Proche-Orient
Barghouti ne briguera pas la succession d’Arafat
(Photo : AFP)
C’est au nom de l’unité du peuple palestinien et de celle de son mouvement historique, le Fatah, et pour ne pas mettre en péril la stabilité des institutions que le plus charismatique des militants de la cause palestinienne a choisi de ne pas se présenter à l’élection présidentielle qui doit se dérouler dans maintenant huit semaines. Marwan Barghouti, qui a reçu quatre heures durant dans sa prison israélienne de Beersheba –où il est incarcéré depuis un an et demi– le ministre palestinien sans portefeuille Qadoura Fares, a appelé ses compatriotes à consolider la démocratie palestinienne en participant en masse au scrutin du 9 janvier. Il a surtout invité «les membres et les partisans du Fatah à appuyer et soutenir le candidat du mouvement, le frère combattant Mahmoud Abbas», garantissant du même coup à l’ancien Premier ministre de Yasser Arafat l’assurance d’une élection à la tête de l’Autorité palestinienne.
La décision de Marwan Barghouti de renoncer à briguer la succession du chef historique des Palestiniens est d’autant plus significative qu’il était assuré de remporter le scrutin s’il avait décidé de se présenter et cela même sans le soutien du Fatah. Un récent sondage effectué la veille de la disparition de Yasser Arafat l’avait en effet désigné comme le plus populaire des dirigeants palestiniens, le créditant de plus de 51% des intentions de vote en cas d’élection. Le chef du Fatah en Cisjordanie, enlevé en avril 2002 par un commando de l’armée israélienne, est considéré par ses compatriotes dans les Territoires comme le seul capable de défendre leurs intérêts qu’il connaît parfaitement dans la mesure où il est un «Palestinien de l’intérieur», par opposition à la veille garde qui a vécu l’exil aux côtés de Yasser Arafat jusqu’à son retour à Gaza en 1994 après la signature des accords d’Oslo.
Marwan Barghouti a en effet été l’un des meneurs de la première Intifada de 1987 à 1993 qui l’avait conduit dans les prisons israéliennes avant son expulsion vers la Jordanie. Fervent partisan des accords d’Oslo, il s’était efforcé à son retour dans les Territoires palestiniens de convaincre ses compatriotes que la voie de la conciliation choisie par Yasser Arafat était bien la bonne. Mais déçu par les retards pris dans l’application des accords de paix, il s’engage dans la seconde Intifada qui éclate le 28 septembre 2000 et en justifie la légitimité au point de l'incarner mieux que toute autre responsable palestinien. Il devient en effet l'homme de la base, en phase avec le peuple qui ne tarde pas à le dissocier de la corruption qui règne au sommet du pouvoir. Malgré ses dénonciations des attentats commis contre la population israélienne, l’Etat hébreu n’hésite pas à l'accuser de prendre part à des coups de main armés et d’être à la tête des Brigades des martyrs d’al-Aqsa. «Je ne suis pas un terroriste, mais je ne suis pas non plus un pacifiste», s'est-il lui-même défini peu avant son enlèvement par l’armée israélienne.
Casse-tête momentanément résolu pour IsraëlEn renonçant à briguer la succession de Yasser Arafat, Marwan Barghouti a donc assuré à Mahmoud Abbas son élection à la tête de l’Autorité palestinienne. Dans le texte remis à Qadoura Fares dans lequel il a appelé à voter en faveur de l’ancien Premier ministre, il a également exhorté ce dernier à «oeuvrer au renforcement de l'unité palestinienne et à préserver les impératifs nationaux en tête desquels le droit au retour des réfugiés et Jérusalem comme capitale éternelle de la Palestine». Il l’a surtout appelé à entreprendre «des réformes drastiques au sein des institutions de l'Autorité palestinienne et à demander des comptes aux responsables corrompus». Signe que son message semble avoir été bien entendu, la direction palestinienne s’est engagée cet après-midi à tenir le 4 août prochain «le sixième congrès» du Fatah au cours duquel les instances dirigeantes du mouvement seront renouvelées. Cette décision répond en partie aux attentes de la jeune garde que le chef du Fatah en Cisjordanie incarne.
Le renoncement de Marwan Barghouti à la présidence de l’Autorité palestinienne est également un soulagement pour les responsables israéliens tant sa candidature représentait un casse-tête. Si ces derniers ont essayé depuis la disparition de Yasser Arafat d’intervenir le moins possible dans les affaires palestiniennes –ils se sont en effet contentés d’affirmer qu’ils feraient tout pour aider à l’organisation d’élections dans les Territoires mais aussi à Jérusalem– le cas du leader du Fatah incarcéré à Beersheba a cependant fait sortir plusieurs ministres de leur silence. Trois ténors du Likoud, tous membres du cabinet d’Ariel Sharon –le chef de la diplomatie Sylvan Shalom, le ministre sans portefeuille Tzahi Hanegbi et le vice-Premier ministre Ehoud Olmert–, se sont en effet vigoureusement opposés à la libération de Marwan Barghouti qu’ils ont qualifié de «terroriste assassin». «C’est un assassin qui purgera au moins cent ans de prison s’il obtient des réductions de peine. Au mieux il pourra devenir porte-parole de la prison où il est enfermé», avait même souligné M. Hanegbi à la radio israélienne.
Plus pragmatique, le ministre de l’Intérieur, Avraham Poraz n’avait en revanche pas exclu une telle libération. «Dans le passé, nous avons déjà libéré des terroristes en échange de soldats», avait fait valoir ce membre du parti laïc Shinoui. Il avait toutefois souligné qu’il était opposé à ce que Marwan Barghouti quitte sa prison pour participer à l’élection du nouveau chef de l’Autorité palestinienne. La question d’une libération du chef du Fatah en Cisjordanie n’a pas non plus été rejetée par le président israélien Moshe Katzav qui n’a a priori pas exclu de le gracier si une requête dans ce sens lui était présentée. «Barghouti est un assassin qui a été condamné à la prison à vie mais si une demande de grâce est présentée, je l’examinerai» a-t-il notamment déclaré jeudi au quotidien Maariv. Le chef de l’Etat n’a pas non plus écarté l’éventualité d’une candidature du dirigeant palestinien à la présidentielle estimant que si M. Barghouti «veut être candidat, il peut l’être. Cela ne dépend pas de la grâce».
Le plus populaire des prisonniers palestiniens, condamné en mai dernier à cinq fois la prison à perpétuité, avait refusé de faire appel du verdict prononcé à son encontre pour son implication présumée dans le meurtre de cinq Israéliens décédés lors d’attentats sur le territoire hébreu.
par Mounia Daoudi
Article publié le 26/11/2004 Dernière mise à jour le 26/11/2004 à 19:42 TU