Pays-Bas
Les Néerlandais à l’épreuve de l’intolérance
Les Pays-Bas traversent une épreuve difficile avec l’assassinat du réalisateur Theo Van Gogh, le 2 novembre, par un jeune islamiste présumé, titulaire de la double nationalité néerlandaise et marocaine. En effet, cette affaire interroge le pays sur son multiculturalisme ainsi que sa capacité à faire face au phénomène de l’islamisme militant et du terrorisme, et donc sur la qualité de ses services de renseignement. Elle survient également dans un contexte de forte progression et d’affirmation d’une extrême-droite locale décomplexée et d’une radicalisation des tensions manifestée voici deux ans avec l’assassinat du leader populiste Pim Fortuyn.
Après une semaine d’enquête, sept jeunes hommes âgés de 19 à 27 ans et liés aux milieux islamistes sont accusés de « participation à une conspiration terroriste » pour le meurtre de Van Gogh. Selon la police, le projet était également de tuer la députée libérale Ayaan Hirsi Ali, co-auteure avec Van Gogh d’un documentaire diffusé fin août sur les chaînes hollandaises, virulente dénonciation de la condition des femmes dans les sociétés islamisées. Ses prises de positions résolument hostiles à l’islam avaient valu à Theo Van Gogh des menaces dont, fidèle à son personnage de provocateur, il ne tenait pas compte. Il a été poignardé, puis achevé de plusieurs balles, en pleine rue d’un quartier chic d’Amsterdam où il circulait en vélo.
Après cet épisode tragique, l’esprit de tolérance et de dialogue, souvent évoqué pour qualifier ce pays, donne des signes de faiblesse. Il règne en effet sur place un climat d’hostilité croissant à l’égard de l’islam qui s’est notamment exprimé ce week-end lors d’incidents visant la communauté musulmane. Il n’y a pas de victimes, mais plusieurs centres d’intérêt ou lieux de culte ont été visés par des attentats ou des tentatives d’incendie volontaire.
Le dernier acte de violence en date a eu lieu au cours de la nuit dernière. Aux premières heures du jour, une explosion a endommagé l’entrée d’une école coranique à Eindhoven, dans le sud du pays. La police municipale déclare avoir enregistré des menaces contre les institutions représentant la communauté musulmane.
« Les Pays-Bas ont changé »
Trois mosquées ont aussi été la cible des incendiaires. A Huizen, dans l’ouest du pays, la police a interpellé trois suspects dans la nuit de vendredi à samedi. Les trois hommes, âgés de 19 à 26 ans, s’apprêtaient à mettre le feu à une mosquée. A Breda, dans le sud, des inconnus ont échoué dans leur entreprise d’incendier le lieu de culte musulman local. A Rotterdam, une palette enflammée a été placée dimanche matin contre l’une des portes de la mosquée Mevlana. Le feu a pu être circonscrit et seule la porte a été endommagée. Le police a interpellé un suspect, un jeune homme de 24 ans. Une autre mosquée de la ville a été placardée de textes insultants et de têtes de porcs. Enfin à Amsterdam, un foyer d’immigrés a été aspergé de peinture rouge.
Face à cette intrusion brutale d’une violence étrangère aux mœurs locales, les responsables néerlandais sont partagés entre l’indignation et la retenue. Les Pays-Bas comptent 16 millions d’habitants, parmi lesquels 900 000 musulmans, dont 300 000 d’origine marocaine. Si le leader populiste Geert Wilders s’est clairement prononcé pour une déclaration de guerre et « intensifier de la lutte et faire en sorte que les mouvements islamistes radicaux disparaissent des Pays-Bas », la presse appelle à la prudence et à ne pas stigmatiser l’ensemble de la communauté musulmane des Pays-Bas dont de nombreux fidèles ont participé à l’hommage rendu à la mémoire de Theo Van Gogh, mardi soir, au centre d’Amsterdam. Mais dans un sondage réalisé à chaud, 60% des personnes interrogées déclaraient redouter des émeutes entre Néerlandais de souche et Marocains d’origine. « Les Pays-Bas ont changé », estime le quotidien Algemeen Dagblad.
Face à la « menace contre l’Etat de droit », le vice-Premier ministre a annoncé des ressources supplémentaires pour améliorer le fonctionnement des services de sécurité. « Clairement les services de renseignement n’ont pas été suffisamment en alerte puisque l’auteur de cet horrible meurtre a pu vivre sans problème au sein de la société néerlandaise », a estimé le leader de l’un des partis de la coalition au pouvoir. Dans un récent rapport, les services néerlandais affirmait que « les réseaux terroristes ont des ramifications aux Pays-Bas ».
Des voix s’élèvent également pour appeler à isoler les extrémistes, en surveillant plus sévèrement l’activité dans des lieux de cultes considérés comme des sanctuaires au pays du multiculturalisme.
par Georges Abou
Article publié le 08/11/2004 Dernière mise à jour le 08/11/2004 à 15:45 TU