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Thaïlande

Drame de Tak Baï : un général limogé

La situation reste tendue dans le sud de la Thaïlande après la mort de 87 musulmans la semaine dernière. 

		(Photo : AFP)
La situation reste tendue dans le sud de la Thaïlande après la mort de 87 musulmans la semaine dernière.
(Photo : AFP)
Les violences qui secouent depuis une dizaine de jours le sud de la Thaïlande, région à majorité musulmane, ont fait une nouvelle victime mardi. Un responsable de village bouddhiste a été retrouvé décapité, un message découvert près de son corps expliquant qu’il s’agissait d’une «vengeance pour les victimes de Tak Baï». Près de quatre-vingt-dix musulmans ont en effet péri le 25 octobre dernier alors qu’ils étaient entre les mains de l’armée qui avait procédé à peu avant à l’arrestation d’environ 1 300 manifestants. Depuis la situation est explosive dans le sud du royaume. Après avoir annoncé la mise en place d’une commission d’enquête indépendante, le Premier ministre Thaksin Shinawatra, qui s’est refusé à présenter des excuses pour ce drame qui a profondément choqué le pays, s’est finalement résigné à limoger mardi le général en charge de la région militaire du sud de la Thaïlande.

Alors qu’il s’est pourtant attelé à les réduire depuis des mois à de simples actes de banditisme, le gouvernement thaïlandais est bien forcé de reconnaître aujourd’hui que les violences qui secouent depuis janvier le sud du royaume sont non seulement loin d’être des actes isolés mais que sa méthode répressive pour les contenir n’a fait que radicaliser la situation. L’extrême brutalité de l’armée envers la communauté musulmane, majoritaire dans ces régions, s’est encore illustrée la semaine dernière avec la mort par suffocation de quelque soixante-dix-huit personnes arrêtées par les forces de l’ordre. L’affaire a débuté avec l’interpellation il y a huit jours de six responsables locaux musulmans. Quelque 3 000 personnes s’étaient alors mobilisées pour réclamer leur libération au cours d’une marche qui a été violemment réprimée. Six manifestants ont ainsi été tués lors de la dispersion de leur mouvement et trois autres ont péri noyés dans un canal proche des lieux du drame. Mais le pire était à venir. Procédant à une vaste rafle, l’armée a en effet entassé quelque 1 300 personnes dans des camions dans le but de les conduire à une base militaire située à plus de cinq heures de route. Soixante-dix-huit personnes sont mortes asphyxiées durant le trajet. «Ils ont été entassés les uns sur les autres, sur quatre ou cinq couches, les mains liées. Comment voulez-vous qu’ils survivent ? Ils sont morts par suffocation», a notamment dénoncé un sénateur de l’opposition.

Ce drame a comme il fallait s’y attendre bouleversé le pays. Et signe que la situation est jugée très sérieuse, le roi Bhuminol Adulyadej, très vénéré en Thaïlande où il n’intervient que très rarement dans les affaires publiques, a reçu le Premier ministre en audience pour apparemment le rappeler à l’ordre. Officiellement en effet, le souverain s’est contenté d’«exprimer son inquiétude sur la situation dans le sud et de demander au gouvernement d’envisager d’être plus clément et de permettre à la population locale de participer à la solution de la crise». Mais cette intervention du roi, qui est revêtu d’une immense autorité morale, est en elle-même une condamnation sans appel de la politique répressive menée par le  gouvernement dans le sud du pays. Bhuminol Adulyadej était d’ailleurs déjà intervenu une première fois dans le dossier en avril dernier après des violences qui avaient fait plus de cent morts dans le sud du pays. Trente-deux personnes, qui avaient trouvé refuge dans une mosquée, avaient notamment été abattues sans sommation par les forces de l’ordre.

Un responsable bouddhiste décapité

Unanimement condamnés, les événements du 25 octobre ont fait craindre à juste titre une radicalisation de la situation dans les régions méridionales où les violences ont déjà fait depuis le début de l’année plus de 460 morts. Confirmant ces craintes, au moins deux bombes ont explosé la semaine dernière dans une localité du sud faisant dix-huit blessés dont onze policiers. Le week-end a été encore plus sanglant avec l’assassinat pas balles de cinq personnes et la mort de six autres dans des attentats à l’explosif. Mais ces violences ont pris mardi un tour plus macabre avec la décapitation d’un responsable de village bouddhiste dont l’exécution a été présentée comme une vengeance pour la mort la semaine dernière des 87 musulmans. La tête de la victime, un homme de 58 ans, a été trouvée par un villageois et son corps découvert plus tard par la police plus d’un kilomètre plus loin. Selon les autorités, un message a été laissé près du corps dans lequel les assaillants justifient leur acte. «Si des musulmans continuent d’être arrêtés, nous tuerons d’autres bouddhistes», précise notamment le texte.

Cette décapitation, qui reste un mode d’exécution extrêmement rare en Thaïlande –un sexagénaire avait pour la première fois été assassiné de la sorte le 29 mai dernier– confirme les craintes des observateurs de voir le sud s’embraser en réaction au drame de Tak Baï. «La violence appelle encore plus de violence et pourrait devenir de plus en plus diversifiée, avec de nouvelles tactiques et nouvelles formes d'exécution, comme on l'a vu dans le monde entier», avait récemment averti l’universitaire Prapat Thepchatree. Un autre analyste, Panitan Watanayagorn, expert du sud, avait pour sa part prédit qu’il y aurait «davantage d’enlèvements, d' attentats à la bombe, et peut-être même des décapitations de personnalités». Selon lui, «le but est d'opposer encore plus les communautés bouddhistes et musulmanes».

C’est dans ce contexte d’extrêmes tensions que le commandant de la région militaire du sud de la Thaïlande a été limogé mardi. Le général Pisarn Wattanawongkeeree, qui avait été nommé en mars dernier, a vraisemblablement été sanctionné, comme son prédécesseur d’ailleurs, pour n’avoir pas réussi à ramener le calme dans le sud. Il est le troisième commandant de la 4e région militaire à être limogé cette année. Devançant sa sanction, le général avait affirmé dimanche à un quotidien national être «prêt à endosser la responsabilité» du drame Tak Baï.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 02/11/2004 Dernière mise à jour le 02/11/2004 à 16:05 TU