Guinée
Le grand rêve de l’Eldorado guinéen
(Photo : DR)
De notre envoyé spécial en Guinée.
« C’est une île au milieu d’un océan de verdure. Un écosystème unique en son genre ». Les yeux tournés vers les crêtes verdoyantes des monts Nimba, Sylvain Dufour ne cache pas sa passion pour ce massif montagneux. Ce jeune Français travaille pour une organisation non gouvernementale impliquée dans la préservation de la faune et de la flore de la Guinée forestière.
Le Nimba : un nom mythique et une invitation au voyage. Le site est d’une beauté majestueuse. Une barrière minérale de 40 kilomètres de long sertie dans un écrin de verdure. Ses sommets, qui culminent à 1 800 mètres, dominent un piémont tropical où l’on trouve des espèces uniques au monde. Dans les années cinquante le professeur Lamotte y découvre un crapaud vivipare et un petit carnivore aquatique, le micropotamogale, qui vaudront aux monts Nimba d’être classés par l’Unesco en 1981.
Ce paradis pour écologistes est aussi un maillon essentiel de l’écosystème ouest-africain. « Les monts Nimba bloquent les nuages qui viennent du Sud », explique Sylvain Dufour. « C’est ce qui explique le réseau hydrographique très dense de la région. Et ce n’est pas un hasard si c’est ici que prennent naissance plusieurs fleuves et rivières importants ».
Des tonnes de minerai de fer à portée de main
Les monts Nimba fascinent. Ils produisent aussi du rêve. Un rêve grandiose, celui d’une Guinée transformée en une nouvelle Afrique du Sud, vivant grassement de sa rente minière. Sous les forêts dorment en effet d’immenses réserves de fer. Huit cent cinquante millions de tonnes prouvées, trois fois plus selon certaines estimations. Un minerai à haute teneur, 65% à 75%, facilement accessible puisque la couche de minerai recouvre, au sens propre du terme, la roche.
A Conakry, depuis vingt-cinq ans, Fodé Keïra travaille sur le projet des mines des monts Nimba. « Je m’y suis plongé dès la sortie de l’université. Depuis j’ai développé une passion charnelle pour ce projet », confie ce technicien d’une cinquantaine d’années. « C’est pour moi une façon de participer à une grande œuvre de développement pour mon pays. Ce projet donne un sens à ma vie ». Ce lyrisme s’explique par l’enjeu majeur que représente pour la Guinée l’exploitation des mines de fer. Reste que, depuis un quart de siècle, le projet n’a jamais dépassé le stade des promesses.
Un premier projet capote dans les années 70
En 1973, la société d’économie mixte Mifergui-Nimba est constituée. Son objectif est d’extraire 15 millions de tonnes par an de minerai de fer et de l’évacuer par le Liberia grâce à la ligne de chemin de fer qui relie la partie libérienne des monts Nimba au port de Buchanan. Malheureusement les prétentions exorbitantes du Liberia et la concurrence du projet brésilien de Carajas font capoter l’entreprise guinéenne.
Après une éclipse due à la dictature Sékou Touré, le projet refait surface via le consortium Euronimba. Parallèlement un autre projet pharaonique voit le jour en 1995. Il s’agit de l’exploitation des mines de fer des monts Simandou. Situés plus à l’Ouest ces grandes sœurs des monts Nimba possèdent des réserves de fer comparables, voire plus importantes. Alors qu’Euronimba est emmené par les firmes BHP Bilton et Newmont LaSource, le projet Simandou est confié à l’anglo-australien Rio Tinto. Fodé Keïra, quant à lui, à pour mission d’articuler les deux projets.
Car si la rationalité économique veut que l’on aille au plus près, et donc que le minerai de fer soit évacué par le Liberia où existe déjà une ligne de chemin de fer, la Guinée, au nom de l’indépendance nationale souhaite avoir son train. Seul problème, mais il est de taille, il faut construire 1 000 kilomètres de voies, ainsi qu’un terminal portuaire au sud de Conakry. Un projet évalué à deux milliards et demi de dollars et dont la rentabilité est jugée douteuse par les bailleurs de fonds. Fodé Keïra argue du fait que ce chemin de fer transguinéen permettrait non seulement l’exploitation du fer mais constituerait aussi l’épine dorsale du développement économique de la Guinée. « Grâce à ce train nous pourrons exporter les produits agricoles de la Guinée forestière et la bauxite extraite sur la Basse côte ».
Partie de poker entre les compagnies minières et le gouvernement
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Ni les autorités, ni les grandes entreprises ne semblent pressées de voir ces méga-projets aboutir. Depuis 1997 Rio Tinto possède quatre permis de recherche minière pour les monts Simandou, mais la société attend toujours les permis d’exploitation. De leur côté, les Guinéens soupçonnent les compagnies minières de vouloir geler les positions afin de conserver le minerai guinéen pour l’avenir.
En attendant que cette partie de poker aboutisse les écologistes en profitent pour obtenir des garanties. Classés au patrimoine mondial, les monts Nimba sont théoriquement protégés. Les compagnies minières affirment pouvoir travailler en respectant l’environnement. C’est aussi l’avis de Fodé Keïra qui jure que l’exploitation du fer des monts Nimba donnera naissance rien moins qu’à la première mine « propre » au monde. Sylvain Dufour est plus sceptique : « Le périmètre minier représente 5 500 hectares sur les 12 500 de la réserve écologique. Forcément, il va y avoir des répercussions sur l’environnement. Le bruit des engins de chantiers, voire les explosions feront fuir les animaux ».
Le climat de la sous-région modifié ?
Ingénieur au Cegen (le centre de gestion de l’environnement des monts Nimba), Pépé Emmanuel Sorokogui juge qu’il est possible de conjuguer exploitation et conservation. « C’est un défi mais c’est une question de moyens. Si les compagnies mettent suffisamment d’argent, alors on pourra limiter les répercussions sur l’environnement ». Reste que l’expérience libérienne ne plaide pas en faveur des compagnies minières. La partie libérienne du Nimba, exploitée durant des années par un consortium américano-franco-suédois, a subi un véritable désastre écologique : rivières polluées, forêts détruites, etc. Les Guinéens sont prévenus.
Sylvain Dufour s’inquiète enfin des possibles changements climatiques dans la région déjà fortement marquée par les séquelles de la déforestation. « Si l’on rabote de cinquante ou cent mètres le sommet des monts Nimba, là où se trouve le fer, on risque de faciliter le passage des nuages qui jusqu’à présent sont retenus par les cimes. Dès lors ils iraient crever plus loin. A long terme cela pourrait modifier profondément l’écosystème local ainsi que le réseau hydrographique ». Scénario catastrophe ou hypothèse réaliste ? A l’heure où les changements climatiques menacent la planète la question mérite d’être posée. A Lola les responsables locaux jugent qu’il sera possible de conjuguer le respect de l’environnement et le développement d’une industrie lourde. Depuis toujours, pour les habitants de la région, les monts Nimba sont synonymes d’eau, de vie et de richesse.
par Olivier Rogez
Article publié le 10/12/2004 Dernière mise à jour le 10/12/2004 à 07:15 TU