité des faits et proposer d’éventuelles sanctions.

La classe politique s’est emparée de ce que la gauche appelle d’ores et déjà un «Watergate à la française», en référence au scandale qui a entraîné la chute du président américain Nixon. Les tentatives de pressions sur les juges sont unanimement dénoncées, au cas où elles seraient confirmées. Seule voix discordante, celle du député UMP Eric Raoult qui n’y voit qu’un «roman de politique-fiction» et dénonce un «coup politique» contre la formation qui soutient le président de la République.

Bien au contraire, le président de l’Assemblée nationale, Jean-louis Debré, appelle à la plus grande prudence dans les déclarations, car le jugement concernant Alain Juppé est encore susceptible d’être modifié en appel. De fait, certains s’interrogent ouvertement sur l’influence qu’ont pu avoir de telles tentatives de pressions sur la décision finalement rendue par les juges. Ménager les chances du président de l’UMP face aux magistrats qui le jugeront en appel leur apparaît alors une priorité.

Patrick Stefanini ex-directeur de cabinet de Alain Juppé au RPR condamné pour sa part à 12 mois de prison avec sursis se demande, à propos de cette «affaire dans l’affaire», «si la sérénité qui est la condition de l'équité a présidé au délibéré».

A écouter :
Nicolas Blot, Secrétaire général adjoint de l'Union Syndicale des Magistrats, demande à ce que toute la lumière soit faite sur d’éventuelles pressions subies par les juges du procès d’Alain Juppé. (Invité de Philippe Lecaplain, le 02/02/2004).



par Francine  Quentin

Article publié le 02/02/2004